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En s'agenouillant devant les toilettes pour la énième fois cette semaine, ce n'est que de la bile qui se voit évacuer. Après tout, manger n'est plus sa grande préoccupation, alors à quoi peut-elle bien s'attendre ? Se nourrir est une action qui lui inspire un tel dégoût que la simple odeur de nourriture suffit à lui provoquer des haut-le-cœur. Mais est-ce si grave lorsque l'on sait pertinemment que le lendemain tout sera expulsé ?

- Mía ?

La jeune femme reconnaît immédiatement la voix hésitante de Chad derrière la porte et elle retient de justesse un ricanement amer. Il vient de rentrer... Il ne doit pas être plus de quatre heures du matin et il lui fait l'honneur de sa présence. Cette fois-ci, sans pouvoir le retenir, un petit rire lui échappe. La situation est si ironique. Elle est venue pour ne pas avoir à se séparer de lui et résultat des courses, la distinction entre sa présence et son absence est impossible.

Cela fait plusieurs jours qu'ils sont arrivés au Canada et Chad est aussi présent qu'un mort. La plupart du temps, il part très tôt le matin et revient très tard, quand il daigne rentrer, bien sûr. De ce fait, la jeune femme est livrée à elle seule lorsqu'elle se réveille en sueur à la suite de ses cauchemars. Il rentre quand elle dort et il repart avant d'avoir eu le luxe d'assister à l'expulsion de ses tripes. Un second rire lui échappe et elle constate avec peine, sa dégradation mentale.

Mais comment pourrait-ce être le contraire ? Le voir, encore et encore, tuer et la tuer, toujours d'une manière de plus en plus atroce, joue sur son état psychologique. Voir ses iris sang luisant d'une perversion malsaine quant à ses prochains assassinats atteints son moral. Atteint tout son être et change considérablement la vision qu'elle a de Chad. Il n'est plus lui. Aujourd'hui, il n'est plus Chad, il n'est plus son Chad. Il n'est qu'un inconnu. Un inconnu en qui elle a misé sa confiance sans prendre le temps d'analyser le jeu. Certains s'amusent à dire que le passé ne fait pas qui l'on est dans le présent.

Mais un passé tel que celui-ci, qu'en fait-on ? Un instinct sanguinaire le reste à tout jamais. Il n'y a pas de rédemption pour ces actes. Qui peut bien prétendre à ôter la vie d'autrui ? Qui sont-ils, tout être vivant confondu, pour se lever un matin et décider de qui vivra ou mourra ? Personne, strictement personne. Mais cela, Chad l'a oublié.

- Phœbé ? insiste le Sud-Américain en toquant à la porte de la chambre.

- Je vais bien, Chad, répond-elle finalement, le ton sec.

Elle se redresse avec lassitude et s'approche de la douche. Elle est tellement fatiguée... Sa main tremblotante tourne le robinet et lentement, la Californienne enlève sa robe de nuit. Dans le miroir accroché à sa droite, elle distingue son reflet et l'état de son corps la laisse d'une effrayante neutralité. Elle ne pensait pas qu'en à peine une semaine, il était possible de maigrir autant seulement, la preuve du contraire est sous ses yeux. Ses côtes qui transparaissent sous sa peau et ses joues légèrement creusées en sont des preuves. Peut-être devrait-elle faire l'effort de manger, ne serait-ce que le petit-déjeuner ?

Soupirant, l'Afro-Américaine centre son attention sur sa hanche. Ce n'est plus un simple « D » qui y est inscrit, un « S », un « L » et un « E » s'y sont rajoutés. Ces lettres, placées sur la même ligne verticale, paraissent hasardeuses par l'espace présent entre chacune d'elle. Elle a songé à partager ces étrangetés à celui qui partage sa chambre seulement, elle ne veut pas avoir à l'affronter, à lui parler. Y penser la rend, tout simplement, malade. Pour la ixième fois, Phœbé souffle d'ennui et se glisse sous la douche, se frottant rudement la peau, la désagréable sensation que la crasse de ses cauchemars repose réellement sur elle et noircit sa chair.

Une sonnerie retentit soudainement dans la pièce adjacente et la voix de l'Alpha se fait entendre. Elle ne comprend pas ce qu'il dit, mais elle n'a aucun mal à deviner le déroulement des événements. Encore une fois, il frappe à la porte et encore une fois, elle se refuse à lui répondre.

- Il faut que j'y aille, l'entend-elle soupirer. J'essaierai de rentrer ce soir.

Il essaiera... À son insu, des larmes se forment aux coins de ses yeux et coulent le long de ses joues. Pourquoi persiste-t-il à lui dire cela alors qu'ils savent pertinemment que ce ne sera pas le cas ? L'étudiante attend quelques instants et lorsque la porte d'entrée claque, elle regagne la chambre où elle enfile une large robe pull, seul vêtement qui ne moule pas son corps aminci avant d'appeler le room-service. Des minutes plus tard, la jeune femme fait face à une assiette pleine : des œufs, du bacon, des saucisses et des rondelles de tomates ainsi que des tranches de pain complet. Rien que l'odeur la révulse alors comment va-t-elle faire pour avaler tout le contenu de ce plat ?

Phœbé observe de longues minutes son plateau, hésitante. Finalement, expirant profondément, elle attrape sa fourchette et avale une tranche de tomate, plaquant sa main contre sa bouche afin d'éviter tout rejet. Elle répète à de multiples reprises cette action, prenant des pauses s'il le faut, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Elle a réussi. Fière, elle repose sa tête contre le dossier, un sentiment de paix inédit, seulement, la banale pensée de sa nuit à venir, contracte violemment son ventre. A-t-elle eu raison de manger autant ? Elle espère que d'ici ce soir, elle aura déjà digéré.

𝐴𝑟𝑡𝑒́𝑚𝑖𝑠 : 𝐿𝑒 𝐶𝒉𝑎𝑛𝑡 𝑑𝑒𝑠 𝐿𝑜𝑢𝑝𝑠 [𝑇𝑂𝑀𝐸 𝟣]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant