Chapitre 2

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Yéléna


Elle était là. Grande, belle, jeune, majestueuse. Tous l'admiraient, semblant irrésistiblement attirés par elle. Nulle ne lui ressemblait. Depuis son arrivée dans la forêt enchantée, ils semblaient subjugués et observaient avec attention ses moindres faits et gestes. Les plus jeunes s'amusaient de ses pouvoirs permettant de contrôler la neige et la glace. Les plus âgés enviaient la pureté de sa beauté. Une beauté pourtant glaciale avec une peau et des cheveux si clairs qu'ils pouvaient presque se confondre sur la neige de ce début de mois de janvier. Ses yeux d'un bleu vif semblaient transpercer tout ce sur quoi ils se posaient. Elle n'était pas comme nous. Et c'est ce que je comprenais de plus en plus.

Je l'observais depuis son arrivée. Elle nous avait libérés et avait ramené les esprits parmi nous. Je lui devais beaucoup certes. Mais elle était l'une des leurs, et non pas des nôtres. Je connaissais une partie de ses capacités. Elle pouvait nous détruire tout aussi facilement qu'elle nous avait sauvés, j'en étais convaincue. Je n'avais jamais fait confiance aux personnes d'Arendelle. Notre passé était une leçon. Je n'avais que trente ans lorsque j'avais assisté, impuissante, à la trahison du roi Runeard envers notre peuple. J'avais vu des familles entières se faire massacrer sous mes yeux. Mon père faisait partie de ceux ayant été tués, provoqué injustement en duel par le roi d'Arendelle. Le soir même, j'étais devenue chef des Northuldra, n'ayant pourtant jamais véritablement été préparée à un tel rôle.

Elsa était une descendante directe de Runeard, mais aussi d'Iduna, celle ayant lâchement abandonné son peuple, ne donnant plus jamais signe de vie. Et pourquoi ? Pour suivre Agnarr, l'héritier du trône d'Arendelle, qu'elle connaissait pourtant à peine. Pour certains, cette seconde trahison avait été un coup de massue, parfois bien plus douloureux que le premier. Je me souvenais encore des regards perdus, remplis d'incompréhension lorsque nous avions cherché en vain Iduna. Elle avait disparu, alors que personne ne la regardait. Elle avait profité d'un moment d'inattention pour s'éclipser et ne plus jamais revenir.

Au fond de moi, j'étais persuadée qu'il y avait eu une autre raison à ce départ précipité. Mais j'ignorais laquelle. Ma chance de découvrir un jour la vérité était cependant morte en même qu'Iduna. Elle avait emporté son secret avec elle, s'assurant qu'il ne remonte jamais à la surface. Elle avait certainement dû ignorer le mal qu'elle nous avait fait. Faisant pourtant partie d'une de nos plus anciennes familles, elle qui était si respectée à l'époque, malgré son jeune âge, ne représentait plus qu'une honte, qu'un détail de notre histoire que nous ne voulions plus aborder. Voilà où nous en étions. Plus personne n'osait évoquer cette malheureuse aventure. La blessure ne semblait pas s'être refermée. Elle nous avait laissés derrière elle, sans même se retourner, au moment où nous souffrions le plus.

Je regardai Elsa depuis l'intérieur de ma tente, entrouvrant légèrement les peaux de rennes qui en recouvraient l'entrée. Elle tenait Bruni, l'esprit du feu, entre ses mains et semblait amusée du comportement joueur de la petite salamandre. Quelques personnes s'approchèrent de la jeune femme et entamèrent une conversation avec elle. Je sentis la colère monter en moi. Je détestais que les Northuldra entretiennent de plus en plus de relations avec elle. Elsa nous trahirait, j'en étais persuadée. Son visage portait les traits de sa mère. Elles étaient pareilles.

