Chapitre 27 - 14h21

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C'est avec une sourde angoisse que Julie vit son frère s'avancer vers l'entrée. Yann dut le sentir. Il avait toujours été réceptif à ses états d'âme. Il vint naturellement se placer devant elle, en lui frictionnant les bras. Chris n'avait pas conscience de ce qu'il s'apprêtait à faire. Il n'y avait aucun doute. C'était la créature qui, tapie dans l'obscurité de la tempête, s'apprêtait à sur elle dès que son ainé aurait ouvert.

Alors que Julie gémissait de terreur, Chris, talonné par Sarah, ouvrit la porte. Et contre toute attente, ce n'était pas une bête sauvage qui attendait, mais un homme qui tentait de s'abriter du déluge. Julie ne le reconnut pas immédiatement. Il était vêtu d'un grand imperméable noir et d'un chapeau qui lui masquait la moitié du visage. Il était trempé et malgré son état, Sarah ne semblait pas enclin à le laisser entrer. Elle le jugeait du regard. C'est alors que l'homme défit très légèrement son manteau, dévoilant un col religieux blanc.

— Oui ? demanda Sarah, restant obstinément devant la porte.

— Je suis le Père Pascal. Je suis venu voir Julie Favre. Puis-je entrer ?

Sarah continuait à lui bloquer le passage.

— Mon Père ! s'exclama cette dernière, en passant devant tout le monde. Je vous en prie, entrer donc ! Ne restez pas sous la pluie. Attention, Sarah, décale-toi. Chris, prépare une tasse de café.

— Je ne voudrais pas inonder la maison, objecta-t-il.

— Ne vous inquiétez pas, Sarah relavera.

Le prêtre fit quelques pas à l'intérieur. Les deux hommes échangèrent une poignée de main chaleureuse. Puis, le vieil homme se tourna vers l'intérieur, qu'il observa avec intérêt et se laissa guider jusqu'à la cuisine. Chris fit un café à leur hôte. Sarah restait à distance, gardant un air hermétique. Yann prit une chaise autour de la table, mais personne ne pipa mot. Tout le monde ignorait ce que cet homme faisait chez eux, y compris Julie. Chris déposa une tasse fumante entre les mains du vieil homme. Sarah disparut dans les couloirs et revint avec des serviettes chaudes. Il s'épongea le visage et se sécha partiellement les cheveux.

— Il avait une bien belle demeure, fit-il. Je n'étais jamais venu. Il ne m'avait jamais invité.

— Est-ce que vous voulez vous changer ? demanda Yann. Nous devons avoir des affaires à Chris. Si vous gardez ces vêtements trempés, vous tomberez malade.

— C'est inutile. Je ne reste pas.

Le Père Pascal regarda Chris, qui l'observait en silence et déclara :

— Je l'ai bien connu votre père, vous savez. C'est moi qui les ai marié, vos parents. Et je vous ai aussi baptisé tous les deux, Christopher et Julie. Il était prévu de faire celui de Romain si les choses n'avaient pas mal tourné.

— Sivous le connaissiez si bien, peut-être vous expliquait-il pourquoi il nousabandonnait des mois entiers ? attaqua Chris, toujours hérissé lorsqu'il évoquait leur paternel. Je suis désolé. Je ne garde pas un bon souvenir de lui. L'endroit où il partait n'a aujourd'hui que peu d'intérêt, mais...

— Denis Favre était quelqu'un d'important, répondit le prêtre d'un air grave. Il était son petit protégé. Il lui laissait faire tout ce qu'il voulait. Mais, ce n'est pas à moi de vous en parler. 

— Qui, alors ? s'impatienta le jeune homme. Ce type que Julie a rencontré ? Je le sens qu'il est lié à mon père. Et je n'aime pas ça. J'ai peur que cela ne déterre de vieux démons. Il y a des sujets qui ne doivent pas être évoqués.

— C'est vous qui avez posés la question... Qui a-t-il dans le passé, que vous craignez ?

Julie était captivée par ce qu'elle entendait. Chris confirmait ce qu'elle avait redouté. Il lui cachait des choses. Il y avait des secrets qu'il ne souhaitait pas aborder. Est-ce les mêmes choses que Romain avait fini par découvrir ? Qu'est-ce que Chris pouvait bien lui dissimuler ? Le regard du prêtre s'écarquilla alors, comme si, enfin, il comprenait. Il ouvrit la bouche et Julie fut certaine qu'il allait divulguer l'information lorsque son ainé lui coupa la parole et l'aiguilla vers un sujet précis :

— Mon père était un homme important, vous dites ? C'était un lâche qui est allé se suicider dans sa voiture au fond d'un ravin. Nous ne gardons pas le même souvenir de lui.

