Chapitre 5 - 8h41

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Yann arriva d'un pas décidé, les poings serrés, les sourcils froncés. La discussion que Julie venait d'avoir avec Sarah avait été éprouvante, virant à l'affrontement, mais elle sentait que ce qui s'annonçait avec lui allait être pire. À peine, se fut-il installé sur la chaise entre les deux femmes, qu'il attaqua : où étais-tu et avec qui ?

Yann était un jeune homme, grand, aux épaules larges. Il portait un débardeur serré qui mettait en avant son corps. Même à travers le tissu, Julie voyait le contour de ses muscles. Il aimait être regardé et faisait tout pour l'être. Il avait la peau bronzée, les cheveux courts, issus de la coupe militaire obligatoire. Yann avait le visage dégagé, de magnifiques yeux marrons et la mâchoire carrée. Il allait avoir dix-neuf ans. Il avait dix mois d'écart avec Julie et Sarah, qui venaient d'atteindre la majorité.

Il avait fait irruption dans la vie de Julie, à l'école primaire. Ses parents s'étaient installés sur la région et avaient voulu inscrire leur fils unique dans la plus prestigieuse école privée. Il était arrivé à la fin du CM2, et dans une autre classe que celle des deux amies. Il affirmait être tombé amoureux dès le moment où il l'avait aperçue dans la cour. Il avait cherché à savoir qui elle était. Il avait fait en sorte de se rapprocher d'elle puis peu de temps avant la fin d'année scolaire, il lui avait dévoilé ses sentiments. Il avait passé les derniers jours avant les vacances d'été à lui ouvrir son cœur de toutes les manières possibles et imaginables. Yann était un romantique et cela avait toujours fait papillonner Julie. Et puis, l'entrée au collège et la préadolescence avaient accéléré les choses entre eux. C'est en cinquième qu'ils échangèrent leur premier baiser, timide et gêné. Dans le courant de l'année de sa troisième, Yann découvrit la musculation. Une passion qui bouleversa sa vie et ses habitudes. Yann était aussi le garçon idéal : doux, attentif, respectueux, prévenant et gentil. La seule ombre était le soir où il avait pété les plombs. Lors du dernier anniversaire de Julie où il était carrément devenu violent. Julie et Yann avaient vécu une belle histoire. Tout aurait continué à être parfait... mais il y a douze mois, il avait réuni la bande, dans la même brasserie où ils étaient aujourd'hui, et il leur avait fait part de son envie de s'engager. Et avant que quiconque ait compris ce qui arrivait, il leur avait remis sa lettre d'admission à la caserne du 27e bataillon des Chasseurs alpins.

— Julie, est-ce qu'au moins, tu m'écoutes ?

Il posa sa main sur la sienne, d'un geste presque hésitant.

— Qu'est-ce qu'il te voulait, David ? insista-t-il. Tu le revois ? C'est avec lui que tu étais ?

Le cœur battant à toute vitesse, elle leva le regard et lui avoua :

— Je ne sais plus où j'en suis.

— Là n'est pas le sujet, intervient Sarah d'un ton brut.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? fit Yann, les yeux écarquillés.

— Tu es parti, voilà ce qu'il y a ! Tu t'es engagé en me laissant ici. Et dans quelque temps, tu repartiras repousser. Et selon toi, je devrais t'attendre !

Le patron de la brasserie sortit en personne leur servir la commande. Il déposa un thé menthe à Yann et deux cafés pour Sarah et Julie. Ils échangèrent quelques mots, mais personne n'osa aborder le passage de David. Puis, l'homme retourna dans son établissement. Yann tenait toujours la main de Julie et la regardait avec intensité. Un sourire finit même par étirer ces lèvres. L'ambiance se réchauffait.

— Je ne voulais pas m'emporter, reprit-il.

— Arrête d'être désolé !

— C'est que... je me suis inquiété. Quand tu as quitté la soirée hier, j'ai passé la nuit à t'appeler sur ton téléphone. J'ai cru que j'allais devenir fou.

Julie retira sa main.

— Je ne t'appartiens pas.

— Non ! s'emporta Sarah. Tu ne vois pas qu'encore une fois, elle contourne les questions ? On est en droit de savoir !

D'un bloc, elle se tourna vers l'intéressée, prête à la harceler de question mais son téléphone portable se mit à vibrer. Elle décrocha aussitôt et écouta en silence, le visage impassible. Après quelques secondes, elle conclut : « Très bien, on arrive ». Elle expliqua brièvement la situation. C'était Chris. Il fallait rentrer tout de suite. Il venait de découvrir que, contrairement à ce qu'ils avaient cru, Romain n'était pas à la maison. L'adolescent avait à priori découché. C'était une première. Sarah termina sa consommation et ordonna à Yann de faire le tour des endroits où Romain avait ses habitudes. Elle décida qu'il fallait attendre un peu, avant de lancer un avis de recherche sur les réseaux sociaux. Le jeune homme partit aussitôt. Sarah, le combiné collé à l'oreille, se leva à son tour et s'éloigna. Julie suivit le mouvement avec un temps de retard. Elle remarqua qu'un homme patientait en bordure de la terrasse. Il portait des lunettes de soleil, pourtant, elle eut l'impression qu'il l'observait. Il avait un costume trois-pièces impeccable. Même si Julie ne les avait pas bien vus, elle se demanda s'il ne faisait pas parti des agents qui avaient interrompu le feu d'artifice.

Elle se sentit terriblement seule. Son cœur s'accéléra. Sarah avait déjà dépassé l'homme et ne s'était pas retournée, pour s'assurer que Julie suivait. Cette dernière rassembla son courage et s'approcha de lui, obligée de lui passer devant pour rejoindre son amie. Mais, à peine fut-elle arrivée à sa hauteur, qu'il l'interpela :

— Mademoiselle, s'il vous plait.

Julie leva les yeux vers le soleil qui ne brillait plus et prit conscience que l'Ombre était sur elle.


Luciano et le retour de la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant