Un cœur à la mer

三十 : Réalité destructrice

Cela faisait désormais plus d'une semaine que Chisei avait sombré dans ce que les médecins définissaient de pré-coma, la phase initiale d'un coma, au cours de laquelle la conscience était encore conservée, ou du moins en partie.

Les occupants du Jolly Roger l'avaient placée dans une cabine inoccupée, changeaient sa perfusion et ses draps, la nourrissaient par intraveineuse et se posaient évidemment quantité de questions à son sujet.

Par respect pour leur vénéré capitaine, et également intimidés par cette beauté endormie, ils n'osaient cependant les formuler à voix haute, se contentant de fixer des yeux interrogateurs sur ces deux protagonistes.

Trafalgar Law quant à lui, passait le plus clair de son temps dans son bureau, feuilletant des dossiers médicaux, fouillant dans sa paperasse... mais il faisait tout ceci pour tromper son esprit.

S'il ne s'occupait pas, ses pensées l'assaillaient, ses souvenirs affluaient et il ne parvenait pas à s'empêcher de lier le visage gai de Cora à celui raisonnable de Chisei.

A tel point que le sommeil commençait à lui manquer.

Parfois, il s'enfermait dans sa pièce favorite et faisait de long monologues à haute voix, comme si parler pouvait supprimer tous les doutes qui le hantaient.

- Elle dit être la sœur de Corazon... si cela est vrai, elle est aussi celle de Doflamingo.

Il commençait toujours par ce point, celui qui apportait le plus de perplexité et qui en faisait naître tant d'autre. Il se perdait en conjectures, en questions rhétoriques et sincères, en calculs... 

Ce que la jeune femme lui avait avoué l'obligeait à reprendre son plan à zéro, un plan qu'il avait mis tant d'années à élaborer, à perfectionner... et lorsqu'il touchait enfin au but, tout volait en éclats.

Law marchait donc de long en large, son cerveau en ébullition.

Quelques rares fois, il allait rendre visite à la ninja, lui procurant tous les soins nécessaires à son rétablissement.

Même s'il souhaitait qu'elle ne se réveilla jamais, afin de se protéger des révélations qu'il devrait lui faire, il culpabilisait de la voir dans cet état pré-comateux.

Quelque chose en elle donnait l'impression au grand médecin de se retrouver face à un reflet de lui-même. Avant la perte subite et terrible de sa famille, avant l'extermination des personnes atteintes du Mal Blanc, avant qu'il ne perde son innocence enfantine en ne pensant qu'à détruire ce monde malsain. Malgré tout le sérieux et l'intelligence que contenait le regard ambré de cette fille, il y avait encore en elle cette sorte de candeur, d'ingénuité que l'on retrouvait sur le visage des enfants.

Cette lueur de pureté habitait ceux qui n'avaient jamais été confrontés à la cruauté de la vie et des hommes.

Le choc subit par Chisei à l'annonce du décès de son frère, sa seule famille selon ses dires, ne pouvait qu'avoir détruit violemment ce bout de naïveté persistant en elle, la bouleversant pour toujours.

Cela faisais plusieurs minutes que Law regardait la demoiselle sans rien faire, se contentant de compter ses inspirations régulières.

Dans ce sommeil involontaire, Chisei n'était pas en paix, cela se voyait sur son doux visage.

Ses longs cheveux bruns étaient devenus ternes, sa peau autrefois hâlée ne faisait que pâlir de jour en jour, son expression calme et sereine avait fait place à un visage ravagé par les tourments et le chagrin.

Ces détails rendirent le chirurgien encore plus fautif, il s'en voulait d'avoir autant manqué de tact auprès d'elle. Il avait la certitude qu'elle ne lui avait pas menti désormais : quelqu'un de malhonnête ne serait pas dans un tel état en apprenant la triste vérité. 

- Désolé... de ne pas t'avoir cru. chuchota-t-il à la jeune femme assoupie.

Il devait être la première personne à parler dans cette chambre isolée, la seule voix que Chisei entendit à travers son profond sommeil depuis une semaine. Et même si elle ne saisissait pas le sens de ces mots, elle était reconnaissante à cet individu qui était présent à ses côtés.

Ce fut peut-être ce qui l'aida à s'éveiller.

Lentement, elle cligna des yeux, s'habituant peu à peu à la lumière artificielle de la pièce.

Law, qui avait continué de la scruter, se redressa subitement en la voyant tenter de se redresser.

- Combien de temps... ai-je comaté ainsi ? murmura la jeune femme, gênée par tous ces fils insérés dans ses bras.

- S-sept jours. souffla le médecin surpris en l'aidant à s'asseoir confortablement. 

Il était assez étonné de la vitesse de rétablissement de Chisei, mais il n'avait pas vraiment le temps de s'attarder dessus :

- Est-ce que... est-ce vrai ? elle fit une pause, prenant une grande goulée d'air. Mon frère est-il réellement mort ?

Law guettait cette question fatidique, il n'eut cependant pas besoin d'y répondre. Sa tête baissée, ses poings serrés et sa posture désolée le firent à sa place.

- Je... ne pouvais pas y croire... articula Chisei avec difficulté. En dix ans, j'ai évidemment songé à cette possibilité... mais... mais à Marine Ford...à Ma...

Sa douce voix fut alors entrecoupée de sanglots, elle ne parvenait plus à ajouter le moindre mot.

Le chirurgien était quelqu'un de patient, il attendit qu'elle se calma avant de reprendre la conversation avec autant de délicatesse que possible :

- Que s'est-il passé à Marine Ford ?

- Il y a moins d'un mois, Sengoku... L'Amiral Commandant en Chef... m'a certifié que Rossinante était vivant. souffla-t-elle. Je n'ai alors pas cherché plus loin, sa parole m'avais tellement rassurée... je ne voulais pas découvrir qu'il m'avait trompée. Au fond, je m'en doutais bien, il ne sait pas mentir habilement... mais je voulais croire à ce mensonge...

- C'est compréhensible de ta part... confirma Law.

S'en savoir trop pourquoi, il en voulait à Sengoku d'avoir caché la mort de Corazon à la jeune fille. Ce mensonge avait renforcé le traumatisme qu'elle avait subit, en endommageant certainement la confiance qu'elle allait porter à son entourage. A cause de cet élan à la fois altruiste et égoïste, le chef de la Marine allait passer un long moment sans que Chisei ne souhaita le revoir.

La jeune femme avait retrouvé un teint légèrement basané et elle fixait maintenant Law de ses yeux perçants, attendant probablement des réponses à ses nombreuses interrogations.

- Je t'écoute. annonça le jeune homme. Que souhaites-tu savoir ?

- Qui a tué Rossinante ?

Les beaux yeux dorés de la demoiselle se durcirent, son regard se fit à la fois glacial et menaçant.

- J'attends une réponse complète.