— Grace à Iliane, Denis a compris quel était le sens de la vie. Il a occupé un poste important au sein des Alliés. En vérité, son suicide n'en était pas un. Enfin, pas comme où vous l'entendez. Votre père était un homme traqué parce qu'il savait des choses qui compromettaient la sureté nationale. Il était fiché par les services de renseignements. Parmi les Alliés, il existe une règle qui consiste à avaler une pilule de cyanure quand vous êtes certains que vous allez tomber aux mains des agents. Ce suicide n'était pas un geste d'une personne désespérée ; bien au contraire, c'était celui de quelqu'un qui se bat pour la vie. Denis n'avait pas d'autres choix, car il allait tomber. Il détenait trop d'informations compromettantes. Il a préféré emporter tous les secrets de l'étranger avec lui. Il a voulu partir comme un héros.

Chris ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit.

— Votre père s'est tué pour avoir été un messager de la lumière.

Julie observa silencieusement son grand frère, qui encaissait le coup. Il leva ces yeux vers elle. Il semblait comprendre qu'elle était au courant, et elle hocha doucement la tête comme pour confirmer ses soupçons. Elle le vit réfléchir. Peut-être faisait-il un lien avec le peu d'information qu'il détenait, à savoir que Julie avait aussi fini par faire cette même rencontre et qu'elle devait également connaitre certains secrets qui touchaient à la sureté de l'état.

L'homme religieux se leva et s'approcha de la baie vitrée, mettant fin à la discussion. Il tenait toujours à deux mains sa tasse de café. Chris resta à table. Julie se doutait que son ainé voudrait obtenir plus de précisions et qu'il essaierait de lui parler, en aparté. Mais, elle n'était pas prête à partager ses secrets alors qu'il en avait également. La jeune femme se détourna de lui et s'approcha du prêtre, espérant glaner quelques informations supplémentaires sur qui était Will et peut-être aussi sur ce que cachait son grand frère. Mais, le vieil homme la devança et lui demanda :

— Où en êtes-vous dans votre formation ? Vous a-t-il tout expliqué ? Il y a tellement à connaitre. Il m'a dit que le troisième fragment de la lumière sommeillait en vous. Cela fait de vous une personne importante qui s'apprête à faire face à une terrible épreuve pour s'accomplir. Iliane ne pourra pas vous aider dans ce combat qui va être le vôtre. Mais, il doit vous enseigner sur comment vous élever spirituellement. C'est votre unique chance pour vous en sortir.

Julie jeta un coup d'œil autour d'eux pour s'assurer que personne ne les écoutait.

— Je ne comprends pas. Je n'ai pourtant rien de spécial.

— Vous a-t-il expliqué les différences fondamentales qui séparent les êtres humains des hommes ? Vous a-t-il fait son discours sur la planète que les hommes détruisent ? Vous a-t-il informé sur comment utiliser le pouvoir de l'esprit ? Comment fonctionnent les énergies simples, intermédiaires et complexes ? Comment il s'y prend pour disparaitre ?

— Arrêtez, coupa Julie qui commençait à avoir mal à la tête. Je sais seulement pour Luciano.

Sarah s'approchait. Cette dernière demandait s'il y avait une réunion à laquelle elle n'était pas conviée. Personne ne lui répondit. Le Père Pascal continuait à siroter son café, les yeux perdus au-delà de la baie vitrée, là où l'orage sévissait. Julie se força à regarder également. Un frisson la traversa quand elle vit la puissance de l'ouragan qui frappait la ville. Dans le ciel, les nuages étaient si noirs et si épais qu'ils se fondaient dans l'obscurité. Les bourrasques emportaient tout sur leurs passages : déchets, conteneurs et aussi des petits arbres. Les éclairs tombaient à un rythme effréné. Mais le pire pour elle était la pluie torrentielle qui s'abattait sur la ville. Jamais, Julie n'avait vu un tel orage.

Sarah murmura, assez forte pour être entendue :

— Je ne sais toujours pas ce que vous faites là, mon Père.



Luciano et le retour de la lumièreWhere stories live. Discover now