Chapitre 37 - 16h41

66 23 9
                                    

Le temps fut comme suspendu. La porte avait éclaté en deux. Un énorme trou béant la remplaçait, où pénétrait une lumière filtrée par la fumée et la poussière. Et alors que Julie fut persuadée que les fédéraux allaient débarqués, les attaques contre les murs reprirent. Will n'avait-il pas envisagé une protection mentale avant de partir ?

Julie devait trouver un moyen de les faire sortir. Peut-être y avait-il une issue que l'ennemi ne connaîtrait pas ? Il allait devenir difficile de rester là. Will pouvait arriver dans les prochaines secondes comme dans les prochaines heures et Julie ne pouvait pas l'attendre. Les agents allaient débarquer et venir...

... te chercher, compléta sa conscience.

Les coups ne s'arrêtèrent pas, toujours plus puissants. Même si la cible semblait être la façade principale, c'est l'ensemble du bâtiment qui encaissait. Les hauts piliers qui soutenaient la charpente se fissurèrent, et des morceaux de plâtre et de bois tombèrent lourdement sur le sol. À chaque attaque, ce fut comme si un mur d'air percutait l'entrée et se dissipait à l'intérieur. Les bancs craquèrent. Les petits meubles et étagères où étaient entreposés les cierges allumés se fendirent et déversèrent leur contenu sur la pierre. Même l'autel devant eux fut secoué ; tandis que le Christ chutait de son support.

Mais le plus inquiétant était ce tremblement sourd sous leurs pieds. Comme si la terre menaçait de s'ouvrir et de les emporter.

— Il faut partir, s'écria-t-elle. La basilique va s'effondrer !

— Elle ne peut pas tomber !

Contre toute attente, il se releva, avec une certaine maladresse. Julie l'observa et se mordit la lèvre. C'était à peine croyable. Elle avait l'impression que le vieil homme avait un regain de force. Il semblait toujours maigre et malade mais il paraissait avoir plus d'énergie en réserve.

— Vous êtes sûr que tout va bien ?

— De mieux en mieux. Elle revient, à coup sûr !

— Alors, trouvez-nous une sortie. Vite.

Le prêtre se leva et elle le suivit lorsqu'il s'approcha de l'autel, puis il bifurqua en direction de l'escalier qui menait aux sous-sols. Julie comprit rapidement quelle était la destination : l'issue de secours à l'arrière. Non ! À croire que la basilique ne disposait que de deux entrées. N'y avait-il donc pas une autre porte dérobée, même si pour cela il aurait fallu traverser à nouveau les souterrains, qu'elle redoutait tant ? Julie était prête à tout mais certainement pas à prendre un passage qui les conduirait sur le parking.

Ils se rapprochèrent du flanc ouest du bâtiment, le dos courbé, les mains tremblantes. L'issue de secours n'était qu'à une trentaine de mètres. Mais, comme si l'Ombre suivait leurs mouvements, une formidable attaque frappa l'aile, tel un coup de canon où Julie et le prêtre filaient. Les vitraux volèrent en éclats et répandirent des milliers de débris de verre à l'intérieur. Le mur fut zébré de profondes crevasses horizontales. A nouveau, la basilique trembla sur ses fondations et le grondement sous leurs pieds s'intensifia.

Oh, elle va vraiment s'effondrer ! gémit sa conscience. Dégage d'ici !

Julie et le prêtre échangèrent un regard terrifié, sans oser bouger. Quelle sortie pouvaient-ils espérer atteindre si l'Ombre détectait leurs déplacements ?


Brusquement, dans leurs dos, il y eut comme un souffle de soufre qui s'embrasse. Et un incendie se déclara.

La jeune femme ne sût jamais comment cela était arrivé — si c'était dû à une nouvelle attaque mentale des agents fédéraux ou si des cierges allumés qui avaient fini par toucher un matériau inflammable. Quoi qu'il en soit, le feu se propagea rapidement et les flammes gagnèrent en intensité. Uneépaisse fumée noire, se mélangea à la poussière suffocante, et envahit l'espace.

