Luciano et le retour de la lumière

Prologue (2/2)

Le silence tomba dans les tribunes et sur les chaises pliantes, devant la démesure du feu d'artifice. Les explosions se succédaient à un rythme effréné. Les déflagrations étaient puissantes et faisaient trembler le monde. Pourtant, malgré la beauté des lumières, Julie avait du mal à se concentrer sur le spectacle. C'était plus fort qu'elle, elle ne cessait de lui jeter des coups d'œil. Elle le faisait le plus discrètement possible. Il ne se tourna pas vers elle. Les vives couleurs des pétards l'éclairaient. De toute évidence, il s'était préparé pour la soirée. Il était rasé de près et avait du gel dans les cheveux pour leur donner un effet décoiffé. Il portait un pantalon et une chemise blanche. Les traits de son visage étaient doux. Il avait des sourcils fins, des lèvres étirées et des pommettes creusés. Le cœur de Julie tambourinait dans sa poitrine.

Au bout de quelques instants, elle finit par se tourner vers le lac. En temps normal, elle aurait été impressionnée par la mise en scène exceptionnelle du feu d'artifice. Tout était chorégraphié sur des musiques entrainantes : les détonations, les explosions qui retombaient en rideaux argentés et scintillants, ceux qui explosaient dans des flashs lumineux, et ceux qui dévoilaient de nouvelles formes inédites, couplés à des fontaines d'artifices posées sur des plateformes sur l'eau. Brusquement, le concert pyrotechnique gagna en intensité. Tout explosa simultanément, provoquant une impressionnante fumée grise. La première phase venait de se terminer en un véritable bouquet final.

Une séquence plus douce débuta ; plus poétique aussi. Il fallait suivre des animations sur l'eau, faites de jets d'eau et de lasers lumineux. Julie n'en avait cure. Elle reporta immédiatement son attention sur lui. Son cœur tapait si fort qu'il en devenait délicieusement douloureux. Maintenant que le spectacle s'était calmé, ce garçon allait-il enfin lui adresser la parole ? Elle avait envie qu'il lui fasse la conversation ; qu'il reprenne ces airs de gentleman et qu'il la courtise. Elle voulait qu'il s'intéresse à elle. 

Mais, le garçon restait obstinément tourné vers le lac, mais un sourire se dessina sur ses lèvres, comme s'il s'amusait de la situation. Pour Julie, le silence devenait pesant, presque insupportable. Elle le rompit, en demandant, un peu gauchement :

— Alors, d'où viens-tu ?

Elle était volontairement passée au tutoiement. J'aimerais savoir si tu habites dans les environs et si j'ai une chance de te revoir, pensa-t-elle. Il tourna la tête vers elle, puis il recula le buste en prenant appui sur ses deux mains. Son sourire ne le quitta pas.

— Je n'habite pas la région. Je viens d'ailleurs, d'un monde qui t'est inconnu. Je ne reste pas. J'envisage de partir dès demain.

Julie allait ouvrir la bouche pour lui demander qu'il s'explique, mais le feu d'artifice reprit avec frénésie et enchaina les explosions assourdissantes et colorées. Les bouquets furent si intenses que la jeune femme fut coupée à chaque fois qu'elle voulait parler. C'était frustrant. Elle ne fit plus attention au déluge de feu qui trouait les cieux. Toutes ses pensées étaient tournées vers cet étranger. Il la troublait. Pourquoi ne lui parlait-il pas ? Elle n'était pas habituée à laisser un garçon indifférent alors pourquoi n'essayait-il pas de lancer la conversation ? Elle aurait tellement voulu qu'il lui parle. Et qu'avait-il voulu dire par « je viens d'un monde qui t'est inconnu » ? Comment pouvait-il affirmer les choses qu'elle ne connaissait pas ? Que savait-il des choses qu'elle connaissait et celles qu'elle ignorait ? Julie avait pourtant posé une question simple. Elle ne s'était pas attendue à une réponse aussi décalée.

Alors que le ciel continuait à s'embraser, l'inconnu se tourna vers Julie, qui sentit son cœur faire une embardée. Il avait toujours ce sourire charmeur. Il plongea son regard dans le sien. Cette dernière se sentit happée par cet échange. Même avec toute sa volonté, jamais elle n'aurait pu s'en détourner. Elle n'en avait jamais croisé d'aussi profond. Elle eut l'impression que le temps s'arrêtait, comme si la magie ou une autre force surnaturelle prenait possession de ce moment. Combien de temps cela dura-t-il ? Quelques minutes ? Quelques heures ? Plus rien ne semblait avoir d'importance. Quelque chose naissait entre eux. Quelque chose de fort que Julie n'avait absolument pas prévu. Et elle mit rapidement le doigt dessus. Un coup de foudre. Alors qu'elle avait abandonné ces amis et son petit ami à une soirée, Julie avait rencontré un garçon qui la faisait chavirer. D'une manière totalement inédite et déraisonnable, elle se sentit attirée par lui. C'était une attraction qui n'était pas seulement physique. C'était plus profond et intime. Maintenant qu'ils se dévisageaient, Julie avait désormais besoin d'un contact. Elle voulait qu'il lui effleure la main, qu'il fasse le premier pas.