6 - Remue-ménage

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Ric

C'est peut-être idiot. J'ai jamais attendu personne.

Physiquement, je déteste quand quelqu'un est en retard. Il m'est déjà arrivé de m'enfuir au bout de cinq minutes d'attente d'une personne en retard à un rendez-vous. Le retard ça a le don de m'agacer.

Est-ce que j'ai ton temps moi, non mec je suis en train d'apprendre le piano comment tu veux que j'apprenne le piano si tu me fais perdre mon temps, je peux pas t'attendre et apprendre le piano en même temps, je peux pas amener mon clavier dans ta foutue rue en t'attendant, et le air piano n'est pas très efficace, j'ai eu le temps de tester durant ces longues minutes à T'ATTENDRE.

Ok ça c'est tout ce que j'ai jamais pu dire à la personne en retard car je n'ai plus eu de nouvelles après le gentil mot laissé à notre lieu de rendez-vous: «j'ai pas ton temps mec sois à l'heure la prochaine fois stp». Il n'y a pas eu de prochaine fois. Toute façon tant mieux, je fus rentré chez moi et eut improvisé sur du Brahms ; beaucoup plus constructif.

« Écriture à sauts et à gambades » disait Montaigne, quel farceur celui-ci. Donc je disais...

J'ai jamais attendu personne, psychologiquement. Je n'ai jamais compris ce fantasme qu'ont les gens à se dire que quelqu'un viendra les sauver de la douceur de leur enfer personnel. Un prince charmant qui toque à la porte d'une jeune fille en lui disant «fais tes valises chérie je t'emmène». Quelle horreur, le seul prince charmant que les filles peuvent légitimement attendre c'est le livreur UberEats qui sonne pour leur apporter leur commande. Ça c'est le vrai prince charmant, qui a fait le tour de la ville sur son vélo pour que ton bon repas soit chaud et que tu n'aies pas à te bouger.

Attendre une personne fantasmée qui viendra réaliser tous ces rêves que l'on garde au chaud... C'est assez idiot. J'ai pas vraiment de rêves moi, à part la mer, tout le reste c'est des élans de génie que ma mère appelle mes «lubies». Moi j'adore ce mot mais elle le prononce d'une manière négative. « Mes lubies »... ça sonne à mes oreilles aussi beau qu'un tableau de Klimt. Alors j'ai cherché la définition.

dictionnaire, Le Robert de poche:
lubie, n.f. idée, envie capricieuse.

et puisque je recoupe toujours mes sources (et que celle là ne me plaisait pas (pas très rigolo ce Robert)):

lubie , nom féminin
Sens 1 : Une lubie est un caprice, une fantaisie. Quelqu'un qui a une lubie a un désir soudain et spontané de mettre à l'oeuvre une idée jugée fantaisiste ou déraisonnable par les autres. La lubie est caractérisée par sa nature éphémère et passagère.

Traduction anglais : whim

merci linternaute.fr

J'ai barré le mot qui me gênait (caprice) et maintenant ça me plaît bien, oui, ça résume bien ma vie... À part la fin : mes passions n'ont rien d'éphémère! Il y a eu souvent des contretemps, de malheureux incidents qui ont fait que je n'ai pas toujours pu aller au bout de ce que j'avais laborieusement entrepris mais... les reproches de mon entourage n'avaient aucune raison d'être!

Mes lubies, donc. J'essaie de toujours m'y plonger sans l'aide de personne, (à part le garage de mes parents, d'où les reproches... apparemment une maquette du quartier, une piscine à boules et des instruments de musique fabriqués avec des bidons et des fils ça prend beaucoup trop de place sans avoir d'utilité... je suis pas d'accord, il y a plein de place dehors pour garer la voiture).

Mais aujourd'hui pour la première fois j'ai l'impression d'être à sec. Que mes idées n'arrivent plus à se lever et que mes lubies sont fatiguées. Alors j'attends. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas quoi. Peut-être que le livreur de pizzas m'emmène à Los Angeles à bord de son vélo électrique.

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Je m'étais rendu compte de l'absence du livre - le Rouge et le Noir - si tard qu'un déferlement de mails de retard de la part de la bibliothèquaire s'était abattu dans ma boîte de réception. Quelques jours après, je me suis dit qu'il serait temps de me rendre en Arthur Rimbaud à la bibliothèque et d'enfin rendre ce fichu livre afin d'arrêter le harcèlement perpétuel qui m'obligeait à ouvrir ma boîte mail. Mais impossible de le retrouver. Je m'étais mis à fouiller partout, mon étagère à livres, mon dessous de lit qui cache mille surprises (et surtout un affreux désordre), mon sac à dos, ma cachette secrète dans les toilettes, ma cachette secrète dans le salon, ma cachette secrète dans la chambre de ma sœur, ma cachette secrète dans... ok j'ai beaucoup de cachettes secrètes. J'ai donc cherché dans toutes celles-ci avant de me demander pourquoi diable aurai-je caché ce livre dans une de mes cachettes secrètes. Beaucoup de gens n'auraient pas trouvé cela surprenant venant de moi, comme ils disent que je ne fais que des choses insensées mais... je ne fais rien d'insensé, ils comprennent juste pas ma logique, moi je comprends ma logique. Et c'est pas logique de cacher un livre à rendre à la bibliothèque dans une de mes cachettes secrètes.

Bref, une demi-heure à mettre mon univers physique sans dessus dessous, et tout ça pour rien du tout. J'admets que ma logique a des failles, j'aurais pu la questionner avant de faire tout ce remue-ménage. Ça m'avait quand même permis de retrouver quelques bricoles dont : mon encre de chine, mon ancre porte-clef bateau, ma carte du désert de Gobi, une bouteille de Poliakov remplie à un quart, un bonnet que j'avais tricoté pour mon chat Bato (ok il devait être pour ma petite sœur mais j'avais échoué à mon objectif de taille),... et plein d'autres trucs super cools.

Je devais donc me rendre à l'évidence : je ne trouverai pas ce livre ici... une seule solution : je l'avais oublié. Ma seule chance était Andromède. Ou alors je l'avais laissé à la bibliothèque et il s'était rendu tout seul, ce qui m'arrangerait pas mal. Mais ça me donnerait un prétexte pour aller parler à Andromède.

Depuis quand avais-je besoin d'un prétexte pour parler ?

Décidément, l'attente ne me réussissait pas.

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