27 - Merveilleuse rentrée

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Andromède

- Andromèèèèède, j'ai failli t'attendre ! s'écria Ric qui trottinait dans ma direction, lacets défaits et sac ouvert.

Ça faisait sept minutes que je l'attendais. J'avais bien failli finir par perdre patience, et partir sans lui afin de ne pas rater le début des cours. Je ne lui ai pourtant pas fait part de mes pensées, mais ai levé les yeux au ciel comme seule réponse.

Sans dire un mot, je me retournai et nous nous mîmes en marche.

- Alors, tu as trouvé comment la soirée ? Questionna Ric en brisant la glace.

- Bien, répondis-je seulement.

- C'est super, moi j'ai trouvé ça cool ouais, ouais, super cool. J'ai bien bu, bien dansé, bien rigolé. Avec Sofian à un moment c'était hyper drôle, on s'amusait à construire des tours avec tout et n'importe quoi. T'aurais vu sa tête quand j'ai démoli sa tour de briquets avec une simple expiration. Il était mort de rage.

- Hm hm.

- J'ai vu que tu t'étais bien amusée avec Tom, lança-t-il.

- Il est gentil, affirmais-je.

- Ah ça oui, on est amis depuis aussi loin que je me souvienne, lui et moi. On a fait toutes les classes ensemble, il habite pas loin de chez moi. Mais nos parents peuvent pas se blairer. C'est dommage, il nous aurait manqué ça pour constituer le cliché des meilleurs amis pour la vie. Bref, il a toujours été très gentil.

- Ouaip, acquiescais-je.

- Euh bon alors, sinon, quoi de neuf ?

« Quoi de neuf » quelle terrible question que je détestais. Comment on peut répondre à ça ?

Mais, j'avoue que je l'avais un peu poussé à ça par mes monosyllabes. Je souris intérieurement, j'avais seulement voulu voir comment il réagirait, et j'y prenais un plaisir caché. Je saisis alors l'occasion pour mener le plan qui venait de germer dans mon esprit, pour lui faire perdre le sien.

- J'ai jamais eu de chien, amorçai-je.

- Oh, moi j'ai... commença-t-il avant que je ne le coupe avec une tinte de sadisme.

- J'ai jamais eu de chien, et je n'ai jamais pensé à en avoir un. Je n'ai jamais eu d'animaux. Ah, si, sûrement un chat dont je ne me rappelle même plus la couleur. Ma mère ne veut pas m'en parler, ni en avoir un autre. Je pense que ça lui rappelle mon géniteur, ce que je trouve assez puéril. Car, un chat ce n'est pas TOUS les chats. Est-ce qu'après une rupture tu vas te dire : « je ne veux plus jamais voir d'être humain de ma vie. »? Non, car l'être humain qui t'a brisé le cœur n'est pas TOUS les êtres humains. Bon, après, il y a bien des gens qui sont ermites, mais ce sont des cas à part, et je doute qu'une seule rupture ait provoqué toute cette réflexion de vivre complètement différemment. De toute façon, ma mère n'est pas ermite. Bref, j'aurais bien aimé avoir un chat. Il ne me rappellerait pas mon père, moi.

Mais bon, tout ça pour dire. Dimanche matin, en me réveillant, un monstre d'amour a déboulé dans ma vie. On a eu une chance énorme de pouvoir l'avoir car on a pas du tout les moyens de s'acheter un bouvier bernois. C'est un cadeau de ma tante. Enfin non, c'est plutôt ma tante par alliance. Ce n'est pas la sœur de ma mère ni la sœur de mon père, en fait, c'est la femme qui s'est mariée au frère de ma mère. Tu saisis ?

Ce qui est étrange c'est qu'on ne la voit jamais et qu'elle ne nous porte pas vraiment dans son cœur, mais ce serait une histoire trop longue à raconter dans un si court trajet. Et puis, je ne vais pas accaparer toute la discussion quand même ! Enfin bon, la chienne de cette tante a donc fait dix chiots, et elle nous en a donné un, en espérant venir bientôt nous voir. Ma mère ne m'a pas prévenue pour le chien. Il est arrivé avec le soleil. Seulement, le soleil ne fait pas pipi par terre en arrivant.

Cependant c'est un bébé alors je ne lui en veux pas. Il m'a fait plutôt peur en débarquant, mais je dois dire que je me suis déjà attachée à lui. On sait que c'est beaucoup d'investissements, mais ça vaut largement le coup. On accueille un nouveau membre dans notre famille après tout ! Il est adorable, tellement mignon, câlin, joueur... Et qu'est-ce qu'il est doux ! Je n'ai jamais caressé une telle douceur. D'après ma mère, ce sera un très très gros chien quand il grandira !

Moi qui n'ai jamais eu de chien, j'en suis pourtant si heureuse. J'ai enfin un compagnon, et je m'occupe de lui toute la journée. Il me fait me sentir bien, et comme je ris avec lui !

Le seul hic, c'est qu'il n'a pas encore de prénom. J'ai supplié ma mère de me laisser choisir, car ses idées sont... nulles. Mais, je n'ai pas encore trouvé.

- Euh... Andromède ? se risqua Mercutio après une seconde d'attente.

- Oui, mon cher ?

- Est-ce que je peux répondre ? demanda-t-il poliment.

Et je vous jure, qu'à cet instant, j'ai bien failli tout foutre en l'air. Je sentais que tout mon être était parcouru d'un rire, que je devais à tout prix garder au moins quelques instants. Je devais rester sérieuse, comme si je n'essayais pas de me foutre incroyablement de sa gueule.

Le pire, c'est que ça marchait. Le Mercutio qui passait son temps à déblatérer mille mots à la seconde, et ne me laisser aucune place, était désormais réduit au silence et à une timide -presque peureuse- politesse. Ce qui m'emplissait d'une extase nouvelle. Celle d'avoir réussi son coup.

- Tu peux, lui donnai-je la permission comme un prof à un élève qui lève la main.

- Tu pourrais l'appeler Courgette, dit-il le plus sérieusement du monde.

- On verra, concédai-je comme si je réfléchissais si il pourrait avoir un bonbon au goûter.

Nous franchissions à présent le portail du lycée, et je commençai à lui raconter quel cours j'avais, en quelle salle, avec quel prof, à côté de qui j'étais assise, et les devoirs que j'avais à faire. Tandis que nous gravissions les escaliers, il n'eut plus l'occasion de sortir un seul mot de sa bouche. Je le saluai en le laissant dans le couloir de ma salle de cours, au deuxième étage, alors que le sien ne semblait pas du tout se trouver là. Il s'était senti obligé de me suivre tout le long pour ne pas me couper. C'était à mourir de rire.

Quand il commença à rebrousser chemin avec une mine perdue, déboussolée, l'air de se dire « que vient-il de se passer au juste? » j'en profitai pour m'engouffrer dans la porte des toilettes qui se trouvait à côté de ma classe, et je relâchai brusquement tout.

Un énorme fou rire sortit enfin de ma gorge, et j'en pleurais. Les personnes déjà présentes aux toilettes me regardaient avec jugement, ou au contraire avec amusement. Certains même se mirent à rire en passant.

Je n'en avais plus rien à faire. Je riais, riais, sans m'arrêter. Devant même m'appuyer sur le mur pour ne pas tomber.

Je n'avais jamais été aussi heureuse de louper le début d'un cours. Quelle merveilleuse rentrée.

CollisionsWhere stories live. Discover now