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Assise sur le parquet, le dos appuyé contre le mur en brique, Phœbé observe la pluie s'abattre sur la baie vitrée, un verre de vin dans la main. Son père la tuerait certainement s'il la voyait ainsi, mais l'ennui qui plane sur ses épaules ne lui laisse pas le choix. Son téléphone est resté au camp, Chad discute avec la famille Smith au rez-de-chaussée et le temps la bloque à l'intérieur. La jeune femme soupire de lassitude et conduit son verre à sa bouche. Sa tête se repose sur la vitre à l'instant où la porte de la chambre s'ouvre.

Des pas lourds percent son calme et une silhouette familière prend place à son opposé dans une position similaire à la sienne. Il respecte le silence, roi en cet instant et s'en tient à la fixer. Cette façon qu'il a de l'analyser dès que l'occasion le lui permet commence réellement à porter sur ses nerfs. Pourtant, elle garde sa langue et détaille le paysage.

Dans ce mutisme, ses oreilles semblent attentives, mais, pas à la pluie, à lui, à chacune de ses respirations lentes et régulières qui lui parviennent telle une berceuse. Curieuse, Phœbé se risque un regard vers lui. Il est de profil, les prunelles fixées sur le ciel. Il paraît réfléchir. À quoi ? Elle ne le sait pas. Désire-t-elle le savoir ? Oui, mais elle ne le lui demandera pas. Son regard descend et s'attarde sur ses lèvres et le début de son torse visible par les trois premiers boutons défaits.

En sentant une chaleur se propager dans son corps, elle boit cul sec le reste de sa liqueur et se remet à contempler l'extérieur assombri. Il ne faut pas succomber à ce sordide lien qui souhaite à tout prix la voir céder. Au fur et à mesure, la pluie cesse et les rayons du soleil se faufilent difficilement entre les nuages épais. D'ailleurs, dans quel État se trouve-t-elle ? La réponse demeure inconnue toutefois, elle est certaine de ne plus être en Californie et rien que l'idée de lui poser la question l'agace d'avance.

- Tu veux faire quoi ? l'interroge Chad, brisant finalement le silence.

- Rien.

Il soupire pendant que l'étudiante se sert un second verre qu'elle mène à ses lèvres. Elle a parfaitement conscience des bâtons qu'elle lui met dans les roues, mais une chose la dissuade si fort de lui donner sa chance. Peut-elle faire confiance à une personne qui lui a caché la vérité dès le début ? Elle sait se montrer désagréable et elle compte bien utiliser cette charmante qualité jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus et la libère.

- Tu es mineure, tu ne devrais pas boire, suggère le jeune homme.

- Vous en avez d'autres, des comme ça ? pouffe Phœbé. Monsieur « je kidnappe les gens ».

- Je ne t'ai pas kidnappé, se défend-il. Je t'ai récupérée.

- Récupérée ? répète-t-elle, offusquée. Je ne suis pas un colis qu'on vient tranquillement chercher à la poste. Je ne suis pas à vous ! crache-t-elle.

La mâchoire du Sud-Américain se crispe et sans un mot, il se lève. La jeune femme en fait de même, son verre toujours entre ses doigts.

- Vous fuyez ? demande-t-elle, incrédule. Vous êtes en train de fuir ? Êtes-vous lâche à ce point ?

Dépourvu de délicatesse, il la plaque contre le mur et son verre éclate contre le sol. Elle rencontre immédiatement un regard ambré et malgré sa légère douleur au dos, son traître de corps s'enflamme.

- Cesse de me provoquer, gronde-t-il. Cesse de jouer à ce jeu d'enfants. Tu es à moi. Regarde-toi. Écoute ton corps. Ton être entier me désire. S'il y a une personne qui fuit, ce n'est pas moi.

Les yeux de l'Américaine s'écarquillent puis son visage se ferme face à cette accusation si juste. Bien sûr qu'elle fuit. Qui ne le ferait pas alors qu'il se voit confronté à un tel bazar ? Alors qu'une vie non désirée s'impose à lui ? Peut-être bien que son corps le désire, mais tant qu'il y aura un cerveau à l'intérieur de son crâne, elle ne cédera pas.

