Chapitre 28 - 14h33

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L'intéressé se tourna vers elle et d'un ton détaché, l'informa qu'il avait été envoyé par Iliane. L'étranger n'avait pu venir en personne car il était parti rencontrer un garçon à la destinée exceptionnelle. Il était allé le voir à l'hôpital, alors que le bâtiment était sous contrôle des agents fédéraux. Le Père Pascal conversait librement avec Sarah, comme il l'aurait fait avec Julie, sans se douter qu'elle n'était pas dans les confidences et qu'elle était aussi totalement hostile à tout ce qui se rapportait à Will. Il insista sur la mission dangereuse qu'il menait. Même Chris et Yann s'étaient rapprochés pour écouter. Ils formaient un petit groupe autour du prêtre, leurs attentions à l'affut de ce que racontait le vieux monsieur. Devant eux, la baie vitrée leur offrait un terrifiant spectacle. C'est pourquoi le prêtre avait accepté de monter jusqu'ici et affronter la tempête. Il était venu chercher Julie. Iliane lui avait demandé de la mettre à l'abri et de se tenir prêt à quitter la ville.

Ce fut Sarah qui réagit la première.

— Elle n'ira nulle part, s'écria-t-elle. Elle ne peut pas partir. C'est absurde. Où est-elle censée se rendre ? Quelles conneries lui avez-vous mises dans la tête ?

Devant une réaction si volcanique, même Chris et Yann eurent un mouvement de recul. Sarah ne se laissait pas démonter. Elle parlait d'appeler la police et de contraindre le prêtre à retourner d'où il était venu. Il fallait le mettre dehors et enfermer Julie dans sa chambre. Elle se tourna vers Chris et lui demanda où étaient les liens dont ils se servaient pour empêcher Romain de quitter la maison. Cedernier finit même par sortir de son antre, intrigué par les hurlements deSarah. Il avait toujours son air renfrogné des mauvais jours, mais il semblait piqué par la curiosité. Il s'approcha, néanmoins.

— Vous ne pouvez pas comprendre mais je dois partir !

— Et où est-ce que tu vas ? demanda l'adolescent.

Le silence tomba. Tout le monde se tourna vers lui, qui attendait de l'autre côté de la pièce. Il avait posé précisément la question que tous avaient en tête. La seconde qui s'ensuivit restait comme suspendue. Personne ne bougeait. Julie ignorait quelle attitude adopter. Elle ne savait pas quoi répondre. Comment expliquer son envie subite de partir ? Et pour aller où ? Le comble était là. Julie n'avait aucune idée de la destination. Ce qui était déterminant n'était pas , mais avec qui.

La jeune femme fit face à Yann et soutint son regard. Elle sentit le poids de la culpabilité lui écraser la poitrine. Elle prenait conscience qu'une rupture s'imposait. Yann, aussi merveilleux avait-il été avec elle, faisait partie de sa vie d'avant. La rencontre avec Will qui avait eu lieu lors du feu d'artifice avait marqué un tournant. Un séisme existentiel faisait rage en elle. Un changement radical devait s'opérer. Julie allait devoir affronter ses proches si elle devait...

s'envoler, pensa sa conscience.

partir avec Will. Julie et Yann se regardèrent, puis le jeune homme s'approcha et lui prit les deux mains. Ils s'observèrent quelques secondes. Elle lui sourit. Yann était quelqu'un bien. Il avait fait d'elle sa princesse.

— Je vous mets en danger en restant ici, lui dit-elle en le regardant dans les yeux. Je suis dans la confidence, maintenant. Je sais où mon père menait sa seconde vie et pourquoi il s'absentait. Je dois aussi m'y rendre. Je crois que, là-bas, des gens ont besoin de moi.

— Quand reviendras-tu ? demanda Yann, posément. Que dois-je faire pour t'accompagner ? Je ne veux pas te quitter, Julie. Il n'y a que toi qui me correspondes.

Il sourit, comme si cette simple évocation l'emplissait de bonheur. Puis, ses lèvres se figèrent en une grimace, presque douloureuse.

— Sans toi, je n'arrive pas à me projeter dans mon avenir. Je crois qu'il va me falloir beaucoup de temps pour accepter l'idée que tu me quittes et que tu partes avec un autre garçon. Alors, dis-moi... combien de temps va durer ton absence ? Cette fois, je te le promets : c'est moi qui vais t'attendre.

Yann fondit sur elle, les larmes aux yeux et lui prit délicatement le visage entre les mains. Avant qu'elle ait réagi, il l'embrassa avec passion. Mais, leur étreinte fut de courte durée. Chris la saisit par le bras et la força à lui faire face. Il avait la figure aussi fermée que celui de Sarah.

— Je refuse que tu marches sur ces pas. J'ai l'impression que tu te fais embarquer dans une secte. Will t'endoctrine ! Il veut t'emmener loin de nous, loin des gens qui t'aiment. J'ai peur de la voie que tu prends.

Derrière lui, Julie vit son petit frère s'approcher à petits pas. Elle le regarda dans les yeux lorsqu'elle répéta :

— Je sais où allait papa. Je dois découvrir cet endroit.

L'ainé lui attrapa le deuxième poignet. Il était brusque. Il lui faisait mal. Elle voulut se débattre. Mais, il déclara :

— Je ne te laisserais pas faire.

Avant que cette dernière ait fait le moindre mouvement, le Père Pascal s'interposa entre Chris et sa sœur, obligeant le frère à lâcher prise.

— Julie est majeure, déclara-t-il, d'une voix faible et fatiguée. Elle est assez grande pour décider. Elle doit quitter cette ville jusqu'à la fin des Jours Sombres. Et, nous devons partir maintenant ; avant d'être bloqué par l'orage. Je suis là pour veiller sur elle et je vous le dis : elle n'est plus en sécurité ici.

Le prêtre s'avança vers la porte d'entrée. Julie le suivait de près.

— Non ! s'écria Sarah, hargneuse.

— Elle est attendue ! fit le Père Pascal. Elle doit faire des choses qui ne dépendent plus de votre volonté. Elle doit réaliser le dessein de Ya. Elle est plus forte que vous le pensez et plus courageuse que vous tous réunit. Elle a une destinée à accomplir. Il est grand temps pour elle d'entrer de la lumière.

Avant que quiconque ait réagi, il poussa la jeune femme vers l'entrée. Ils sortirent sous l'orage, mais il se figèrent sous le perron. Deux hommes remontaient la cour depuis le portail. Ils portaient tous les deux un costume noir, avec des chaussures et une paire de lunettes assorties. Ils ne semblaient pas craindre la tempête. Julie les reconnut aussitôt et la peur la paralysa.

— Mademoiselle Favre ? fit l'un des deux. L'agent Daniel nous envoie. Nous procédons à votre isolement. Un véhicule nous attend devant chez vous. Suivez-nous, immédiatement.


Luciano et le retour de la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant