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Toucher avec les yeux. Cette expression que sa mère lui lançait souvent enfant, il ne l'a jamais comprise ou en tout cas, il n'en a jamais vu l'intérêt et c'est pour cette raison qu'il n'a jamais obéi à cette règle. Pourtant, aujourd'hui, il est dans l'obligation de l'exécuter. La regarder sans la toucher, sans lui adresser le moindre mot alors qu'elle n'est qu'à quelques pas de lui.

Elle a maigri. Pas énormément, mais suffisamment pour l'alerter. Il l'a remarqué dès que son regard s'est posé sur elle. Ainsi que les immenses cernes creusées sous ses yeux. Elle est épuisée. Extrêmement. Ses paupières qui restent difficilement écartées le prouvent. Raleth, ce tas d'os ambulant, lui a fait parfaitement comprendre que le sommeil de Phœbé est sous le contrôle de Hayden depuis deux longues semaines, soit depuis leur départ au Canada. Il ne sait pas exactement ce qu'il s'est passé dans sa tête durant ces immersions parallèles, mais il a sa petite idée et elle l'effraie au plus haut point.

Toutefois, il ne peut s'en plaindre. Il est responsable de cette peur, de ce dégoût que sa personne inspire aujourd'hui à cette femme qui devrait être la sienne. Il aurait sûrement dû écouter son entourage qui lui conseillait de tout lui avouer, de faire confiance à leur lien qui engendrerait la compréhension, l'acceptation et le pardon. Mais sa lâcheté l'en a empêché. L'illusion d'avoir ce regard rempli de reproches sur lui l'en a dissuadé. Excepté qu'il n'a pas pensé à la possibilité que Hayden n'aurait aucun remords à exécuter ce qu'il est incapable de faire.

- Vous avez drôlement maigri, l'humaine, déclare Raleth en auscultant Phœbé.

- Je m'appelle Phœbé, pas l'humaine, raille cette dernière.

- Peu importe, avant d'être un prénom, vous êtes humaine alors taisez-vous que je puisse m'assurer que ce petit vampire n'ait pas fait plus de dégâts qu'il n'en a l'air.

Le silence revient et cette étrange lumière de couleur verte continue d'encercler l'Afro-Américaine tandis que le sorcier passe son doigt, illuminé d'un vif orangé, d'un œil à l'autre.

- Dîtes, cela fait longtemps que vous êtes un squelette ? demande Phœbé, sur un ton léger.

- Quelques siècles, répond distraitement Raleth.

- Et vous êtes le squelette de quoi, si je peux me permettre ? poursuit-elle sous l'emprise d'une curiosité enfantine.

- Celui du plus puissant guerrier de l'ordre des Ombres du Royaume d'Odoher, se vante-t-il.

Installé de façon à n'apercevoir que le visage de son âme-sœur, Chad sent l'impatience monter en lui en constatant que Phœbé scrute l'enchanteur avec une grande attention. Si grande que son regard pétille à la fois de curiosité et de gaieté. Si grande qu'il se sent dans l'obligation de comparer ce dont lui a droit et ce dont cet inconnu, du point de vue de Phœbé, a droit.

- Et que vous a-t-il valu cette peine, Monsieur le Guerrier des Ombres ? enchaîne la jeune femme avec amusement.

- J'ai offensé l'enchanteresse royale, ricane-t-il. Un de ces tempéraments de feu, un regard de biche et un corps à dompter les enfers qui m'ont fait succomber.

- Vous l'aimiez ? sourit Phœbé.

- Je l'aime, oui et sa fierté n'a pas accepté que ses sentiments soient réciproques alors à la première occasion, elle m'a éjecté. Mais je suis certain que depuis toutes ces années, elle ne se l'est toujours pas pardonnée.

