Prologue (1/2)

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Tout commença par une rencontre. 

Elle eut lieu par une nuit estivale. Le soleil s'était retiré et avait laissé derrière lui des températures étouffantes. Le ciel était constellé d'étoiles. Grâce à sa proximité, les abords du lac étaient balayés par une brise plus fraîche et humide. Les conditions étaient parfaites pour les événements qui allaient suivre.

Julie était assise au bout d'un ponton. Le lac n'était perçu que par les reflets lunaires et des plate-formes mal éclairées. Autour, on devinait une forme sombre qui encadrait la région : une chaine de montagnes prenait naissance ici et se prolongeait jusqu'aux Alpes. La jeune femme ne réalisait pas encore où elle se trouvait. Elle était seule. À quand remontait la dernière fois où elle l'avait été ? Les pieds dans l'eau, elle se sentait détendue et se mit à rêvasser.

Elle avait fini par faire abstraction aux milliers de personnes qui se tenaient derrière elle. Ils étaient venus nombreux et certains de loin pour cette occasion. La mairie avait aménagé les bords du lac pour la soirée. Cela faisait plusieurs mois que toutes les communes de l'agglomération s'y préparaient. Trois grandes tribunes avaient été montées sur les pelouses. Autour de ces structures métalliques, des centaines de chaises pliantes avaient été installés sur une partie du terrain. Et une zone avait été nettoyée pour mettre des sièges jusqu'au périmètre de sécurité qui séparait le lac. Là, les gens s'asseyaient à même le sol pour profiter du spectacle. Car comme tous les ans, il promettait d'être encore plus grandiose.

Ils étaient tous réunis pour assister à la manifestation la plus attendue de l'année : la fête du lac d'Annecy.

Pourquoi suis-je ici ? se demanda Julie. Qu'est-ce qui m'a prise ? Un ami organise une soirée. Tous mes proches y sont. Moi-même y étais. Pourquoi en suis-je partie ? Qu'est-ce que je fais ici ?

Elle l'ignorait. Malgré la certitude qu'elle allait passer une excellente soirée, à profiter du feu d'artifice depuis la grande maison d'un de leur camarade, elle s'était figée sur la terrasse, transformée en piste de danse pour l'occasion, envahie par un doute. Elle avait couru jusqu'à sa meilleure amie, qui se prélassait au bord de la piscine et avait prétexté une excuse pour s'échapper.

Pourquoi était-elle venue ici ? Elle n'en avait aucune idée. En quittant ses amis, Julie était retournée chez elle. Elle avait pris une douche pour enlever son maquillage et masquer l'odeur du parfum. Elle avait même changé sa tenue de soirée pour des vêtements plus simples. Elle était sortie et elle avait erré sans but. Tandis que le soleil se couchait, elle avait inconsciemment pris la direction du centre-ville, où régnait l'effervescence de la fête. Julie n'arrivait pas à culpabiliser. Elle avait abandonné ses amis sur un coup de tête, sans un mot. Elle savait que demain, elle devrait s'expliquer. Mais malgré ces futurs tumultes, elle profitait pleinement du moment. Elle était seule et détendue. Après tout, elle allait assister au spectacle depuis ce petit coin privilégié. Quand elle était arrivée devant les guichets pour acheter une place, elle était tombée sur l'un de ses anciens amis. Il lui avait montré l'envers du décor des festivités et avait fini par accepter de la laisser entrer à l'intérieur du périmètre de sécurité.

Julie ferma les yeux et se laissa bercer par les mouvements réguliers de l'eau.

— Bonsoir, fit une voix derrière elle.

Julie sursauta, prise au dépourvu. Un inconnu s'accroupit derrière elle.

— Êtes-vous seule ?

Son cœur se mit à battre plus fort. Comment avait-il fait pour venir jusqu'ici, au delà des  barrières de sécurité ? Julie avait eu accès à ce ponton parce qu'elle connaissait personnellement l'un des bénévoles. Bien sûr, elle savait qu'elle n'avait aucun droit d'être là, mais elle estimait qu'elle avait la meilleure place et cela ne lui avait pas coûté un sou.

Avait-il lui aussi des relations ?

— Je suis seule, répondit-elle en regrettant aussitôt de ne pas avoir menti.

— Puis-je vous tenir compagnie ?

La jeune femme se concentra sur son visage. Elle aurait aimé le voir, mais l'obscurité l'empêchait de distinguer ces traits. Il avait une voix douce et posée, agréable. Celle d'un jeune homme, mais voyant qu'elle ne répondait pas, il reprit, comme pour se justifier :

— Je veux dire : le temps du spectacle.

Ne perdez pas votre temps, avait-elle l'habitude de répondre quand un garçon s'approchait. Mon petit copain ne va pas tarder à revenir. Il est baraqué et maladivement jaloux. C'était la tirade qu'elle sortait quand elle voulait se débarrasser des garçons invasifs. Et la plupart du temps, cela marchait. Et, c'était la vérité. Son petit ami était véritablement quelqu'un de baraqué et de jaloux.

— À moins que votre petit ami revienne.

Julie se figea. Elle était partagée. Elle voulait le rembarrer et lui sortir sa petite phrase pour qu'il rebrousse chemin. Elle ne souhaitait pas d'une confrontation inutile avec son petit ami s'il apprenait qu'elle avait passé la soirée seule avec un garçon. Mais d'un autre côté, comment pourrait-il le savoir ? Et Julie tenait-elle vraiment à passer la soirée toute seule ?

— Je n'en ai pas, mentit-elle.

— Alors, ai-je l'autorisation de vous tenir compagnie ?

Julie ne put s'empêcher de sourire. C'était étrange, mais ce garçon ne semblait pas être comme tous ceux qu'elle côtoyait. Il avait dans la façon dont il s'exprimait, dont il l'accostait, une certaine retenue, comme une vraie approche de gentleman, qui donnait à la scène une dimension surréaliste. Et bizarrement, elle s'en sentit flattée.

— Vous l'avez.

Tandis qu'il s'installait à ses côtés, la lune réapparut et le monde sortit de l'obscurité. Elle put enfin le voir. Comme elle s'y attendait, l'inconnu était un jeune homme au doux visage. Il avait un sourire charmeur sur les lèvres. Il la regarda un instant et voyant qu'elle ne détournait pas ses yeux, il abaissa les siens. Ils avaient peut-être le même âge. Maintenant qu'elle pouvait l'observer, elle se rendit compte qu'il était beau. Comme s'il suivait le cours de ses pensées, il eut un sourire gêné et Julie fut une nouvelle fois frappée par sa beauté. Elle sentit son cœur s'accélérer et ses mains devenir moites.

— Le feu d'artifice promet d'être magnifique.

Julie ne sût quoi répondre. Elle resta là, à l'observer. À peine avait-il prononcé ces mots, qu'une fusée fut tirée. Elle troua la nuit en une explosion multicolore. Des dizaines d'autres furent lancés simultanément et les cieux s'illuminèrent de mille couleurs, dans un vacarme assourdissant.

Le spectacle de la fête du lac d'Annecy commençait.


Luciano et le retour de la lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant