Gabriel
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J'avance, docile, mais jamais sans imaginer une façon de désarmer cette folle sans risquer la vie de Fred. Il m'en veut déjà suffisamment du fait d'être parti sans m'assurer qu'il était en vie. Néanmoins, je ne peux m'empêcher de me dire qu'il aurait fait la même chose à la place. Un demi million de Stozar, qui était censé m'être donné en guise de récompense, difficile de ne pas penser de façon égoïste.
Je l'emmène jusqu'aux écuries, il n'y a plus grand monde ici puisque tout le monde s'attelle à accueillir les Mages et surtout, Aowyn, l'un des plus riches et puissant Mage des Trois Couronnes.
Je jette un regard en biais à la menace qu'est cette femme puis j'ouvre un box pour en sortir un cheval.
Elle ne me laisse pas le temps de le préparer, elle pousse Fred en avant et s'approche de cheval. J'en profite pour tenter de la désarmer alors que Fred pose sa main sur la blessure sur son cou, il saigne tout de même beaucoup. Je tente de saisir sa lame mais elle riposte, elle se cogne dans la porte fermée d'un box sans lâcher sa lame que je tente de lui arracher des mains. Elle grogne pour se défendre, elle ne lâchera donc jamais l'affaire.
— Fred ! Grogné-je tout en forçant, aide-moi à...
Je ne termine pas ma phrase puisque son genou vient heurter mes bijoux de famille. Ma respiration se coupe puis sa lame lèche la peau de mon arcade. Je sens ma chair se déchirer et le sang couler abondamment pour brûler mon œil juste en dessous. Je me tiens les parties, alors qu'elle s'approche du cheval.
— Je ne lui ai même pas mis de selle... commenté-je le souffle coupe.
Je croise rapidement son regard.
— J'ai vécu à la ferme, abruti, siffle-t-elle.
Elle parvient à grimper sur le dos du cheval qui part aussitôt au galop en hennissant. Je m'accroche au bord du box non loin du museau d'un cheval pour me redresser. Elle ne m'a pas raté. Je grimace puis passe ma main sur ma plaie au visage, je saigne beaucoup, je crois bien qu'elle m'a coupé le sourcil en deux.
— Tu aurais dû m'aider... grommelé-je.
— Vas te faire foutre, Gabriel, peste Fred en quittant les écuries.
Je le suis, légèrement boiteux car mon entrejambe reste douloureux, je n'y vois rien de l'œil droit à cause de tout ce sang. Nous pouvons voir plusieurs domestiques et mercenaires sortir, tous sur les nerfs avant que Baralf ne suive. Fred s'arrête et moi quelques centimètres derrière. Baralf s'avance vers nous, les ponts serrés.
— Ne me dites pas que...
— Il y en a plein d'autres... maugrée-je.
Alors Baralf se désintéresse de Fred, il s'arrête juste face à moi, le menton levé.
— De déception en déception, Gabriel... je te pensais le plus intelligent de tous et je me rends compte que tu es le moins réfléchi.
— Il m'a sauvé, intervient Fred.
— Et moi, je dis quoi aux Mages qui viennent d'arriver ? Je dis quoi à Aowyn ?! Gronde Baralf.
— On va la retrouver.
Je dis cela, sûr de moi, alors que Baralf me rit au nez.
— Non, tu vas connaître une bonne correction.
— Laisses-moi partir maintenant et je te la ramène avant le lever du jour !
— Ne hausses pas le ton avec moi !
— Et toi, cesses de me menacer ! Je peux réparer cette erreur !
Fred me jette un regard, je suppose qu'il le prend pour lui. Baralf plisse les paupières et me toise. Sans prévenir, il lève sa main et je vois ses doigts qui se contractent, se tendent, se tordent... c'est ainsi que je sens une poigne autour de ma gorge, comme quelqu'un qui me tiendrait le cou pour m'étouffer. Je tente de ne pas ciller mais je sais très bien que je rougis par manque d'oxygène, j'avance de deux pas vers lui, sans le contrôler et le voilà qui me fixe, sans relâcher sa main et son pouvoir contre moi.
— Je te laisse vingt quatre heures pour ramener la Non-Mage. Si tu n'es pas ici, dans vingt quatre heures, toi et Fred, ne ferez plus partie de mes protégés.
Il m'effacerait ainsi de sa vie en si peu de temps ? J'ai du mal à y croire mais Baralf n'est pas un homme aux grandes paroles. Ses menaces sont généralement vraies. Ce qui me turlupine, c'est de le savoir aussi inquiet à l'idée de perdre cette femme. Aowyn la voulait-il, elle, plus qu'une autre ? Je ne suis pas certain de comprendre réellement l'enjeu de ce contrat mais peut-être que je ne suis pas le seul à risquer ma peau. Peut-être que Baralf aussi, est menacé par plus fort que lui.
— Tu... m'étouffes... balbutié-je.
Il baisse son bras, ce qui stoppe aussitôt la pression qu'il exerçait sur la gorge. Je peux enfin reprendre mon souffle, je tousse, me masse la nuque, elle est douloureuse et encore raide. Mon coeur bat fort, et ma vue en devenait même trouble.
— Vingt quatre heures, ne l'oubliez pas, insiste Baralf. Ne me décevez pas une nouvelle fois.
Il se retourne et rentre dans le domaine. Je m'appuie sur mes jambes, le temps de reprendre mes esprits. Être victime des pouvoirs d'un Mage est toujours bouleversant. Leur magie aspire l'énergie qui se trouve dans le corps de leur victime, comme s'ils utilisaient notre énergie, pour amplifier leur pouvoir.
— On est dans de beaux draps... commente Fred.
Je lui jette un regard tout en me redressant et faisant craquer mes épaules.
— Tu voulais la laisser partir, Fred. Tu n'as rien fait pour la retenir. Et maintenant... aïe... j'ai cette balafre immonde sur le visage, je dis en me touchant le visage.
— Arrêtes donc de me reprocher des choses, cette femme m'a tiré dessus avec du gros sel ! Alors non, je ne voulais pas la laisser partir mais à la fois... savoir que nous ne sommes pas payés pour ce travail, là par contre, ça change ma vision des choses. Je ne kidnappe pas des femmes pour la gloire.
— Si nous lui ramenons, il nous paieras.
— Tu continues ton déni, si Baralf te dit qu'il ne te payera pas, il ne te payera pas et encore moins suite à ce qu'il vient de se passer. Baralf ne te le pardonnera pas, Gab... mais tu n'ouvres pas les yeux. Il est autant en danger que toi, à présent.
Je me mordille les lèvres tout en l'écoutant. Peut-être a-t-il raison, mais je crois que Baralf a fait de moi le parfait mercenaire, celui qui continuera d'y croire, même lorsqu'il n'y aura plus aucune raison d'y croire. Baralf m'a façonné à son image en ce qui concerne l'empathie, et à la fois, m'a rendu incroyablement docile.
— Ne tardons pas, grommelé-je.
Nous récupérons un cheval chacun puis partons aussitôt après m'être nettoyé l'arcade pour y voir plus clair. Nous sommes toujours armés, bien que Fred ait perdu sa lame, il lui reste un petit poignard qu'il planque toujours dans sa botte gauche. Nous partons au galop sur les chemins qui menaient jusqu'à cette grande demeure. J'avais espéré passer la nuit dans un lit, me décrasser, et éventuellement trouver une jolie créature magique pour me tenir compagnie.
Au lieu de cela, je pars à la chasse, encore. Cependant, cette fois, ce n'est pas pour de l'argent.
Cette fois, c'est pour sauver notre peau.