Tandis que Will refermait les portes à l'aide de ses facultés, l'homme en noir s'avançait. Un agent. Julie comprit, en percevant les idées confuses de l'étranger, que c'était Dave Trimax. Une surprise. N'avait-il pas dit que Dave ne pouvait pas être à Annecy, car sinon il aurait senti sa présence ? Qui était cet agent ? Julie sut alors que cet homme était haut gradé dans l'Agence ; que c'était lui qui était à la tête de l'équipe opérationnelle chargée de traquer Will, jusqu'à dans l'autre monde. L'individu s'approcha. Ses bottes claquèrent sur le marbre. Il s'arrêta à mi-distance. Finalement, peut-être ne souhaitait-il pas affronter Will.
À moins qu'il ne désire pas que l'étranger disparaisse à nouveau, lui fit remarquer sa conscience. Will n'a pas l'air d'être un type courageux ; mais plutôt celui qui préfère fuir quand une situation devint compliquée, comme hier soir lors de la fête du lac.
Will se tourna vers Julie, choqué, les yeux écarquillés, comme s'il avait intercepté ces pensées. La jeune femme resta figée et fit un effort pour vider son esprit. Elle devait rester concentrée et ne pas se laisser perturber par les mises en garde de sa conscience.
Dave Trimax était un homme âgé. Il paraissait aussi vieux que l'était le Père Pascal, sans pour autant être autant mal. L'agent était grand, athlétique, tout en longueur. Julie devinait une certaine musculature sous son costume trois-pièces. Il portait les mêmes habits que son unité ainsi que la même paire de lunettes, qu'il enleva. Il était ridé, marqué par de profondes crevasses et tellement bronzé que par endroit, il était brulé. Ses yeux contrastaient avec son visage, à cause de leur couleur bleu clair, froid, perçant. Ses cheveux étaient blancs, longs et ils étaient impeccablement retenus par un ruban noué, qui lui donnait un air élégant. Il y avait quelque chose dans sa présence, de presque hautain. De toute évidence, cet homme était plus habitué à la vie au bureau qu'à celle sur le terrain. Julie s'interrogeait : depuis combien de temps Will était-il resté cloîtrer dans son autre monde ? Et depuis combien de temps Dave Trimax n'avait-il pas mis les pieds sur le terrain ?
L'agent n'accorda aucun regard sur Julie. Toute son attention semblait portée sur Will.
— Piadoras, déclara-t-il. Enfin, te voilà !
— Tu ne peux rien contre la lumière !
— Arrête tes inepties avec moi. Je ne suis pas l'un de tes disciples. Pourquoi es-tu là ? Pourquoi avoir pris un tel risque ? Cette traque s'éternise. J'aurais passé la plus grande partie de ma vie à te traquer et cela me lasse. Piadoras, tu avais été exécuté. Et tu en es revenu... Quoiqu'il en soit, la traque avait reprit et je t'avais retrouvé. Ici même. Je m'apprêtaisà t'arrêter une nouvelle fois mais tu as basculé dans quelque chose detotalement inacceptable.
Will semblait sur la défensive.
— J'ai payé pour mes crimes oubliés. Cela m'a couté la vie !
— Crois-moi : je ne l'ai pas fait de gaité de cœur, reprit Dave avec gravité. Tu sais toute l'affection que j'éprouvais pour toi. Quand tu es entré dans nos vies, tu les as rendus meilleurs. Puis, tu as commis des atrocités. Et, tu devais être arrêté. Cela a été l'une des plus grandes épreuves auxquelles j'ai dû faire face, écarter mes sentiments envers toi, laisser notre passif pour que je puisse faire mon devoir.
Dave Trimax se tut. Et le silence tomba dans la basilique. Julie était choquée par ce qu'elle entendait. Qu'est-ce que cela voulait dire ? Et c'est alors qu'elle emboita une pièce du puzzle. Will lui avait raconté son passé. Quand il avait une dizaine d'années, il avait été recueilli par un jeune gendarme et sa femme... qui était de toute évident Dave, à une époque où il ne travaillait pas encore pour Bruxelles.
— Je t'en prie, ne fais pas ça, protesta Will.
— Tu dois savoir combien tu m'as manqué et combien je suis heureux de te voir. J'ai fait placer Kassandra sous surveillance, mais tu n'es pas allé la voir une seule fois. Tout comme Éloïse. Elles t'aimaient toutes les deux et tu les as oubliés.
— C'est toi qui m'as contraint à l'exil ! s'écria-t-il, plein de rage. Les Grands Domaines ont été créés dans une nécessité de survie. Comme si Ya nous avait aidés à t'échapper.
— Ya...soupira l'agent, avec une certaine déception dans la voix. C'est ça, ton explication ? J'étais venu pour que tu t'expliques sur ce qu'il s'était passé en ce jour d'automne 87.Et tu m'annonces que tu as été appuyé par la divinité à laquelle croient les Réfugiés ? C'est grotesque... Quoi qu'il en soit, tu n'aurais pas dû quitter les Grands Domaines. Malgré l'affection que je te porte et combien cela me fait plaisir de te revoir, tu as...
— ...payé ma dette ! coupa Will, excédé. Combien de fois devrais-je mourir pour que justice soit faite ?
— Tu n'avais pas à revenir ! Tu seras exécuté jusqu'à ce que tu le comprennes. A chaque fois, je serais là. Et pour te dissuader de réapparaître ; aussi, je te fais une promesse : la chute de Luciano suivra la tienne. Quand tu reviendras, les Grands Domaines auront disparu. Qu'on puisse enfin passer à autre chose. Je ne suis pas stupide. Je sais que tu penses que les Jours Sombres ont débutés. Alors, je te le dis : Luciano tombera dans les prochaines heures.