3 - S'émerveiller de tout

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Andromède

Après mon incompréhension, la fois dernière, j'avais vu Ophélia se lever et marcher dans ma direction. Mon cœur n'avait peut-être jamais battu aussi vite. Elle n'allait sûrement pas vraiment dans ma direction, mais je ne le saurais jamais car à ce moment là un blond bouclé en chemise bariolée l'avait accostée. Ophélia était dos à moi alors je n'avais vu que les expressions du garçon et en avais déduit qu'ils devaient bien s'aimer: le rayonnement d'Ophélia semblait se refléter sur son visage. Mon cœur s'était arrêté et je me suis sentie stupide d'avoir imaginé qu'elle m'avait remarquée et qu'elle venait me voir. C'est vrai, j'avais tellement envie de croire que c'était mon nom sur ses lèvres que je l'avais sûrement imaginé. Elle devait connaître beaucoup de monde ici, et partout d'ailleurs.
Sur ce, ma mère avait décidé de rentrer, et j'étais bien contente de pouvoir détacher mes yeux d'eux.

J'y re-songeais sous la pluie. Peut-être ne suis-je destinée qu'à être spectatrice du monde et de ses acteurs.

Nous étions vendredi, un jour de cours comme les autres, après une semaine sans apercevoir ni Ophélia ni son prétendu ami. C'était drôle de constater que le temps avait changé du tout au tout en seulement une semaine. On était passé d'un soir d'été festif à une journée pluvieuse de cours. Ça sonnait bien la fin des vacances et le début d'une nouvelle année. En l'occurrence, ma dernière année avant les études supérieures.
D'habitude, je prenais le bus pour me rendre au lycée, mais ce temps gris et cette pluie m'avait appelée à m'y confondre. Alors j'arpentais les rues aux gens pressés et même si j'allais être trempée en arrivant, je sentais la vie dans tout mon organisme. C'est la sensation que j'aime le plus au monde et je me fais une joie de la chercher dans chaque moment, même le plus banals, surtout les plus banals. S'émerveiller de tout.

- Hey ! Salut toi, tu veux un parapluie ?

Un sursaut effrayé sortit de mon corps à l'entente de cette voix qui sortait de nulle part... ou plutôt de derrière moi.

Je n'y croyais pas mes yeux, il suffisait d'y penser et la personne apparaissait. Je croyais que ce genre d'étranges coïncidences n'arrivait qu'aux autres, pourtant il y avait bien dans la grisaille cet éclat.

- Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur... dit la voix d'un ton mi-désolé mi-amusé.

- Ce n'est rien, je... non merci ça ira, balbutiai-je.

- Non merci ? me questionna le blondinet.

- Euh pour le parapluie, souriai-je.

- Oh ! Et bien tant mieux car à vrai dire, je n'en ai pas non plus, ricana le garçon dont les bouclettes s'égouttaient devant les yeux, quelle drôle d'idée de sortir sans parapluie sous cette pluie !

Je ne compris pas bien sa remarque et me demandais s'il essayait lui-même de comprendre aussi pourquoi il n'en avait pas pris. Je n'avais pas encore répondu à sa phrase, mais cela ne l'empêcha pas de continuer en me demandant mon prénom tout en marchant à mes côtés.

- Andromède ?! s'exclama t-il avec ce que je pris pour de l'enthousiasme. C'est merveilleux ! C'est même mythique si je puis dire ! «Andromède sut plaire à Persée, quoique le ciel ardent de sa patrie eut bruni son visage. blablabla et la noire tourterelle est aimée d'un oiseau vert» Ovide, les Héroïdes, XV. Marrant, hein ? Moi je pense qu'Ovide là, il avait pas si raison que ça. Andromède on dirait une tourterelle noire mais en réalité je pense que c'est plus une sorte de joli colibri... ok j'y connais rien aux oiseaux. Mais soit. Persée il a beau être un héros mais au fond il a fait que la sauver, elle aurait du rien lui donner en échange, il la méritait pas, si c'était un vrai héro il l'aurait fait simplement pour sauver une belle âme et pas pour se taper une belle fille, tu crois pas ? Elle est pas toute sombre Andromède, c'est son destin qui l'était, rien n'était de sa faute et elle a du tout endosser. Andromède elle est pleine de couleurs, avec son courage et sa gentillesse. Toute façon aujourd'hui Andromède a la plus belle constellation et la plus belle galaxie alors Persée fait plus le poids. Après ça reste de la mythologie, on va pas s'enflammer.

Il avait enchaîné tout ce discours sans s'arrêter, je me demandais comment il avait fait pour respirer pendant tout ce temps. J'avais écouté silencieusement ce déferlement de pensées se mêler à la pluie sans savoir où il menait. Je me sentais assez ridicule de n'avoir dit le moindre mot mais comme nous franchissions le portail de notre établissement, il me lança:

- Et bien madame, nous voici arrivés et trempés alors je vous souhaite une vie trépidante, et ravi d'avoir rencontré une nouvelle Andromède ! Au plaisir !

Il s'engouffra dans une masse de gens avant que je n'aie pu lui répondre.

Le temps de reprendre mes esprits, mon corps s'était arrêté afin de digérer cette rencontre. Mon cœur se remplit de fascination pour ses propos plutôt dérangés et son grand sourire. Je n'avais pas vraiment eu le temps de tout comprendre tellement il parlait vite, mais ces mots me revinrent et j'ai eu l'impression qu'ils ne sortiraient plus jamais des parois de mon âme. « Et la noire tourterelle est aimée d'un oiseau vert », je n'avais aucune fichue idée de ce que cela pouvait signifier.

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Ric

Andromède, Andromède, Andromède... Ce nom mystérieux tapait dans ma tête comme la grosse caisse de Meg White dans Hardest Button to Button, depuis que je m'étais heurté à lui ce matin. Et puis pourquoi cette Andromède que je n'avais jamais croisé avait fait ce jour là le trajet que je fais tous les matins... Alors qu'il pleuvait des torrents et que ma voisine m'avait même proposé de me déposer en voiture pour éviter d'être trempé. Si je n'avais pas décliné l'offre, mon manteau ne serait sûrement pas en train de sécher sur le rebord de la fenêtre en plein cours, et... Je n'aurais pas fait une thèse orale sur la Andromède de la mythologie grecque.

La nouvelle Andromède moderne me plaisait bien, je l'avais trouvée amusante et intéressante, je me demandais à présent de quoi avaient l'air ses parents pour lui donner un tel prénom. Je les aimais déjà.

Les cours m'ennuyaient et j'avais besoin de secouer ma vie, dans tous les sens, d'aimer encore un peu plus jusqu'à n'en plus pouvoir, aimer et apprendre plein de choses maaais... pas des maths. C'est peut-être pour ça que je m'étais approché d'Andromède sans raison apparente. Pourquoi diantre était-elle en train de marcher sous cette pluie matinalement froide?

Je regardais Tom à l'autre bout de la salle, il semblait pris de fascination par les aiguilles de l'horloge qui ne fonctionnait plus. Un tic en avant... un tac en arrière... un tic en avant... ça donnait le mal de terre ce truc. Comme à mon habitude je pensais à mon navire qui devait se sentir aussi seul que moi là où il était à présent. Je n'avais pas la prétention de croire le faire vivre mais lui le ferait pour moi. Mon sol ne serait plus jamais figé, il n'y aurait plus rien au dessus de ma tête et je serais simplement livré aux tempêtes. Je voulais être marin.

CollisionsWhere stories live. Discover now