***

J'étais montée sur les hauteurs, bien au-delà de notre campement. Appuyée contre un rocher, j'observais la vallée en contrebas. Les arbres, dépourvus de leurs feuilles, avaient enfilé leur manteau blanc hivernal qui enveloppait leurs branches. Une épaisse couche de neige recouvrait les sols depuis quelques jours. Le ruisseau dans lequel nous avions l'habitude de nous ravitailler, nous et nos bêtes, était complètement gelé. Je savais qu'il en était de même pour la Mer Sombre, quelques kilomètres plus au nord. Chaque année, aussi étonnant que cela puisse paraître, ses vagues tumultueuses arrêtaient brusquement de se jeter contre la petite crique qui y menait. Alors, une solide couche de glace se formait par-dessus, empêchant leurs va-et-vient habituels. Certains, trop téméraires, avaient tenté de rejoindre Ahtohallan, profitant que la Mer Sombre soit ainsi figée. Semblant au premier abord parfaitement inoffensive et sans danger en cette période de l'année, ils ne s'étaient pas méfiés, bien trop rongés par la curiosité et le désir de découvrir enfin cette île légendaire dont ils avaient toujours entendu parler. Ils avançaient alors d'un pas décidé sur la glace, ne se laissant jamais déstabiliser par son aspect froid et glissant. Mais, lorsqu'ils pensaient être arrivés à mi-chemin, se tenant au-dessus du point le plus profond de la Mer Sombre, Nokk, un cheval fougueux incarnant l'esprit de l'eau, brisait la glace sous leurs pieds. Ils s'accrochaient alors désespérément à tout ce qu'ils pouvaient, se démenant pour retrouver la terre ferme. Mais impossible. Nokk les attirait dans l'eau glacée, les entraînant toujours plus profondément et les empêchant de remonter à la surface. Nous avions déjà perdu tant de Northuldra ainsi... La plupart d'entre eux étaient de jeunes adultes, incapables de se raisonner. J'avais arrêté mes mises en garde depuis des années, comprenant que cela ne servait plus à rien. Ils étaient déterminés à rejoindre Ahtohallan, d'une manière ou d'une autre, même si cela devait leur coûter la vie. Seule Elsa avait réussi cet exploit et cela m'inquiétait. Face au succès de la jeune femme, ils seraient encore plus nombreux cette année à tenter leur chance pour la traversée. C'était peine perdue. Depuis des siècles il en était ainsi. Elsa avait été la seule exception. Par je ne savais quel miracle, l'ancienne reine avait dompté Nokk, lui permettant de se rendre sur l'île à sa guise. Le cheval n'avait pourtant jamais permis à qui que ce soit de le monter. Malgré les nombreuses tentatives, il était toujours sorti vainqueur de ses combats aquatiques contre ceux voulant l'apprivoiser. Nokk était sauvage et tenait plus que tout à sa liberté. Il a dû sentir qu'elle était comme lui, un esprit capable de contrôler un élément de la nature, pensai-je sans conviction tout de même.

Une brise vint fouetter mon visage, ramenant brusquement mes cheveux en arrière. L'hiver allait être glacial cette année, les esprits ne pouvaient me tromper. Je regardai alors l'immense bâton dont je ne me séparais quasiment jamais. Des symboles, tous différents, avaient été soigneusement gravés dans son bois poli au fil des années. Chacune des mystérieuses figures représentait celui qui l'avait sculptée. Elles étaient toutes différentes et uniques. La mienne n'y était pas encore. Ce bâton était dans ma famille depuis des générations, toujours transmis de père en fils. Etant fille unique et ayant perdu tout le restant de ma famille dans l'attaque, j'étais devenue la première femme chef des Northuldra. Cela faisait trente-quatre ans à présent. Mais jamais je n'avais ressenti le besoin de graver mon symbole, de laisser une trace indélébile de mon histoire.

Je ramassai une petite pierre pointue à mes pieds. J'inspirai profondément. Je savais ce que j'avais à faire. C'était le moment, le bon. Tout doucement, j'enfonçai la pointe dans le bois dur. Je traçai lentement les contours de mon minuscule dessin. Je savais parfaitement ce que je devais graver, je l'avais toujours su. Mes gestes étaient précis. Ma pierre s'enfonçait et se retirait régulièrement du bâton, donnant petit à petit forme à mon symbole.

Je me redressai, contemplant fièrement mon œuvre, tout en époussetant du bout des doigts les résidus de bois qui y étaient encore accrochés. Je souris. C'était parfait. Je levai la tête vers le ciel. Il était parfaitement bleu, aucun nuage ne venait le troubler. Bleu comme les yeux d'Elsa, songeai-je. Le soleil m'éblouis. Je fermai doucement les paupières, laissant ses rayons et sa douce chaleur caresser mon visage. J'aimais cette sensation et ce sentiment de plénitude qui pourtant m'étaient si peu accordés. Je ne me retrouvais que rarement seule. Alors, quand c'était le cas, j'en profitais comme si c'était la dernière fois.

Au bout de quelques instants de calme et de sérénité, je rouvris les yeux et regardai le symbole qui venait d'apparaître sur le bâton. C'était pourtant une évidence, depuis bien longtemps. Je ne l'avais cependant jamais ressenti comme cela auparavant, malgré son importance.

Restant à l'observer durant de longues minutes, je me rendis alors compte de tout ce que ce petit motif pouvait représenter pour moi. Je passai doucement mes doigts sur ses contours, sentant chacune des entailles que j'avais créées sous ma peau. C'était bien plus qu'un simple dessin. C'était ce qui nous maintenait en vie et nous protégeait. Nous, les Northuldra.

Je me levai, quittant le rocher sur lequel j'étais restée toute la matinée. Jetant un dernier coup d'œil sur la vallée semblant endormie, je me retirai lentement, m'appuyant sur mon bâton. Je sentis la figure que je venais de graver se frotter sous la paume de ma main. Un large sourire apparut sur mes lèvres sans même que je m'en rende compte. Mon symbole y resterait gravé pour l'éternité. Je laissais une trace de mon histoire à présent. Mon dessin en laisserait une. Mon soleil resterait incrusté à tout jamais dans ce bâton. 

La Reine des Neiges 3Wo Geschichten leben. Entdecke jetzt