Elle rit de bon cœur et ne pas être le responsable de ce son l'agace tant qu'il décide de quitter la pièce, ayant juste le temps de l'entendre poser des questions au sujet de ce fameux Royaume d'Odoher. Traversant à grands pas les couloirs sombres de cette demeure constamment plongée dans l'obscurité, Chad gagne rapidement l'extérieur où il inspire profondément. Rester calme. Ne pas se laisser envahir par la rage. Dominer l'animal. La mâchoire crispée, il se répète ces consignes qui semblent avoir l'effet inverse de celui escompté.

- Dominer l'animal ? intervient Elveyn avec moquerie. Tu n'y es jamais parvenu, ce n'est pas aujourd'hui que cela changera, poursuit-il. Allez, laisse-toi faire maintenant, lui souffle-t-il d'un ton convaincant.

Fatigué de résister vainement, il lui laisse le plein contrôle et entame sa mutation, devenant spectateur des actions d'Elveyn. Ce dernier secoue son pelage avant de s'étirer et fait le tour du chalet qui se situe au plein milieu d'un trou perdu à l'est de Los Angeles. Aucun voisinage, aucune civilisation, aucune autoroute à moins de deux heures, uniquement une vaste forêt et une route étroite et sinueuse pour atteindre cet endroit.

Jetant un dernier coup d'œil sur la pièce dans laquelle se trouve Phœbé, Elveyn rebrousse chemin et s'enfonce en courant dans la forêt. Ses puissantes foulées battent violemment le sol, sa respiration devient bruyante et des grognements de rage s'échappent de sa gorge, de plus en plus fort. Chad ferme les yeux, consentant à le laisser extérioriser sa colère et les mots de Phœbé viennent lui torturer un peu plus l'esprit. Un monstre. Un lâche. Deux simples mots à la violence inouïe. C'est à eux qu'ils voulaient échapper en ne lui disant pas toute sa vérité, car tout n'est pas bon à dire.

Mais peut-être aurait-il dû essayer ? Non, il n'en aurait pas eu le courage. Il aurait certainement omis les détails importants, continuant de tourner autour du pot, encore et encore. Effrayé de lui avouer qu'il n'arrive pas à regretter ses actes passés malgré la volonté de sa partie humaine d'avoir un minimum de culpabilité. Car au final, le plus horrible de cette histoire est qu'il n'y a pas la moindre trace de remords dans son esprit qui pourrait venir hanter son sommeil ou tourmenter son quotidien.

- C'est normal que tu n'aies aucun regret, se mêle Elveyn ; tu étais semi-conscient à cette période. Tu ne peux pas regretter une chose dont tu n'as que des fragments. De surcroît, nous ne sommes ni des lâches ni des monstres, nous sommes nous avec nos instincts primitifs.

- C'est cela ton excuse ? s'agace Chad.

- C'est notre vérité, réplique le loup. Et si elle ne peut pas ou ne veut pas le comprendre et s'obstine à nous repousser, nous briserons ce lien.

- Hors de questions, refuse sèchement Chad. Nous ne toucherons d'aucune façon à notre lien.

- Et que veux-tu faire du lien d'une femme qui ne veut pas de nous ? Que tu le veuilles ou non, si elle décide de nous rejeter, le lien se brisera de lui-même. Que tu l'aimes ou non. Elle est nôtre pour l'éternité, c'est ancré dans la lune, mais il y a des limites. La balle est dans son camp et c'est à elle de voir ce qu'elle va en faire.

L'homme et la bête se murent dans le silence, s'adonnant à leur activité respective. Comme Elveyn l'a si bien dit, la balle est entre ses mains et il espère de tout son être qu'elle acceptera d'excuser son passé...

𝐴𝑟𝑡𝑒́𝑚𝑖𝑠 : 𝐿𝑒 𝐶𝒉𝑎𝑛𝑡 𝑑𝑒𝑠 𝐿𝑜𝑢𝑝𝑠 [𝑇𝑂𝑀𝐸 𝟣]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant