Chapitre 66

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Ryder

Des hurlements au dehors me réveillèrent en sursaut. Je fus tellement désorienté que je tombai du canapé dans lequel je m'étais malencontreusement endormi pour les quelques heures de sommeil qu'il me restait. La dureté du sol me tira pour de bon de l'état semi-comateux dans lequel je me trouvais. Je me redressai péniblement, m'appuyant sur un des accoudoirs, attrapai le t-shirt que j'avais négligemment laissé traîner par terre et l'enfilai. Il faisait sombre, je n'avais pas rouvert les volets. Je poussai un grognement et passai une main sur mon visage tout en me dirigeant vers la fenêtre du salon. Quelle heure pouvait-il être ? Tard certainement. Ma joue endolorie me rappella la gifle qu'Honeymaren m'avait donnée. Jamais je ne l'avais vue aussi en colère contre moi. Bien sûr, je la comprenais. Je m'en voulais à moi-même à vrai dire. Mais la tentation avait été beaucoup trop forte, je n'avais eu d'autre choix que d'y succomber. Cela dit, je n'avais pas été dans un état normal, peut-être que si cela avait été le cas, j'aurais catégoriquement refusé. Mais ne l'aurais-je pas regretté finalement ? C'était une occasion inéspérée et je l'avais saisie, voilà tout. Enfin presque...

Je tirai les rideaux de la fenêtre et regardai au travers. Le petit interstice entre les deux battants des volets me laissait deviner un attroupement de personnes dehors. J'ouvris la fenêtre et les repoussai complètement, espérant en savoir plus. Certaines pleuraient, d'autres hurlaient. Il se passait quelque chose de grave. Je pris à peine le temps d'enfiler des chaussures et me précipitai à l'extérieur. La foule était si compacte que je n'arrivais pas à me faufiler entre les Northuldra qui étaient rassemblés là. Il y en avait qui restaient passifs, le visage attéré, les bras croisés, ne sachant quoi faire de plus. Des conversations fusaient dans tous les sens. Je ne comprenais rien.

« Qu'est-ce qui se passe ? » demandai-je.

Les quelques personnes qui m'entendirent me lancèrent un regard vide, sans toutefois répondre à ma question. Ils semblaient ailleurs, comme déconnectés de la réalité. Je tentai de pousser ceux qui me bouchaient la vue mais d'autres prenaient immédiatement leur place, m'empêchant d'avancer. Ils se bousculaient les uns les autres, tout aussi curieux que moi, pour voir ce qu'il se passait au devant. Et puis soudain, un cri plus perçant que les autres me glaça. Je montai sur la pointe des pieds et m'appuyai sur les épaules de mes voisins pour me maintenir en équilibre et tenter de voir ce qu'il se passait. Je réussis à apercevoir entre deux personnes une vieille femme en larmes qui hurlait des paroles indiscernables. Je ne la connaissais pas, mais la voir dans cet état me fendit le cœur. Je ne savais pas encore pourquoi elle criait ainsi mais je pouvais sentir toute sa douleur. Elle se laissa tomber à genoux dans l'herbe et enfouit son visage dans ses mains pour étouffer ses hurlements. Je me déportai légèrement sur la gauche tout en lançant des regards furtifs entre les jambes des Northuldra. Je remarquai alors une main, un bras et une jambe puis tout le corps d'un vieil homme étendu au sol. Je me déplaçai encore un peu et parvins enfin à voir son visage. Il était inconscient. Deux autres hommes étaient penchés au-dessus de lui, lui parlaient et tâtaient son poul sur son poignet. Il ne bougeait pas. Je reportais mon attention sur la vieille femme. Elle semblait déchirée face à cet homme au sol, celui avec qui je supposais qu'elle avait tout partagé, celui avec qui elle avait ri et pleuré. Tout son monde s'était écroulé autour d'elle quand son mari s'était effondré dans l'herbe. Et pendant ce temps, nous étions tous là à les contempler de haut, sans oser bouger. Je me sentais honteux. Honteux d'assister à cette scène sans la moindre discrétion. Au contraire, j'avais été pressé de découvrir ce qui était arrivé à ces pauvres gens, même si cela devait passer par mon entrée dans leur vie privée, maintenant exposée au grand public. Au lieu de nous sentir comme des intrus, nous restions là à observer passivement le malheur des autres, nous réjouissant secrètement que cela leur soit arrivé à eux et pas à nous. Mais de quoi s'agissait-il au juste ? Personne ne le savait vraiment.

La Reine des Neiges 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant