Chapitre 9 - 10h07

165 56 69
                                    

Quand elle reprit la direction du centre-ville, Julie n'avait pas décoléré. Sarah avait dépassé les bornes. Pourquoi fallait-il toujours qu'elle veuille tout décider ? Julie était assez grande pour faire ses propres choix, ses propres expériences mais aussi ses propres erreurs. Elle se rendait compte que son amie avait pris l'ascendant sur elle. Avec son caractère affirmé, Sarah l'empêchait de vivre. Elle était étouffante. Mais, à qui la faute ? C'est elle qui avait laissé cette situation s'installer. Cela s'était joué quelque temps après le suicide de son père, à un moment où la jeune femme avait été anéantie par le chagrin. Elle n'avait pas repoussé son amie quand elle avait eu besoin d'être soutenue.

Aujourd'hui, elle le regrettait.

Dans le ciel, le soleil continuait à grimper, rendant la vie toujours plus pénible. Les températures montaient et dans une heure, la canicule serait si terrible, qu'il serait dangereux de sortir. Julie n'avait pas eu le temps d'emporter son chapeau blanc. Tandis qu'elle marchait d'un pas rapide, elle repensa à sa meilleure amie. Le souci était qu'elle était constamment là. Les deux jeunes femmes passaient leurs journées ensemble et une nuit sur deux, Sarah prenait l'ancienne chambre de Chris. C'était une présence lourde à vivre. Julie ne se souvenait même plus de la dernière fois où elle s'était retrouvée seule une journée. Avant qu'il s'engage, Yann aussi s'en était souvent plaint. Et depuis qu'il était rentré de mission, c'est toutes les nuits que Sarah restait dormir. Cela faisait deux semaines que son amie n'était pas retournée chez elle. Il devait s'y passer des choses étranges. Julie sourit. Penser à son amie lui occupait l'esprit et le trajet jusqu'au bord du lac lui parut plus court.

Elle arriva au lac, par l'endroit où étaient amarrés les bateaux touristiques. C'était le même trajet qu'elle avait pris ce matin pour atteindre le pont où Will l'avait attendu... avant de disparaitre.

Il y avait de plus en plus de monde. Les bords du lac étaient littéralement envahis par des vacanciers, des étrangers principalement. Julie devait se frayer un chemin à travers des grappes de gens qui s'extasiaient du cadre. Pour arriver au rendez-vous, il n'y avait qu'un seul itinéraire à suivre : celui qui longeait le lac. L'Impérial était un célèbre bâtiment, qui apparaissait sur un bon nombre de cartes postales, au même titre que le Château et le Palais de l'Ile. La jeune femme mit encore un quart d'heure pour atteindre sa destination. L'Impérial était un grand bâtiment blanc, construit sur six étages, dont les fenêtres se découpaient sur son flanc immaculé. Le toit était noir, dont la partie centrale était surmontée d'une antenne haute et d'un paratonnerre. Julie arriva par l'arrière de la bâtisse, par le parc dont il était rattaché. Il y avait au rez-de-chaussée les baies vitrées du restaurant gastronomique. L'Impérial était un hôtel de luxe, qui possédait le seul casino de la région. L'édifice était magnifique avec son jardin toujours impeccable. Il était désaxé par rapport au centre-ville et placé entre la plage privée et celle qui était gratuite.

Julie ne fut pas surprise de constater qu'il était complètement désert. Pourtant d'habitude, l'endroit était bondé de touristes et d'habitués. Il y en avait toujours qui se promenait, d'autres qui flânaient dans les pelouses et les plus courageux qui y faisaient leur footing. Ce coin était toujours animé et plein de vie. Pourtant, ce matin, il était vide. À l'exception d'un jeune homme qui attendait. Julie sourit et fonça vers lui. Will était face au lac, les deux mains posées sur le muret en pierre, qui fermait le parc.

— Je suis content que tu aies pu te libérer, murmura-t-il en se retournant. Je sais combien il est difficile d'échapper à la surveillance de ton amie.

Julie trouva cette remarque déplacée. Il paraissait tout savoir d'elle. Elle sentait une nouvelle fois qu'on piétinait son intimité. Will secoua la tête, d'un air faussement contrarié.

— Je ne suis pas ce genre de gars, expliqua-t-il. Je ne suis pas non plus un inconnu ; en tout cas, pas depuis que la connexion ait été faite. Cela va te paraitre brutal et te faire peur mais... si je sais des choses sur toi, c'est que j'utilise ce lien. Toi aussi, si tu le voulais, tu pourrais l'exploiter et alors, je n'aurais plus aucun secret. Cela pourrait grandement accélérer les choses entre nous... mais as-tu l'esprit suffisamment ouvert ?

Julie secoua la tête, confuse et demanda :

— Où est David ?

— Il est parti, il y a quelques instants. Je sais que tu es là pour obtenir des réponses. Et tu les auras. Les agents fédéraux t'utilisent pour que tu les guides à moi et c'est exactement ce que tu fais ! N'avais-tu pas compris qu'en t'interdisant de me retrouver, c'est l'inverse qu'ils attendaient ? Je peux les ralentir, mais pas les arrêter alors il nous faudra aller droit au but.

Elle l'observa une seconde. Elle ignorait par où commencer. Il y avait tant de questions qui lui brulaient les lèvres, mais par lesquelles débuter ? Et puis, elle fit un tour sur elle-même en écartant les bras. Ceci ferait un excellent point de départ.

— Qu'est-ce qui se passe, Will ? Personne ne s'approche de toi. C'est comme si tu dégageais un magnétisme qui éloigne les gens. Tout à l'heure... sur le pont... c'était juste magique. Dis-moi comment tu fais et pourquoi. Tu es recherché... alors pourquoi ne pas te fondre dans la masse pour disparaitre ? Et même ça, comment peux-tu le faire ? C'est quelque chose qui défie à peu près toutes les lois de la physique. Et qui sont ces agents fédéraux ? Je n'en avais jamais entendu parler !  Et d'abord, qui es-tu Will ?C'est ton prénom, n'est-ce pas ?

À nouveau, Will sourit, amusé. Il était beau et semblait tellement insouciant. Il était difficile de croire qu'une personne aussi rayonnante que lui puisse être traquée. Ses cheveux roux étaient en bataille. Les reflets du soleil accentuaient ses taches de rousseur sur son nez et ses pommettes. Julie l'observa et elle sentit son cœur s'accélérer.

— Cela fait beaucoup de questions et j'essaierais d'y répondre. Si je suis dans cette situation délicate, c'est autant pour ce que j'ai fait que pour ce que je détiens. Ils ont percé mes secrets et sont désormais prêts à tout pour me les arracher. Ils pensent que ce que je protège menace l'équilibre du monde. La vérité, c'est qu'ils ont raison. Ils sont aussi intéressés par qui je suis. Je suis une énigme qui n'a pas lieu d'exister.

À mesure qu'il parlait, Will se rapprochait. Un pas après l'autre. Le vent se mit à souffler et à balayer leurs cheveux. Elle se sentait bien. La menace de l'agent Daniel semblait maintenant insignifiante. Pourtant, malgré le fait que les battements de son cœur s'intensifiaient à chaque pas qu'il faisait vers elle, Julie redoubla sa concentration pour ne pas louper un seul mot qu'il prononçait. Arriva le moment où Will était si près d'elle que leurs corps s'effleurèrent. Et là, elle dut légèrement lever la tête pour continuer à le regarder dans les yeux. Il lui murmura une phrase, comme une confidence, qui fit basculer sa vie :

— Je ne suis pas un homme.


Luciano et le retour de la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant