Quelques instants plus tard, après avoir brisé tous les espoirs de Will, le redoutable Dave Trimax tourna les talons et s'éloigna, dos à l'étranger, comme s'il ne craignait aucunes représailles, en direction de la sortie, d'une démarche toujours assurée. Laporte s'ouvrit à la volée et pendant un instant, les agents fédéraux furent visible derrière les portières de leurs véhicules ;avant de se refermer aussitôt. Will resta de longues secondes, prostrée dans le silence. Si aux premiers abords, on pouvait penser qu'il réfléchissait, Julie sentait qu'il n'en était rien. Il était sonné par tout ce qu'il venait d'entendre. Comment accepter la fatalité ? Les fédéraux possédaient une avance trop importante sur ses plans. Ils savaient tout, jusqu'à avoir localisé l'emplacement du voilier. Will allait-il s'avouer vaincu ? Julie s'approcha de lui.
L'agent leur avait enlevé tout espoir.
Ce dernier avait commencé par leur expliquer que Bruxelles, capitale de l'Union européenne, s'était inquiété de la création de Luciano. Les hauts responsables des pays membres connaissaient son existence. Ils avaient décrété que cette communauté constituait une menace pour le monde libre. Ils avaient ordonné à l'Agence Gouvernementale de créer une équipe pour le débusquer et l'éradiquer. Luciano était devenu l'ennemi secret numéro un. Que des Réfugiés vivent reclus dans un endroit, géographiquement situé sur le continent, sans s'en confronter à ses lois et à ses règles, auraient montrés un signe de faiblesse et l'Europe désirait conserver son statut de leader mondiale. Mais, comment plier des états rivaux à sa volonté et à la force de son marché économique, si l'Europe n'était pas capable de vaincre des marginaux, sur son propre territoire ? Oui, Luciano menaçait leur équilibre.
— Je crois que nous n'avons plus le choix, murmura Will.
Julie attendit qu'il s'explique mais il réfléchissait. La jeune femme sentait ses pensées défilées à une vitesse vertigineuse. Elle glissa sa main dans la sienne et le tira pour le forcer à lui faire face. Il plongea son regard dans le sien. Julie n'avait aucune envie de lui sourire. Elle avait le cœur lourd. S'il ne pouvait gagner la bataille contre les fédéraux, alors le mieux était s'échapper. Il devait forcément y avoir une issue dans cette basilique par laquelle ils pourraient fuir.
Doucement, Will secoua la tête :
— Il faut que cette traque cesse. Cela fait vingt ans que je fuis devant lui et ces hommes. Je dois les affronter. Mais, je ne peux pas lui tenir tête seule. Et non, je ne contacterais pas l'Ordre du Berceau pour qu'il nous vienne en aide. Les Alliés ne peuvent rien pour nous. Quoi que je tente, tu dois garder en tête que je te protégerais quoiqu'il arrive. Je ne permettrais pas que tu tombes entre les mains.
Julie n'avait pas eu le temps d'approfondir. Will se détourna d'elle et s'éloigna de quelques pas, perdue dans ses pensées. La jeune femme avait peur. Elle ignorait ce qu'il avait en tête, mais elles avait que cela ne pourrait pas être suffisant. Dave Trimax avait une telle avance sur eux, une telle supériorité, que même le verbe tenter était à proscrire. Si Will voulait tenter quelque chose, c'était qu'il n'avait rien compris.
Après avoir expliqué que Luciano était devenu l'ennemi secret numéro un, le responsable de la brigade spéciale leur avait aussi révélé, avec un petit sourire narquois, qu'il y avait une taupe parmi ses proches. Will avait répondu à ses dénonciations par un rire forcé, mais il avait gardé le silence. Pour lui, il était impossible que l'un des siens ait pu le trahir. Mais Dave Trimax avait secoué la tête et avait clarifié ses accusations.
— Nous avons eu vent des différentes versions de la prophétie, avait-il dit. Il existerait dans les Grands Domaines, une table en pierre, à moitié dissimulée dans des grottes sur laquelle d'étranges inscriptions auraient été taillées. Nous connaissons vos légendes. Les habitants de Luciano croient en l'arrivée providentielle d'un être aux capacités extraordinaires, qui viendrait rééquilibrer les forces dans la lutte. Les Réfugiés t'ont tous considéré comme étant cet être incroyable, gracié par Ya. Ils avaient tous foi en toi. Après tout, tu avais créé ces Grands Domaines alors tu devais forcément être l'être divin ; celui qui se dresserait contre les hommes.
Dave Trimax avait secoué la tête, faussement peiné puis avait dit :
— Mais, ils se sont vite rendu compte que tu n'avais pas l'étoffe d'un héros, Piadoras. Tu n'étais pas celui dont parlaient les écritures. Les Réfugiés n'attendaient qu'une chose : que tu te lèves contre nous, mais c'est un rôle que tu as toujours refusé endosser. Tu ne voulais guider personne. Tu es certainement la personne la plus extraordinaire qu'ils aient rencontrée ; pour autant, cela n'a pas fait pas de toi l'être divin. Alors d'autres Réfugiés, comme Denis Favre, ont cherchés d'autres interprétations aux inscriptions à la table en pierre.
