一 : L'apprentissage

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Assis dans un arbre surplombant la petite plage, un vieillard regardait pensivement une forme noire roulée en boule sur le sable. 

Il se demandait si son élève allait réussir l'épreuve qui lui était imposée ou si il allait devoir intervenir pour l'aider.  

Il devait tout de même reconnaître que cette évaluation était un tantinet difficile, surtout pour une gamine de neuf ans à peine. Mais son élève s'était toujours montrée débrouillarde et réfléchissait avant d'agir. Elle devrait réussir.

L'épreuve était la suivante :

L'enfant était attachée, pieds et poings liés dans le dos par une corde épaisse. Elle était couchée sur le ventre, les yeux bandés et sans aucun objet tranchant à sa disposition. Elle devrait se libérer par ses propres moyens, trouver et affronter son maître les yeux bandés.

Il lui laissait une heure et demi car la mer finirait bien par remonter, et à ce moment là, la petite aurait bien du mal à s'en sortir.

Mais il avait confiance.

Après tout, elle l'avait eu comme maître, lui, Shinobi, le dernier pirate pratiquant le ninjutsu. Il avait enseigné cette pratique ancestrale à cette gamine qu'il avait recueilli autrefois et maintenant elle atteignait les dernières phases de son apprentissage. Neuf ans à peine.

Revenons à notre élève.

Certes, elle ne bougeait pas, du moins pas encore, mais son cerveau était en pleine effusion. Elle passait en revue toutes les idées possibles et imaginables pour accomplir sa tâche. 

Etant solidement attachée, elle ne comptait pas sur ses bras et ses jambes. Ses yeux étaient bandés : elle devrait se passer de la vue également. Il lui restait ses épaules et son torse en cas de mouvement, son ouïe, son odorat, son goût et son toucher pour le reste.

 Elle pouvait se passer de l'odorat et du goût pour le moment. 

Elle sentait le sable sous sa joue et le bruit des vagues s'échouant sur la plage lui permettaient de deviner où se trouvait la mer. Elle frotta les cordes contre ses poignets mais rien ne bougeait. Elle essaya avec du sable : toujours rien.

Alors elle réfléchit encore.

Puisqu'elle n'avait pas d'arme tranchante, elle devait s'en procurer une. Ou quelque chose qui y ressemble.

Lorsqu'on se trouvait à la plage, à marée basse, les cailloux et coquillages étaient en général au plus près de l'eau. Hors ici la mer remontait. Elle allait donc devoir fouiller le sol.

Ainsi, en se servant de ses épaules, elle se fit rouler en direction de l'eau, se guidant à l'oreille. Quand elle sentit le sable mouillé et les vagues contre ses pieds, elle se positionna de telle sorte quelle pu ensuite creuser dans le sol. Avec ses doigts, elle fouilla parmi les coquillages et les cailloux, puis trouva ce qu'elle espérait : une pierre qu'elle devinait en forme de silex au toucher.

Tranchante comme un rasoir.

Avec cette pierre, elle commença à trancher ses liens, minutieusement et calmement, d'abord ceux des mains, puis s'occupa de ses pieds. Une fois qu'elle pu se lever, la fillette s'éloigna du bord de l'eau et s'assit dans le sable, toujours aveuglée par un tissu.

Et elle attendit.

Quinze minutes à peine s'étaient écoulées.

La môme attendait toujours. Probablement un signe, un son ou quelque chose qui lui fasse deviner l'endroit où se trouvait son maître.

Lui aussi attendait, mais il n'était plus perché dans son arbre, non, il s'était approché furtivement et se trouvait désormais juste devant son élève.

Trois pas seulement les séparaient.

Aucun des deux n'esquissait le moindre mouvement, ne prononçait la moindre parole.

Seul le son des vagues s'échouant sur la plage rompait le silence.

Soudain, la fillette se jeta en avant, attrapait les chevilles de Shinobi et le tira brusquement vers le sol. Le vieil homme, légèrement surpris, tomba et ne fit aucune résistance lorsque son élève le plaqua contre le sable.

- Avouez-vous vaincu maître, et je ne vous ferais aucun mal. annonça la fillette calmement.

- Je n'ai pas peur de ce que tes petites mains pourraient me faire, mais je m'incline. Tu as accomplis ce qui t'étais demandé, tu peux désormais ouvrir les yeux.

L'enfant retira son bandeau et fixa son maître de ses beaux yeux ambrés.

Celui-ci se relevait pour ne pas être en position de faiblesse et il se montra d'une élégante souplesse pour son âge. Ceci fait, il se tourna vers son élève.

- Bien. Maintenant, explique-moi comment as-tu fait pour deviner ma position exacte.

- C'est on ne peut plus simple. Une fois que j'eu défait mes liens, je me suis rapprochée le plus possible des arbres bordant la plage, tout en restant sur le sable. J'avais dans l'idée que vous viendriez à moi, soit parce que ma performance vous aura étonné sinon surpris, soit parce que vu mon jeune âge, vous sous-estimeriez mes capacités. Vous vous êtes finalement approché, mais pas aussi discrètement que vous le croyiez. Je sentais le sable se soulever à mesure que vous avanciez. Et à l'odeur, j'ai pu deviner qu'environ trois pas nous séparaient, ce qui, excusez-moi, est très prétentieux de votre part.

- A l'odeur ? 

- Maître, vous empestez l'alcool ! D'ailleurs en ce moment-même, vous avez une bouteille de saké à la main ! soupira l'enfant.

- Hum... Bon soit. Mais cet indice ne t'as certainement pas suffit pour déterminer où j'étais.

- Effectivement. Votre ombre.

- Mon ombre ? Mais tu avais les yeux bandés, tu ne pouvais point la voir ! s'exclama-t-il, véritablement surpris.

- Non, mais je pouvais la toucher. Vous savez, lorsque l'on se place à moitié à l'ombre, on sent sa fraîcheur. Grâce au Soleil auquel vous faisiez dos, votre ombre a été projetée sur ma main droite et en fonction de votre taille et de votre capacité à me sous-estimer, j'ai pu calculer plus ou moins votre emplacement. Un jeu d'enfant. déclarait-elle enfin.

Shinobi était bluffé, bien plus qu'il ne l'avait été tout au long de sa vie. Son élève avait expliqué sa démarche incroyablement précise et qui avait porté ses fruits. Elle venait de terminer brillamment son apprentissage.


***

Un cœur à la merWhere stories live. Discover now