10 - Le dieu des salles de bain

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Ric

Tom a remarqué que j'étais pensif, plus ou moins déprimé. Il a cru que j'étais amoureux d'Andromède, j'ai dit que j'étais pas tombé amoureux depuis la fois où j'avais vu le live de « Since i've been loving you » au Madison square garden de 1973 sur youtube. Il m'a pas cru. Je lui ai avoué que ça c'était pas très bien passé la dernière fois avec Andromède et que j'avais pas l'intention de revenir me foutre la honte, et de toute façon j'y pensais plus trop. Je me rendais compte que j'étais assez désagréable avec lui en ce moment... Pas de quoi nous séparer mais je voulais changer d'air, et il le voyait, alors il s'était un peu éloigné. Il avait tout son groupe de potes, auquel je ne m'étais jamais lié, à part quelques uns. Et puis il y avait parmi eux sa fameuse Ophélia.

Pour une fois et pour me faire sortir un peu m'avait-il dit, Tom m'avait convié à une de leurs fêtes, où j'aurais l'occasion de voir du monde et de me vider l'esprit. Il n'avait pas compris que mon problème était justement que mon esprit était trop vide, mais je pris son invitation avec joie en me disant que j'allais pouvoir voir de nouvelles choses et m'enfermer dans la salle de bain pour les écrire. Une fête est toujours un lieu d'inspiration. Qu'elle soit mélancolique, solitaire, ou folle et ivre.

J'avais alors prié ma sœur de m'emmener, et par je ne sais quel miracle, je m'étais retrouvé sur le perron de Paul Margan, un illustre inconnu de la rue des Dunes, avec mon fond de poliakov qui s'était perdue et retrouvée dans ma cachette secrète numéro 3.

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Il n'était que 22h et je faisais déjà des expériences dans la baignoire de Paul Margan.

J'avais passé quelques temps en bas, gêné dans le couloir, gêné dans le salon, gêné dans la cuisine... J'avais finalement décidé d'être gêné dans une autre pièce, et m'étais alors aventuré à l'étage, où j'avais trouvé l'illustre salle de bains.

Ce n'était pas que les amis de Tom était agaçants ou inintéressants, c'était surtout que j'arrivais pas à en placer une et qu'à force de noyer le chagrin de mon ego dans les chips, tout le monde avait fini par me repérer comme « le gars qui est venu pour squatter la bouffe ». C'était pas très glorieux. Même si c'était pas si faux que ça.

Au final, j'avais pris mon sac et m'étais installé dans la baignoire pour gribouiller mon début d'ivresse. Je me destinais à une nuit joyeuse que personne ne viendrait gâcher, si seulement aucun des invités n'aurait l'idée de prendre une douche en pleine soirée. Je suis resté des heures là-dedans, à regarder le plafond blanc qui semblait reculer, à parler avec l'araignée qui végétait sur sa toile dans son coin, à tester les robinets de la douche... Dont celui du haut qui ne semblait pas fonctionner à part quand j'ai enfin trouvé le bon bouton à tourner et me suis pris une averse de douche alors que j'étais tout habillé... Les heures passaient et je remarquais une pendule : 10 heures 32. Avec effroi je regardai par la fenêtre, ayant peur de découvrir une matinée ensoleillée et des voitures qui repartaient. Mais c'était encore la nuit noire et les chats ne semblaient pas dormir. Il n'était que 22 heures 32 et j'avais passé seulement 30 minutes dans cette fichue salle de bain.

Tout à coup, j'entendis des voix dans le couloir, un garçon et une fille, si mon audition assez limitée ne me trompait pas. Je priais pour qu'ils ne viennent pas déranger mon ennui. Je préférais simplement m'ennuyer seul que m'ennuyer ouvertement devant les gens. J'aurais fait croire à une fatigue précoce qui m'aurait plongé dans des draps pour le reste de la soirée. Malheureusement, cette excuse n'était plus valable si des gens me retrouvaient dans cette baignoire. Le dieu des salles de bain ne semblait pas avoir écouté mes prières, car la porte s'ouvrit à grands bruits et se referma avec hâte : je maudis à ce moment là le rideau de douche qui me cachait de ces individus, car en entendant leurs souffles saccadés, leurs bruits de bouches et divers halètements, je devinais qu'ils n'étaient pas rentrés ici pour tester les robinets de la douche. Je ne faisais plus des prières mais des invocations silencieuses envers le dieu des salles de bain pour qu'il les fasse partir avant qu'il ne se passe quoi que ce soit. Je me bouchais les oreilles en me fulminant de n'avoir pas surgi dès leur arrivée : il n'était pas question que je me pointe maintenant après avoir entendu tout ce que je n'aurais pas du entendre. La voix masculine parlait pour la première fois à voix haute, ce qui m'empêcha de ne pas écouter ses propos... qui étaient plutôt dégueulasses. Je ne suis pas un vierge effarouché mais entendre son désir vulgaire me répugnait. La fille était alors devenue silencieuse tandis que lui continuait son manège. La scène me parut à présent louche. Mon malaise et le léger sens comique de la scène s'était à présent transformé en peur : j'étais tétanisé, mais tendais désormais mon oreille pour mieux analyser la situation. La voix féminine prit enfin la parole, mais sa voix était en totale contradiction avec à l'appétit du garçon. Elle était plutôt agacée :

- S'il te plaît enlève ta main, je veux pas aller jusque là.

Mon sang se glaçait à l'entente de la réponse rauque du garçon

- Allez j'ai bien vu tes intentions, sois pas timide maintenant, je veux juste te baiser.

- J'ai juste pas envie et tu... commença t-elle en tremblant avant qu'il ne la coupe.

- Arrête, fais pas ta chieuse t'as vu comme tu m'as allumé après t'assumes pas, qu'est-ce qui te fait peur c'est bon t'en as vu d'autres.

- Quoi ? Tonna-t-elle rhétoriquement, n'en croyant sûrement pas ses oreilles.

- Fais pas genre, la moitié des gars de cette soirée t'ont sauté, fais pas comme si t'en avais pas envie.

Il n'y eut comme réponse qu'un gémissement d'alerte étouffé, et je savais que j'aurais du les interrompre dès la première phrase du garçon, mais j'avais peur qu'il soit plus grand, plus fort que moi -ce qui n'était pas bien difficile- et que Tom doive appeler ma sœur le lendemain pour l'avertir en pleurant qu'on avait retrouvé mon cadavre dans une baignoire. Je n'avais aucune idée de comment agir, mille scénarios se déroulaient dans ma tête, et aucun n'avait une fin glorieuse pour moi. Quelques secondes infinies passèrent où j'entendais la fille se débattre, et s'en était trop pour moi. Je pris mon courage à deux mains et ouvrit le rideau de douche d'un grand geste. Je me retrouvai face à Paul Margan qui avait fait volte face, mais qui avait toujours le corps appuyé contre une fille bloquée entre lui et le mur. Je reconnus le visage plein d'effroi de... la belle Ophélia, les traits déformés par la haine mêlée à la peur. J'étais bouche bée devant la scène, tandis que Paul, dont la stature confirmait mes peurs, se détacha d'Ophélia et me prit violemment par le col. Il plongea ses yeux dans les miens comme si il voulait les faire disparaître, rapprocha son haleine empestée d'alcool et me scanda d'une voix lente :

- Si tu répètes à quiconque ce que tu viens de voir mec je te jure t'es plus que mort.

À ces mots, il partit en trombe de la salle de bain en laissant derrière lui deux semblant de corps rejoindre le sol tels des chiffons sans vie.

CollisionsWhere stories live. Discover now