Julie comprit que sortir devenait vitale. Elle ne pouvait plus attendre le retour de Will. L'Ombre était toute puissante, comme Dave Trimax le leur avait dit. La jeune femme avait terriblement peur. Elle repensa à ce qu'elle avait éprouvé quand elle avait croisé la créature en squelette ambulant. Elle se souvenait du sentiment de bien-être et de puissance qui avait fourmillé dans son bas-ventre, en même temps que la terreur. Elle posa une main sur son abdomen. Elle n'avait plus rien senti depuis que le monstre avait été repoussé. Cette énergie était la clé de toute cette histoire et Julie ignorait comment la réveiller. Elle avait l'intuition que cela pouvait leur donner l'avantage. Ce fut comme si elle portait en son sein un pouvoir brut et indompté. Une force précieuse, qui devait être protégée. Julie devait survivre à l'attaque de la basilique. Ilne fallait pas qu'elle tombe entre les mains des agents fédéraux. L'Ombre menaçait cette énergie. Elle désirait l'annihiler.

Le prêtre s'élança vers l'arrière du bâtiment et la jeune femme fut sur ses talons. Mais, leur progression était difficile. L'air se saturait en fumée. Même en se courbant, Julie se mit à tousser. L'issue de secours réapparut dans son champ de vision.

— Attendez ! s'écria-t-elle, en se rendant compte que le danger ne provenait plus seulement de l'extérieur mais aussi de l'intérieur.

Si l'origine du feu était accidentelle, il obéissait désormais à une volonté malveillante. Les hautes flammes se mouvaient avec une grâce terrifiante. Au sol, elles léchèrent les débris de bois et les morceaux de poutre, pour se déplacer. Elles flambèrent tout ce qui entourait Julie et le prêtre comme si elles cherchaient à les devancer. Le Père Pascal observa en silence cette étrange danse de chaleur rougeoyante et presque hypnotisant. Les flammes se mouvèrent avec légèreté et se propageaient sur tous les matériaux possibles. Elles étaient hautes, effilées, produisant des étincelles et des particules incandescentes qui se perdaient dans l'épaisse fumée, en s'élevant dans la partie supérieure du bâtiment.

Julie n'était pas certaine de ce qu'elle voyait. Sa vision se troublait. L'air était saturé de fumé toxique et de particules incandescentes. Pourtant malgré le brasier infernal, la jeune femme vit l'impossible se produire. Un foyer de flammes sur leur droite explosa en une gerbe de feu qui atteignit plusieurs mètres de haut, jusqu'à attaquer le bois des poutres qui soutenaient le toit de l'édifice. Julie comprit que le feu allait tenter d'atteindre la sortie avant eux.

Le prête s'en aperçut également car il se redressa soudainement, prêt à repartir. Julie était sur ses talons. Il lui hurla de se dépêcher et ils se remirent à avancer vers la sortie. Jamais, elle n'avait vécu une telle épreuve. Elle ne se sentait pas bien. Elle avait trop chaud et cette chaleur lui roussissait sa peau. Il fallait faire vite, au risque de s'évanouir au milieu de ce brasier. Elle toussait et se plaquait une main sur le nez pour essayer de filtrer l'air qu'elle respirait. La tête lui tournait. Ils devaient se hâter. La sortie n'était qu'à une vingtaine de mètres.

Le feu fut plus rapide. Il progressait aisément depuis les charpentes de la basilique. C'était comme si les poutres étaient toutes imbibés d'essence. Les flammes embrassaient tout ce qu'elles touchaient, sans ralentir et enquelques instants, elles avaient atteintes l'extrémité du bâtiment.

Julie et le prêtre ralentirent l'allure à mi-chemin ; au moment où d'énormes poutres de bois calcinées s'écrasèrent devant la porte de secours. Et le feu s'embrasa de lui-même sur ce tas de bois, leur interdisant définitivement le passage.

Mais contrôlées par un esprit supérieur, les flammes restèrent à plus d'un mètre cinquante de Julie et du prêtre. Ils étaient figés, incapables de réfléchir. Puis, le vieil homme rebroussa chemin et contourna la jeune femme. Ils se rapprochèrent du centre. Les flammes s'écartèrent devant eux pour se refermer dans leurs dos. Même les poutres incandescent qui tombaient de la charpente les évitèrent.

Ils étaient pris au piège et dans quelques secondes, Julie aurait puisé ses dernières forces.

Will, y'a urgence, murmura-t-elle, en pensant chaque mot.

— Parce que vous croyez qu'il peut encore quelque chose, pour nous ? Vous ne voyez pas que Dave ouvre un passage à travers les flammes pour qu'on les rejoigne ? Il n'y a plus d'autres issues. Et c'est celle-là que je prends ! Maudit soit l'étranger !

C'est alors que le miracle se produisit.


Luciano et le retour de la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant