62 - Aucun sens

4 0 0
                                    

Andromède


Ophélia m'aimait ? Ophélia m'aimait et j'étais toujours vivante. Ophélia m'aimait et je ne pouvais pas y croire une seule seconde. J'avais vidé tous mes poumons, toutes mes pensées avec Icare ; et j'aimais Ophélia. Que faire alors ? Est-ce que ça avait du sens, tout ça ?

On était arrivés devant un phare avec Icare, les autres étaient toujours loin derrière, et on chantait Aznavour en dansant. Non, ça n'avait vraiment pas de sens. Et c'était pas grave. On était heureux et amoureux.

- Icare, Icare, Icare !! m'exclamai-je.

- Andromède, Andromède, Andromède ??

- Un jour t'auras un bateau. C'est pas un rêve, je te le promets. Tu seras marin et tu sillonneras la mer et tu feras absolument tout ce que tu veux. Je ne peux plus me calmer c'est absolument fabuleux. Mais sois pas trop impatient s'il te plaît, j'ai envie de t'avoir encore un peu avec moi. Icare, c'est fou, au début tu étais Arthur ou Mercutio et t'as tout chamboulé. Je t'attendais pas, j'avais juste peur dans mon coin. Grâce à ton attention j'ai réussi à confronter ma peur. Cette satanée bibliothèque, tes paroles qui n'avaient aucun sens, ton sourire et tes bourdes à répétition. On a fait tellement de chemin. Je te vois aussi très différent d'il y a quelques mois. Je crois maintenant comprendre les sous-entendus d'Ophélia à la plage hier soir, quand Tom parlait d'Andromède la galaxie. Ophélia a du tout relier directement, je l'ai pas fait, pour une fois que c'est pas moi la plus rêveuse d'entre nous deux, qui vois des signes partout !

- Je suis aussi exalté que toi, je t'assure, riait-il. Mais je comprends pas un traître mot de ce que tu racontes. C'est tes paroles à toi qui n'ont aucun sens cette fois.

- Tu m'as infecté Mercutio ! Ton esprit fou a pénétré le mien !

On arrêtait vraiment plus de rire. On arrivait pas à se parler normalement, on gesticulait dans tous les sens, et on regardait le monde avec nos yeux grands ouverts. Écarquillés comme deux fous furieux. Je tentais de calmer mon sourire pour pouvoir expliquer à mon ami ma pensée.

- La collision ! Tom parlait de collision ! Ophélia a ramené tout ça directement à nous ! On est tous rentré en collision ! Il y avait mon petit univers violet et noir, plein d'étoiles mais replié sur lui-même. Puis ton univers surexcité est venu se collisionner d'un coup au mien, avec ses lueurs bleues azur et jaunes, il a illuminé le mien avec le choc. Puis il y a eu Tom, il y a eu Ophélia, on était tous des petits univers voguant plus ou moins seuls, et puis, boum, collision. Plus rien n'est plus pareil. Et plus rien ne sera plus jamais pareil. Ça n'a pas de sens. Tu seras marin. Et moi j'en sais absolument rien de ce que je serai mais pour la première fois de ma vie je m'en fous complètement. Je crois que je sais qui je suis, là.

Il y eut un silence. Je m'étais peu à peu calmée. Je regardai le bleu gris du ciel et cet horizon infini que je n'avais pas l'habitude de voir. L'horizon droit, tout bleu, si lointain, si vide que l'on peut s'y imaginer n'importe quoi.

- Désolée, repris-je doucement. Ça sonnait peut-être un peu film disney, j'étais à deux doigts de croire que j'aurais pu m'envoler par la force de la pensée, riai-je.

- T'excuses pas. J'aime beaucoup les disney.

- Cool alors.

- Tu m'impressionnes vraiment. Je suis aussi super heureux d'être... rentré en collision avec toi ? Tu veux visiter le phare ? Sans aucune transition ?

- J'en serai ravie.

On est monté tout en haut du phare et c'était super beau. Icare m'a dit qu'il habiterait un phare un jour. Je l'ai cru. Tout en haut, on voyait la mer à l'infini. On s'est un peu penchés pour voir les silhouettes d'Ophélia et Tom se rapprocher du phare. On leur criait de monter mais Tom avait le vertige alors Ophélia resta avec lui en bas.


_____

Ophélia


- C'est sûr qu'elle sait tout non ?

- Absolument certain, souria Tom en leur faisant coucou de la main d'en bas.

Ils criaient comme des fous là haut, et ceci depuis une bonne partie de la balade en fait.

- Il peut pas se la boucler celui-là parfois, râlai-je.

Mais je ne lui en voulais pas. Ric était une pipelette mais il n'était pas mal intentionné. J'aurais du tout avouer à Andromède bien avant, mais rien n'avait voulu sortir. À présent, je ne savais pas du tout comment agir, mais au moins c'était dit. Tout était dit, et, pour être honnête je me sentais assez libre moi aussi. Faut dire que le paysage s'y prêtait. Le ciel gris qui envoyait son vent nous défaire les cheveux et voler nos écharpes. Les vagues qui semblaient crier au même rythme que mes amis. Les mouettes qui faisaient des ronds au-dessus de nos têtes... Mais rien de tout ça ne semblait nous prier d'aller nous réfugier dans un intérieur chaud. Au contraire, on aurait dit que la météo vivait en même temps que nous quatre.

Pourquoi s'en faire ? Nous étions dans un cadre exceptionnel, entre meilleurs amis, profitant de ces vacances quasi-improvisées pour fuir tout ce qui nous écrasait. Je n'allais pas m'en faire.

- Profite, on verra plus tard, dit Tom semblant lire dans mes pensées. Ou peut-être ressentait-il lui aussi ce climat éblouissant dans lequel nous souriions tous ensemble.

Les deux redescendirent quelques minutes après pour continuer la balade. Andromède arrêta ses immenses yeux étoilés dans les miens et me sourit le plus fort possible la bouche fermée. On savait toutes les deux. Cette fois ce n'était plus des mots remplis de sous-entendus, mais un silence de certitude. Je lui rendis timidement son sourire, et nous continuâmes notre balade tous les quatre, en parlant de tout sauf de ça. Je n'avais sûrement jamais été si heureuse qu'à ce moment là, voyant Icare sautiller partout, Andromède rire à plein poumons, et Tom déblatérant mille bêtises à la seconde. La collision ne me semblait plus du tout tragique à présent.


CollisionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant