47 - Mon pauvre cœur est un hibou

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Andromède

Après avoir fini la chanson, je m'étais rendue compte que trois êtres aux yeux grands ouverts me fixaient. Tout le long je n'avais regardé qu'Icare et sa guitare, mon chant n'était pas fait pour être entendu. Je leur fis un sourire timide tandis que le rouge me montait aux joues, puis parti directement vers les toilettes. Après deux minutes seule de répit, soufflant un bon coup, je revins en direction du salon où je vis mes trois amis s'échanger des exclamations et quelques réprimandes, qui s'arrêtèrent dès que je franchis la porte. Bien décidée à faire comme si de rien n'était, je les ignorais et retournai m'asseoir avec les gens que j'avais rencontré ce soir. Ils étaient vraiment gentils et drôles, on rigolait beaucoup ensemble et j'étais contente de réussir à m'intégrer parmi eux. L'alcool aidant un peu, je l'admets. J'avais notamment fait la connaissance de Léa, une personne adorable avec qui j'avais beaucoup en commun.

- Je t'ai un peu entendue chanter à travers tout ce bruit, m'accueillit-elle. Tu as une voix très douce, c'était quoi ?

- Merci beaucoup, répondis-je timidement. C'était Sur la place, de Jacques Brel.

- En tout cas ça se voit que tu l'aimes beaucoup.

- De qui ? Paniquai-je.

- Et bien, Jacques Brel ! S'exclama-t-elle en rigolant, de suite suivie par moi.

Nous continuâmes à parler, tandis qu'Icare s'était remis à jouer.

- I fell in love with the seasiiiiiide, entendis-je d'une oreille.

- Triple idiot, c'est pas with the seaside, c'est AT the seaside.

- Ah ouais je savais pas.

- Ben maintenant tu sais.

- I FELL IN LOVE WITH THE SEASIIIIDE...

- QU'EST-CE QUE JE VIENS DE TE DIRE SHAUN LE MOUTON ?! Tu fais exprès ou t'es complètement con ?

- Les deux je pense, s'en était mêlée Ophélia.

- Ils sont pas croyables ces deux là, ria Léa. On s'entend même plus parler. Bref, je te disais...

J'écoutais Léa me parler de sa chanteuse préférée, mais je remarquai aussi Ophélia qui ne bougeait plus vraiment du canapé, et s'exprimait seulement pour lancer des piques à Icare quand il le fallait. Je commençais un peu à m'inquiéter. Ce foutu Sam avait fini par la laisser seule et je me demandais si elle n'avait pas un peu trop bu. Et puis, il commençait à se faire tard.

À la fin de notre conversation, je laissais Léa avec les autres, et m'installai près d'Ophélia sur le canapé, en lui tendant un verre d'eau.

- T'as pas l'air très bien Ophélia, tu peux aller te coucher si tu veux.

- Il est quelle heure ?

- Trois heures et demi.

- Quoi ?? mais qu'est-ce que j'ai fait tout ce temps ? J'ai loupé la nouvelle année.

- Et bien, t'as bu. Et t'as fait des escapades avec Sam.

- Ouais, j'aurais pas appelé ça des escapades mais ouais. Je pensais pas qu'il était si tard.

- Tu fais que bailler, personne t'empêche d'aller dormir. On peut s'assurer que personne fasse de bêtises dans ta maison pendant que t'es pas là.

- Ouais, non c'est pas ça le soucis. Même si pour gérer Icare et Tom il faut beaucoup de force mentale.

- C'est quoi le soucis ?

- Ben... J'ai pas envie que ça se termine.

- On en refera d'autres des soirées t'inquiète pas.

- Ouais mais j'ai peur que ça signe la fin de tout. À la fin de cette nuit, vous allez rentrer chez vous, on sera en 2020 et Tom va nous quitter. J'essaie de pas trop le montrer, mais ça me fait peur. J'ai beau côtoyer d'autres gens, vous êtes les meilleurs amis que j'ai jamais eu. Je sens que c'est la fin d'une ère, et elle a été bien trop courte. Et j'ai pas envie de finir avec des regrets.

- Ça me touche que tu le ressentes aussi comme ça. Je crois qu'on pense tous pareil.

- Je m'en veux un peu d'avoir passé la soirée avec Sam. Je voulais pas affronter la réalité.

- C'est pas grave Ophélia, on était contents que tu t'amuses. Et puis, c'était qu'une soirée, on a fait exprès de pas rester que tous les quatre et de se mêler à d'autres amis. Et, si Sam te plaît, c'est tant mieux. Crois-moi.

- Mouais.

- Alors, tu veux aller au lit ? Tu peux rester si tu veux mais je vois bien que tu t'endors.

- J'ai pas envie d'y aller seule.

- Oh d'accord, tu veux que je prévienne Sam que tu y vas ?

- Non.

- Je t'accompagne alors.

Je l'aidais à s'extirper du canapé, prévins Icare et Tom qu'elle allait au lit et ils arrêtèrent leur massacre de chansons pour lui faire des câlins.

- Bonne année belle demoiselle... commença Icare.

- Tu t'es cru dans une chanson de Christophe Maé ? intervint Tom.

- ... dors bien Oph', continua Icare. Je t'aime.

On s'étouffa tous après cette dernière phrase, qui sembla réveiller un peu la concernée.

- Ric, je pensais qu'on se détestait ! Tu gâches tout !

- Je t'aime comme une glace à la pistache Ophélia, tu me régales.

- Il est complètement pété je crois, fis-je remarquer.

- Mais t'inquiète, j'ai bien retenu la leçon, totalement platonique, que des gros bisous.

- Oh, non. Au secours, essayait de s'extirper Ophélia tandis que les deux garçons la serraient encore fort dans leurs bras.

- Mon pauvre cœur est un hibou, conclut Icare comme un au revoir à Ophélia.

- T'as pas fini avec tes délires de hiboux toi ? Râla Tom.

- Mais c'est du Apollinaire, ça veut dire que... En fait j'en sais rien.

Et on les laissa là déblatérer de hiboux et autres volatils nocturnes, tandis qu'on saluait le reste des gens et gravissait les escaliers.

_____

Ophélia commença à somnoler dès qu'elle eut posé sa tête sur son oreiller. Je m'étais accroupie à son chevet, m'assurant que tout allait bien avant de repartir.

- Andromède, grommela-t-elle d'une voix endormie, les yeux déjà fermés.

- Oui Ophélia ?

- Merci d'avoir chanté tout à l'heure.

- Oh et bien c'était rien, je le faisais pas pour quelqu'un d'autre que moi, je... rougissai-je, confuse.

- Tant mieux, c'est ça aussi qui rendait la chose belle. Ça m'a fait un sacré coup... dit-elle en sombrant dans le sommeil. Je suis tellement, tellement heureuse de t'avoir rencontrée.

Mon cœur s'emballait tellement que j'avais peur qu'elle l'entende, ou que les gens en bas l'entendent, ou que l'univers entier l'entende.

Mais elle ronflait déjà. J'abandonnais tout projet de retrouver la vie du rez-de-chaussée, et me préparai avant de me glisser moi aussi dans ses draps. Je regardai son visage si serein pendant quelques minutes, dans un moment que je craignais si éphémère, avant de m'endormir moi aussi.

CollisionsWhere stories live. Discover now