- Allez vous faire voir, déclare-t-elle avec hargne.

La poitrine du jeune homme se soulève à son rire silencieux et il se décolle d'elle.

- Votre humour est aussi bancal que vous, ajoute l'Afro-Américaine. Et ne comptez pas sur moi pour ramasser ces bouts de verre.

- Tu vas devoir te dévouer puisque personne ne rentre dans ma chambre.

- C'est tant mieux alors, vous allez pouvoir nettoyer votre chambre. Maintenant, si vous permettez, glisse-t-elle en prenant la direction de la sortie ; je m'en vais.

✶❍✶

La nuit tombe rapidement sur la meute qui se fait silencieuse. Phœbé regarde avec ennui la télévision et Chad est enfermé dans son bureau depuis le début de l'après-midi. Elle a beau dire que ce dernier est agaçant, il la divertit considérablement. À peine deux jours qu'elle se trouve ici et elle se lasse déjà.

De la musique latine perce le calme extérieur et la porte s'ouvre en trombe. Clugan et Gordon apparaissent suivis d'une jeune femme à la couleur ébène. Ses cheveux tournés en locks rouges sont coupés en un carré et font magnifiquement ressortir son teint chocolat. Elle est menue et très jolie.

- C'est quoi ce bordel ?! hurle Chad en quittant son bureau.

La musique s'arrête sur-le-champ et l'air, légèrement inquiet, ils fixent leur Alpha. Et encore, ils ne le regardent pas dans les yeux comme s'autorise à le faire Phœbé.

- Eh bien, c'est la fête et on voulait t'emprunter ta compagne.

- Voyez avec elle, déclare-t-il avec une moquerie non dissimulée.

Clugan apparaît alors devant la télé. Le brun aux yeux chocolat se montre hésitant et ne cesse de danser d'un pied à l'autre comme une fillette prête à déclarer sa flamme à son amoureux.

- Phœbé...

- Clugan, ferme-la, lui intime la jeune femme qui l'accompagne. Tu fais pitié.

Gordon éclate de rire et malgré les protestations de l'homme, la jeune femme prend sa place.

- Kanelle, se présente-t-elle en tendant la main en direction de l'Afro-Américaine.

- Phœbé, sourit cette dernière en serrant sa main. Tu as un très joli prénom, complimente-t-elle.

- Je te retourne le compliment.

- Merci. Par contre, je ne sortirai pas de cette maison, alors inutile de perdre votre temps.

Un sourire mauvais se dessine sur ses lèvres pulpeuses et la porte d'entrée s'écarte une seconde fois sur une tornade violette qui se positionne à la droite de Kanelle. Blasée, Phœbé les regarde une à une et finit par se lever. Elle n'a pas le temps pour le guet-apens qui se prépare. Les deux hommes se mettent discrètement en position pour la stopper, mais le regard meurtrier qu'elle leur envoie les fige. Ce n'est pas la peine d'envisager un quelconque pardon de sa part, car cela n'arrivera pas. Ce duo, par leur tête d'imbéciles, l'a plongée dans un honteux état de naïveté. Ils ont réussi à éliminer la méfiance qu'elle a ressentie dès le premier jour. Résultat des courses, leur Alpha connaît tout d'elle.

En parlant de ce dernier, il s'avère satisfait de sa réaction, lui donnant l'envie de revenir sur sa décision. Toutefois, elle ne le fera pas. À choisir entre lui, deux idiots et deux cinglées, elle choisit la chambre sans hésitation. Du haut de l'escalier, elle entend les deux jeunes femmes rouspéter contre les garçons tandis que Chad leur ordonne de foutre le camp. Il n'y a plus aucun doute. Cette meute est composée de malades.

𝐴𝑟𝑡𝑒́𝑚𝑖𝑠 : 𝐿𝑒 𝐶𝒉𝑎𝑛𝑡 𝑑𝑒𝑠 𝐿𝑜𝑢𝑝𝑠 [𝑇𝑂𝑀𝐸 𝟣]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant