Julie se débattit, lorsque l'air commença à lui manquer. Mais la poigne squelettique ne se desserra pas d'un pouce. Les énergies contradictoires continuèrent à se déverser. La peur, naturellement. Celle de mourir. Elle était trop jeune. Sans dire que finir de cette façon était la pire de manière de mourir. Il était inconcevable d'être tué par une créature fantastique. Mais, le plus difficile serait de ne pas comprendre pourquoi. Et d'un autre côté, les picotements dans son bas ventre s'embrasèrent. Elle percevait comme une énergie qui ne demandait qu'une chose : éclore. À mesure que les secondes passèrent, la peur prit le pas sur l'excitation et elle se débattit autant qu'elle put.
Alors que son champ de vision commençait à se troubler, Julie sentit la créature se figer et ses doigts s'ouvrirent légèrement. Elle posa son regard sur le bras d'os, qui devenait progressivement bleuté et se givrait, comme s'il gelait. Le monstre émit un grognement caverneux et lâcha la jeune femme. Avant que cette dernière ne tombe à genoux, le cœur tambourinant dans sa poitrine, le souffle saccadé, les membres tremblants, il y eut comme une détonation et le bras squelettique glacé explosa, pulvérisé en un millier de débris. Le temps d'un battement de paupière pour Julie, Will était là, devant elle. Il lui tournait le dos et faisait face au danger. Ce dernier émit une longue plainte aigüe. Il ne s'était pas attendu à son arrivée aussi soudaine. Quel que soit ce qu'il avait cherché à faire, Will venait contrecarrer ces plans.
La gorge brulant à chaque respiration, Julie posa ses mains sur son cou. Elle pleurait et dut prendre sur elle, pour se forcer à se calmer. Son cœur, affolé, lui faisait mal à chaque battement. Quelqu'un s'approcha dans son dos. C'était le prêtre. Il lui tira le bras et il l'aida à se relever. La jeune femme se glissa immédiatement derrière lui.
Will et la créature se défièrent. Silencieusement. Et puis au bout de quelques secondes, l'entité enveloppée dans le grand drap noir recula d'un mètre.
— Nous voulons tous les deux la même chose.
— Elle n'est pas prête, rétorqua Will.
— Le temps est une notion que nous n'avons pas.
La garçon se tut. Une nouvelle fois, le démon glissa d'un mètre en arrière.
— Tu ne me laisses pas le choix, reprit-elle, avec son timbre sans vie. Tu n'auras de cesse de vouloir la protéger et de me faire obstacle. Tu crois être en mesure de le faire. Pourtant, tu ne peux rien contre les forces qui sont en mouvement. Je reviendrais et quand je serais là, je t'écarterais définitivement.
— Qui t'abrite ?
L'intéressée ne répondit pas. Elle recula encore et finit par se fondre dans l'obscurité avoisinante. Le silence tomba. L'orage était passé, tout comme le danger.
Il se tourna vers Julie.
— Tout va bien ?
Elle hochant la tête. Sa gorge lui faisait encore trop mal pour parler. Will l'observa, mais il gardait un regard sombre et la jeune femme redoutait ce qu'il allait dire. Ce qui ne tarda pas.
— Les agents arrivent. J'ai réussi à m'infiltrer dans l'hôpital et j'ai pu échanger quelques mots avec l'enfant. J'ai pris toutes les mesures nécessaires pour disparaitre sans laisser de trace, mais naturellement, j'ai été découvert. J'ai pu intercepter certaines de leurs pensées et ils savent où tu es. Ils utilisent les caméras de surveillance de la ville. Cette fois, ils arrivent en nombre. Une vaste opération d'envergure cherchant à t'attraper. Ils veulent te séparer de moi, t'empêcher de t'accomplir.
Julie ouvrit la bouche, prête à répéter qu'elle ne comprenait pas l'histoire dans laquelle elle s'était embarquée...
— Ils t'ont trouvé. Nous ne pouvons pas rester ici. Nous ne pouvons plus rejoindre le port où ton ami David nous attend. Nous devons nous replier à la basilique. Nous déciderons là-haut de la suite des évènements... Mais, où est Pascal ?
Alors que la pluie s'était complètement arrêtée, les premiers rayons du soleil trouèrent les nuages. La ville sortit de sa léthargie. Aussitôt, les températures remontèrent ; et à mesure que la nuit disparaissait, l'air devint plus chaud et sec : un air de canicule.
Les gens réapparurent. Ce fut comme s'ils avaient toujours été là. Comme si la tempête n'avait été qu'une bulle dans laquelle on avait enfermé Julie et qu'avait maintenant éclaté. On avait joué avec son esprit, mais la jeune femme était trop contrariée pour creuser la question. Avec Will, ils reprirent de chemin de la Basilique. Ses pensées l'envahirent. C'est à peine si elle râla de devoir recommencer le même chemin ardu qu'elle avait déjà emprunté quelques heures auparavant. Elle ne se voyait pas la force de remonter les quatre-vingt-dix marches. Pas une deuxième fois en aussi peu de temps.
