Chapitre 34

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Yéléna

Je n'arrivais plus à respirer. Ma poitrine semblait compressée sous le poids d'une force invisible qui m'étouffait petit à petit. Nous n'étions qu'au mois d'avril et pourtant, la chaleur commençait déjà à nous terrasser. Ce n'était pas celle de la journée qui me dérangeait le plus. Je n'avais qu'à me rapprocher d'un cours d'eau si je voulais me rafraîchir ; il y faisait encore frais. Non, c'était durant la nuit que cela me devenait insupportable. Jamais je n'avais eu à supporter de telles températures à des heures si tardives. Habituée à un rafraichissement soudain de l'atmosphère une fois le soleil couché, je n'arrivais pas à me faire à ce nouveau mode de vie dans lequel toute bouffée d'air frais devenait exceptionnelle voire inexistante. Depuis que l'esprit du vent s'était mystérieusement évaporé dans la nature, il devenait impossible d'espérer des températures clémentes durant la nuit.

Je me levai, ne supportant plus de me tortiller dans mon lit à la recherche d'une position pas trop inconfortable dans laquelle dormir. Je ne fermais plus l'œil depuis des années déjà mais tout s'était subitement aggravé en quelques mois à peine. Je ne cherchais plus à trouver le sommeil. C'était inutile, je le savais. Je préférais alors sortir de ma tente et parcourir le village jusqu'à dénicher un endroit calme et frais dans lequel rester une bonne partie de la nuit pour écouter la forêt. C'était une chose merveilleuse qui était devenue au fil du temps l'une de mes activités favorites. Entendre le clapotis de l'eau d'un ruisseau sur les pierres qui en tapissaient le fond. Voir le vol majestueux d'une chouette s'élançant d'une branche d'arbre et venant frôler le sol pour attraper un minuscule mulot qu'elle seule était capable de repérer dans le noir de la nuit. Sentir l'humidité des feuilles et de la terre. Jamais je ne m'étais sentie aussi vivante que dans ces moments là. Mais tout ceci était devenu rare après la disparition des esprits de la terre et du vent. Le doux bruissement du vent entre les feuilles avait laissé place au silence. La chouette avait elle aussi disparu, ne trouvant plus de quoi se nourrir. Bientôt cela serait notre tour...

J'écartai les pans de ma tente. La chaleur était tout aussi écrasante à l'extérieur. Je me sentais épuisée. Mon corps avait de plus en plus de mal à endurer des températures chaudes comme celles-ci. J'étais faible et incapable de faire le moindre effort physique. Je détestais me l'avouer, mais je commençais à ressentir les effets de la vieillesse sur mon corps. Je n'étais plus la femme sportive et inarrêtable d'autrefois. D'anciennes douleurs ou blessures tues depuis des années refaisaient surface. J'avais eu tord de vouloir les oublier, de vouloir les réduire à de simples cicatrices n'ayant plus la moindre importance. Mais voilà que ces sensations de coup de poignard lancinantes dans la cuisse gauche revenaient sans crier gare, me rappelant pourquoi j'étais obligée d'emporter partout où j'allais le bâton me servant de canne.

Je marchais péniblement. La douleur dans ma jambe me renvoyait le souvenir de cette affreuse journée que j'avais voulu oublier. Cette journée durant laquelle, trente-quatre ans auparavant, j'avais perdu mon père et avais failli perdre également ma jambe...

***

J'observais. A vrai dire, c'était ce que j'avais toujours fait. Je guettais les réactions des uns et des autres, appuyée contre un tronc d'arbre à attendre les bras croisés que quelque chose se produise. Mais quoi ? Je ne savais pas vraiment. Depuis l'arrivée du roi d'Arendelle et de son peuple dans la forêt enchantée, quelque chose ne me plaisait pas. Je me méfiais de Runeard et de sa garde qui n'arrêtaient pas de prôner le pacifisme autour d'eux alors même qu'ils portaient des épées à leur ceinture. Aucun ne me semblait véritablement sincère. Leur ton trop mielleux et leurs sourires forcés ne m'inspiraient pas confiance. Mais nul ne semblait s'en méfier. J'étais la seule.

Mon père, Harald, bavardait avec le roi Runeard. Je les regardais depuis plusieurs minutes sans parvenir à dire ce qui me dérangeait le plus dans leurs attitudes. Leurs éclats de rire ou bien les accolades qu'ils se donnaient l'un et l'autre régulièrement au fil de leur discussion ? Ils semblaient proches. Trop proches, alors qu'ils se connaissaient à peine. Les habitants d'Arendelle s'étaient toujours montrés hostiles avec nous. Ils nous avaient fait comprendre à plusieurs reprises que nos modes de vie bien trop ancestraux à leur goût n'étaient plus adaptés au monde qui nous entourait. Pendant des années, nos peuples s'étaient éloignés à cause de ces différences. Mais, en quelques semaines à peine, le roi Runeard avait soudainement pris la décision de faire de nous des alliés du royaume, nous promettant de nous protéger en cas d'invasion ennemie. Pour nous prouver sa bonne foi, il nous avait offert un barrage qu'il venait à présent inaugurer. Quelque chose m'échappait. Pourquoi après tant d'années de mépris Runeard pouvait-il vouloir se rapprocher de nous sans rien demander en retour ? C'était invraisemblable.

La Reine des Neiges 3Where stories live. Discover now