53 - Tous les 4 ans

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Andromède


Minuit quarante trois. Cela faisait presque trois quarts d'heures que nous avions changé de jour. 29 février. Une date qui ne montrait le bout de son nez qu'une fois tous les quatre ans. En suivant cette logique, je pourrais n'avoir que cinq ans. Je pourrais tout juste commencer à apprendre le monde de dehors, jouer au parc, pleurer lorsqu'on me sert des carottes à table. Mais j'en avais bien dix-neuf aujourd'hui, et je pleurais pour des raisons qui n'auraient pas effleuré mon esprit à cinq ans. Tonton Claude était toujours là à l'époque. Dans quelques heures, j'aurais entendu une voiture s'engager dans l'allée, la lourde porte se fermer, les « bienvenue » de maman, et le bruit de grosses bottes foulant le couloir avec légèreté.

Il m'aurait réveillée avec une main dégageant mon front, et je lui aurais aussitôt sauté dans les bras, ayant pendant tout ce temps fait semblant de dormir.

Il venait tous les ans, au denier week-end de février, que l'on fut une année bissextile ou non, pour fêter mon anniversaire. Tous les ans, jusqu'en 2015. Depuis cette année là, il n'y avait plus eu de fête. Seulement un petit cadeau de la part de ma mère, et, une promesse de sortie une fois tous les quatre ans. En 2016, j'avais demandé à ma mère de m'amener au cinéma. C'était tout. Mais, cette année, je n'avais envie de rien. Je n'étais même pas sûre que ma mère ne se rappelle que cette année contenait un 29 février, puisqu'elle ne m'avait même pas parlé de sortie. Même si ça me faisait de la peine, j'espérais que ce soit le cas. Je n'avais pas l'énergie pour faire semblant de sourire. J'avais besoin d'au moins quelques jours pour me remettre en rails. Reparler à Icare, et ignorer encore que le manque d'Ophélia me tiraillait tout le corps. À vrai dire, je regrettais de m'être disputée avec Icare. Même si il n'y avait pas eu de dispute à proprement parler. Juste moi qui l'évitais. Il était la seule personne qui aurait pu rendre mon anniversaire un peu plus supportable.

Mais je ne lui parlais plus.

Je regrettais aussi de n'avoir pas plus parlé avec Tom, de ne pas tout lui avoir dit. Il aurait pu me rassurer et me remonter le moral, mais je n'avais pas voulu l'embêter.

Je ne pensais à cet instant qu'au réveil morose auquel j'aurais le droit dans quelques heures, et cela m'empêchait de trouver le sommeil. Ou peut-être était-ce moi-même qui me l'empêchait. Aussi bête que cela puisse paraître, pas de sommeil signifiait pas de réveil. Et j'aurais tellement de mal à ouvrir les yeux après une nuit à rêver dans d'autres univers que celui-ci.

___

Mais c'était sans compter les bruits que j'entendis dans la maison, quelques heures après, sans même m'être rendue compte que je m'étais endormie.

Des bruits de pas que j'entendais désormais dans le couloir, en direction de... ma chambre ?! Quelqu'un toqua à la porte, et après mon approbation curieuse, s'ouvrit au ralenti.

- Bonjour, Andromède, chuchota doucement la voix d'Ophélia.


_____

Ophélia


Elle était là, devant mes yeux. Il était onze heures du matin et j'avais interrompu son sommeil. Je m'en voulais. En pyjama, des cernes violet foncé sous ses yeux rouges, ses cheveux tout emmêlés, elle tira la couette vers elle, comme pour se protéger. J'avais souvent vu ses yeux de cette couleur, mais jamais avec le même éclat. Une fois la stupeur envolée, je croyais y décerner... De la colère. Et jamais au grand jamais je n'avais vu mon amie en colère. C'était un sentiment bien trop dur pour le pureté de ses yeux. Malgré tout ça, je n'arrivais pas à dire à mes yeux d'arrêter de la dévorer à en faire exploser mon cœur. Elle demeurait aussi magiquement belle qu'à son habitude.

CollisionsWhere stories live. Discover now