Que venait-il de se passer entre Will et la créature ? Il lui avait parlé comme s'il avait compris ces motivations. Elle n'est pas prête, avait-il dit. C'était absurde. Comment pouvait-il savoir ce que cette entité démoniaque désirait ? Le plus inquiétant était que la créature en avait après elle. Ses intentions étaient claires. Ce monstre voulait la tuer.
Je suis venu chercher la lumière.
Tout ceci n'avait aucun sens. Mais si Will ne s'expliquait pas, comment était-elle censée comprendre ? Une bête démoniaque l'avait agressé, et personne ne l'aidait à saisir ce qui se passait. À mesure que la jeune femme grimpa les marches de l'interminable escalier, la colère gonfla sa poitrine. Une discussion s'imposait. Pourquoi Will lui avait-il parlé de Luciano ? Pourquoi n'avait-il pas profité de ce précieux laps de temps pour l'informer qu'un monstre allait débarquer et s'en prendre à elle ?
L'étranger lui répondit aussitôt :
— Luciano est inscrit dans tes gènes. Je crois que son concept fait partie de toi. Tu n'en as peut-être pas encore conscience, mais tu n'es pas comme tes amis. Tu n'es pas comme le commun du mortel. Tu es différente. Parce que tu renfermes quelque chose de précieux. Tu l'ignores, mais tu abrites une énergie qui ne demande qu'à être libérer.
Il avait parlé sans s'arrêter ni se retourner.
— Et c'est pour ça que tu m'emmènes à Luciano ?
— Luciano n'est pas un endroit. C'est une philosophie de vie. Mais oui, c'est pour cela que j'ai besoin que tu me suives jusqu'à dans les Grands Domaines. Tu es l'élu que Luciano attendait : une pièce maitresse dans sa bataille contre les hommes.
— Je crois que je commence à comprendre.
— Le souci, c'est que la lumière que tu abrites est une énergie que l'Agence Gouvernementale convoite. Elle se doute que tu la détiens. La créature est liée à ce pouvoir. Pour faire simple, j'ai titillé cette force quand je t'ai rencontré et cela à réveiller une puissance obscure. Elle ne cessera pas de se confronter à toi pour l'obtenir. Je vais essayer de t'aider et de te former le mieux possible à maitriser tes pensées, les énergies primaires j'entends, pour que tu puisses te défendre.
Julie secoua la tête.
— Avec toi à mes côtés, je n'ai pas besoin d'avoir aucune autre protection.
Ils arrivèrent en haut des escaliers. Will s'écarta pour lui faire face. Il était tellement beau, avec ses cheveux mouillés qui avaient foncé et qui lui retombaient en mèches rebelles devant les yeux. Julie souriait, sachant très bien qu'il percevait ses pensées.
Quand est-ce que tu vas m'embrasser ? fit-elle, mentalement, en le regardant droit dans les yeux.
Une voix étrangère à la sienne envahit son esprit et murmura :
J'aurais envie de faire plus que ça... comme me fondre en toi.
Julie baissa les yeux et rougit. Mais la jeune femme était angoissée, comme si quelque chose pesait sur son cœur. Elle se tourna vers le soleil ardant. Il n'y avait désormais plus aucune trace de la tempête ni de son passage. À croire qu'elle n'avait jamais existé. C'était surréaliste. Avec le recul, Julie eut l'impression qu'il ne faisait pas aussi « jour » que d'habitude. Comme s'il y avait un manque de lumière.
Ou une Ombre, comprit-elle.
Tout se passa rapidement. Will glissa sa main dans la sienne puis ils s'élancèrent vers la basilique, qui se dressa devant eux, au bout du parking. Ils étaient à mi-chemin quand Julie entendit derrière eux le ronronnement de moteur des véhicules qui accéléraient, en pénétrant en trombe l'aire de stationnement. Ils étaient nombreux. La jeune femme n'eut nul besoin de se retourner pour savoir que des fourgonnettes noires se dispersèrent derrière eux et foncèrent vers l'église.
Julie avait mal aux cuisses mais elle ne ralentit pas. Dans leurs dos, les véhicules s'arrêtèrent les uns après les autres et leurs portières s'ouvrèrent dans un seul mouvement. Le duo grimpa les marches pour atteindre l'entrée du bâtiment religieux. Les agents fédéraux se déployèrent mais c'était trop tard.
Le Père Pascal referma la lourde porte dès que Julie et Will en eurent franchit le seuil.