Julie avait vu le sourire de Will se raidir. Ce fut comme s'il recevait la pire des attaques, sans possibilité de répliquer. Il avait été trahi par l'un des siens. C'était quelque chose qu'il ne semblait pas avoir imaginé, encore moins anticipé. Si Julie avait déjà eu du mal à comprendre toutes ces histoires de table en pierre, d'inscription et de prophétie, elle s'était sentie néanmoins intéressée par ce qu'elle apprenait, d'autant plus que le nom de son père avait été cité.
Le monologue de l'agent Dave ne s'était pas clarifié, bien au contraire, et la jeune femme avait vite perdu le fil de la conversation. Il y eut des phrases dont Julie était restée hermétique fermé et qui n'avait aucun sens. Vers la fin, le ton était monté et Dave avait ordonné à l'étranger de se rendre, et de se constituer prisonnier. Il avait dit qu'il connaissait les légendes de Luciano et les interprétations de Denis Favre sur les écritures de la table en pierre. Il affirmait que le retour de la lumière au Berceau était la preuve que Piadoras croyait en cette prophétie. Et que si Denis avait raison, alors cela signifiait qu'en présence des trois fragments, les Jours Sombres avaient commencés. Et pour confirmer ces dires, Dave savait même que le Protecteur de Julie s'était réveillé.
Le Protecteur de Julie. Qu'est-ce que cela voulait dire ? Qui était son Protecteur ?Pourquoi personne ne prenait le temps de lui expliquer ? Tout ce qu'elle comprit était que Will n'était pas celui qui était désigné comme tel. Alors, qui cela pouvait-il être ? Malgré toutes ces questions, la jeune femme s'était tue et elle avait écouté, en sentant grandir en elle une sourde angoisse. Elle n'aimait pas ce terme. Ce terme l'effrayait. Le Protecteur de Julie.
— Ce sont des fabulations !s'était emporté Will. Personne ne sait vraiment ce que représentent tous ces...
— Nous n'y accordons aucun intérêt. Là, n'est pas notre rôle. Je me contente seulement de faire des déductions. Tu m'as déjà échappé une fois. Si tu disparais à nouveau, je doute que tu reviennes un jour. Le souci est qu'il y d'autres éléments qui viennent accréditer la prophétie de Denis Favre. Notamment à cause d'une explosion qui a frappé l'Agence et qui a condamné plusieurs niveaux. Certains spécialistes ont pensé qu'une charge nucléaire avait secoué le nord de la Scandinavie et le regard du monde s'est porté sur nous. Il a été très difficile de continuer à rendre l'Agence invisible après cet accident. Le plus étrange était qu'un enfant était parmi nous, quand tout a explosé. Je ne ferais pas durer le suspense plus longtemps. James Théodore est une propriété de l'armée européenne, soumis au service de l'énergie pour des tests. Mais, tout porte à croire qu'il ait lui aussi rencontré son Protecteur entre nos murs. Heureusement, le jeune Théo a été retrouvé et sera prochainement rapatrié vers une base secrète.
Le ton de Dave Trimax s'était fait plus dur et menaçant :
— Malgré les sentiments que j'ai pour toi, je te le dis sans équivoque : constitue-toi prisonnier que justice soit faite. Tu dois apprendre à ne plus revenir. Accepte l'idée que tu as échoué. Tout. L'enfant ne nous échappera pas. Et mademoiselle Favre, non plus. Tu ne peux plus gagner cette guerre, Piadoras.
— La discussion est terminée.
— Qu'il en soit ainsi.
Julie fut brutalement arrachée à ses pensées, quand Will revint vers elle. Il avait le sourire aux lèvres et une lueur brillait dans ces yeux. La jeune femme comprit qu'il avait une idée. Pourquoi s'obstinait-il ?
— Arrête d'être pessimiste, fit-il, l'air détaché.
— Tu as été trahi.
— Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Je m'emploierais à trouver le coupable plus tard. Pour l'heure, je suis bien trop important pour me laisser capturer. Ne t'ai-je pas dit que j'étais la Vie ? Et elle est indomptable. Elle ne peut pas être enfermée.
— Tu me fais peur.
— Je t'ai dit que nous aurions besoin d'aide. Il est notre dernière chance. Je vais retourner le voir. Tous les agents sont ici. L'hôpital ne doit être gardé que par des militaires. Aucun d'eux n'a de maitrise sur son mental. Je n'ai pas le choix.
— Non ! s'écria Julie, hystérique. Ne m'abandonne pas !
Elle voulut le saisir par le bras, pour l'empêcher de partir mais ses mains se refermèrent sur le vide. Will n'était déjà plus là. La jeune femme sut avec certitude que l'Ombre avait également perçu son départ car l'attaque contre la basilique débuta aussitôt.
Et Julie comprit que Will était tombé dans un piège.