Prologue

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Clac.

La porte s'est refermée sur les deux jeunes garçons partis en courant. On les entendait pleurer au loin.

L'homme demeurait seul au pied du lit miteux, sa tête reposant sur le corps inanimé qui était allongé sous les couvertures. Non, pas un corps. Un cadavre.

Sa femme.

La mère de ses fils.

La mère de ce bébé, enfoui sous la couette, invisible et silencieux.

Pour le moment.

Il ou elle ne tarderait pas à avoir faim. Et à ce moment là, comment faire pour le nourrir ? Sa famille étant détestée de tous au village, personne ne songerait à accueillir cet enfant. Tous voudraient s'en débarrasser... Le monde s'en porterait mieux, d'après les villageois.

Mais le père, aussi amoureux qu'il soit des humains, ne pourrait jamais faire de mal à une mouche, encore moins son à propre enfant.

Des larmes d'impuissance dévalaient ses joues, il serrait les poings jusqu'à imprimer la marque de ses ongles dans sa propre chair. Il leva les yeux vers le visage de sa femme, si paisible malgré ses derniers moments remplis de douleur et de peur. Douleur pour son enfant. Peur pour son enfant.

L'homme se relevait alors, il essuyait ses larmes et prit son bébé dans ses bras. Cette petite chose gigotait déjà et malgré l'immense perte que venait de subir le pauvre mari, il sourit à la simple vue de son enfant.

Hors de question que ce nourrisson meure.

L'homme avait pris une résolution.

Cet enfant vivrait, quoi qu'il lui en coûte.

Il ne laisserait personne l'approcher, pas même ses jeunes frères.

Alors l'homme prit son manteau, s'approchait du lit et embrassait sa femme une dernière fois.

- Ne t'inquiète pas mon aimée, je mets notre enfant en sécurité, il ne saura jamais le nom de sa famille maudite, pour son bien. Je dirais à nos fils qu'il a péri à tes côtés. Personne ne pourra jamais le retrouver. Rassure-toi mon ange, tu peux partir en paix.

Puis, il remonta la couverture sur le visage apaisé par la mort.

L'homme cacha son enfant du mieux qu'il pu sous son manteau et sorti de la misérable cabane qui leur servait de domicile.

Aucun de ses fils n'étant en vue, il courut droit devant lui, traversa un petit bois et atteignit la mer. Du rivage, on distinguait au loin les contours d'une autre île, plus petite et à ce qu'on disait, habitée seulement par un vieil homme. C'était dans l'espoir de pouvoir confier le nourrisson à cet homme que le père prit la mer.

Dans sa barque secouée par les flots, il faisait de son mieux pour que le bébé ne soit pas trop perturbé. Depuis qu'il était venu au monde, il y avait à peine quelques heures, celui-ci n'avais pas pleuré une seule fois et ce, malgré la faim et le froid qu'il devait ressentir. On aurait dit que cet enfant savait le mal que se donnait son père pour le sauver et qu'il essayait à son tour de lui faciliter la tâche.

Cependant, arrivé à un point d'égale distance entre les deux îles, le vent se mit à mugir, la mer à se soulever et la barque menaçait de chavirer à tout instant. Pris de panique, le pauvre père essayait tant bien que mal de ramer vers la terre ferme mais on aurait dit que les éléments s'acharnaient contre lui.

Lui qui avait toujours fait face aux situations les plus difficiles avec un sourire franc, il perdait son sang-froid pour la première fois.

- Mon Dieu, si même le Ciel me juge indigne de rejoindre une pauvre île pour sauver mon enfant innocent, je craint hélas ! de ne plus pouvoir faire quoi que ce soit.

Puis il se mit debout, sur l'embarcation déjà bien mal en point, et leva la tête vers le ciel en hurlant au désespoir :

- Qu'est-ce que ma famille a bien pu faire pour mériter toutes ces épreuves ? Nous n'avons jamais souhaité que vivre en paix avec les humains, était-ce donc trop demander ?

Ce fut peut-être en voyant son père perdre son calme, ou peut-être en se sentant incommodé par les éléments en furie, toujours est-il que l'enfant ouvrit les yeux, qu'il saisit une mèche de cheveux de son père et qu'il tira dessus pour attirer l'attention de celui-ci.

Comme réveillé d'un sombre cauchemar, l'homme baissa les yeux sur son enfant et lui caressa le visage tendrement.

Alors, comme par miracle, le nourrisson éclata de rire et cette petite voix redonna un élan de courage à son père. Il se rassit, reprit les rames les se dirigea plus fermement que jamais vers la petite île.


***

Un cœur à la merDonde viven las historias. Descúbrelo ahora