19 - Roméo ou Juliette

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Ric

Grillé. J'étais complètement grillé. Ça faisait quelques jours que je venais ici tous les jours pour la croiser, et aussi je l'avoue pour sortir un peu de chez moi... Bato assurait sans encombres la relève de la surveillance de la maison. Pourtant, je ne restais jamais longtemps, et ne l'avais jamais jusqu'alors aperçue. Mais il avait fallu d'une fois, d'un assoupissement, d'un cauchemar abominable sur cette fichue table, pour que je la croise. J'étais excité, heureux, je me sentais comme un espion ayant passé un nouveau palier de sa quête. Ouais, espion grillé. Comment expliquer tout ça sans passer pour un espèce de dérangé obsédé ou de pervers ? J'ai donc préféré garder cela pour moi avec honte et balbutiements.

Andromède s'assit à la table en me souriant, sans me faire remarquer que la bibliothèque était déserte à l'exception d'une fille et de son petit frère qui courait dans les rayons, et donc que mon « c'était la seule place de libre » avait une crédibilité qui frôlait les zéro pourcent. Elle avait un magasine sur le cosmos et avait déjà le nez plongé dedans, probablement pour éviter la gêne de prendre la parole.

Mes mains étaient moites et mon cerveau tournait à mille à l'heure. Comment lui proposer une soirée, chez des inconnus, avec que des inconnus, sans paraître bizarre, sans qu'elle croit que je veuille l'inviter en tant que rencard... Flûte, pourquoi Ophélia m'avait mis dans une situation pareille ? Et surtout pourquoi fallait-il que je sois assez têtu pour l'accepter ?

Sentant sûrement que je la fixais depuis un moment, elle leva la tête en m'offrant un sourire timide et des sourcils levés.

Ok, c'était mort, j'avais moi-même l'impression d'être un dérangé.

Comme si elle avait senti ma gêne éternelle, elle prit la parole sans se soucier de mon air de psychopathe :

- D'ailleurs, Arthur, j'ai vu que tu avais pris Twilight. Est-ce que tu as suivi mon conseil d'arrêter de te prendre la tête avec de la littérature classique pour revenir à des choses qui te plairaient à toi?

Je ne pense pas que j'aurais pu devenir plus rouge que ça. J'avais oublié que je m'étais endormi sur le premier tome de Twilight et essayai de le cacher sous mon coude.

- Hum... non, non, c'est... pour ma petite sœur! Non je ne lis que du Stendhal et du Proust moi tu me connais ! riai-je en essayant de garder ma contenance... Puis fondant tout à coup : Okokok tu m'as percé à jour, qui es-tu ? Que me veux-tu ? Qui t'as envoyé ? S'il te plaît ne me tue pas, je te donnerai toutes les infos que tu cherches, c'est Ginny qui a ouvert la chambre des secrets !

J'ai peut-être pris mon rôle d'espion un peu trop à cœur... Mais c'est qu'elle est plutôt intimidante et que je suis stressé, ne me jugez pas. Et puis, il fallait bien brouiller les pistes : bien sûr que non je n'avais jamais même OUVERT un livre Twilight, ni même un Harry Potter d'ailleurs...

- Tant mieux, j'en suis heureuse. Répondit-elle en souriant avant de replonger dans ses étoiles.

Bon, ça a été plus calme que prévu. Elle est si rassurante et douce, son aura me détendit tout à coup, sa gentillesse ayant pris le dessus sur mon effervescence incontrôlable.

Je décidai donc de prendre mon courage à deux mains et de l'inviter. Sans prendre d'inspiration, je me jetai à l'eau. «Soirée chez Ophélia ce samedi, on aimerait bien que tu viennes [«on», j'ai bien dit «ON»???]. Je te donne mon numéro et on y va ensemble si tu veux.»

Je l'ai dit comme ça. Ce n'était pas bizarre. Alors elle a accepté.

Je suis parti comme ça. Elle m'a dit «à ce weekend», comme ça. J'ai souri, comme ça. Et j'ai tiré la porte de sortie au lieu de la pousser, comme ça.

_____

Andromède

Ce garçon était tout bonnement improbable. Je me sentais de plus en plus à l'aise avec lui. Il me donnait toujours l'impression de ne pas être si insignifiante que je ne pourrais le croire. Je ne connaissais pas grand-chose de lui, on ne se croisait toujours qu'en coup de vent. Mais j'avais l'impression de plutôt bien cerner son caractère. Même si, un grand mystère planait toujours : que me voulait-il?

Et puis, pourquoi était-il si maladroit et gêné tout à l'heure ? Est-ce qu'il est venu exprès pour... me voir ? Mais comment savait-il que je viendrais pile à ce moment ? Peut-être qu'il me cherchait, peut-être qu'il m'aimait bien, qu'il avait envie de passer du temps avec moi ou... qu'il avait vu en cette soirée l'occasion de me proposer un rencard ? Mon cœur se mis à battre fort à cette idée. Il était mignon, intéressant, drôle, adorable... fou. Impossible de me concentrer sur quelconque livre avec l'image de son sourire dans mes pensées.

Je revins quelques minutes après sur terre. Tout ça semblait être bien trop tiré par les cheveux. Il avait du venir normalement, et tomber sur moi normalement, pour m'inviter normalement. Sans arrière pensée. Il invitait les gens qu'il connaissait ou qu'il croisait. C'était tout. Rien à voir avec une potentiellement sympathie pour moi... Attendez une minute. Un détail me revint. «une soirée chez Ophélia ce samedi»... «une soirée chez OPHELIA ce samedi»?

Aucune chance que je n'y aille. Il y aurait sûrement beaucoup, trop, de monde. C'était donc pour ça qu'il m'avait invitée. Cette fille était à l'aise avec tout le monde, elle avait du dire à tous ses invités de ramener d'autres gens. Peut-être même qu'Arthur/Mercutio était l'invité d'un invité du frère de la meilleure amie d'une invitée. Oui, tout cela n'était que le fruit d'un parfait hasard. Hasard avec beaucoup de coïncidences, mais hasard quand même.

Les jours suivants, je me mis à peser les pour et les contre. 20h. 13 rue des piverts.

Impossible que je m'y pointe :
- que des inconnus
- je me fais des films avec Mercutio
- je vais être gênée et gênante toute la soirée
- je ne vais pas pouvoir sortir un mot quand je verrai Ophélia
- il n'y aura aucun lit pour moi et je vais avoir envie de rentrer

Mais, quand même,
- il y aura Mercutio, je pourrais mieux apprendre à le connaître
- je pourrais peut-être enfin savoir son vrai prénom
- les gens seront sûrement bourrés et encore plus gênants que moi
- j'ai une chance de parler à Ophélia
- je pourrais demander à ma mère de venir me chercher si ça se passe mal

On était samedi midi et, je n'avais toujours pas contacté Mercutio. Je me rappelle soudain qu'il avait enregistré son nom dans mon téléphone. J'ouvris les contacts en soupirant : à quel nom devrais-je regarder ? Je n'avais pas beaucoup de contacts, alors le tour avait été vite fait : rien à la lettre M et rien non plus à A.

Désespérée, je regardais quand même tous les noms de mon répertoire un par un. Et... tombai sur une «Juliette». Mais comment ça Juliette ? Je ne connaissais aucune Juliette et il est complètement cinglé ! Super. Arthur, Mercutio, Juliette. Pour Arthur c'était Rimbaud ok, mais Juliette ? Le nom de Mercutio venait sûrement de la pièce de Shakespeare, alors, voulait-il y faire encore référence ? Mais alors il aurait plutôt choisi Roméo...

Ah non, non, non, je refuse d'être Roméo !

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