XL Le Lendemain

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Le lendemain matin, Catherine se soucia de ne pas voir arriver l'enquêteur et décida d'aller vérifier qu'il ne lui était rien arrivé. Elle frappa plusieurs fois mais n'entendit pas de réponse. Elle se permit d'entrer, la porte n'était pas fermée. Le spectacle qui s'offrit à elle n'était pas beau à voir. Les quatre hommes formaient une croix, ils ronflaient bruyamment. La puanteur était atroce, elle eut un haut-le-cœur.

Elle sortit cinq secondes pour reprendre une bouffée d'air frais. En entrant, elle remarqua le seau d'eau près de la fenêtre. Le liquide était pratiquement gelé. Parfait, se dit-elle, cela va un peu les dégriser et leur donner un coup de fouet. Une, deux, trois... les quatre têtes reçurent leur dose. Le choc fut terriblement violent, Éric en avait eu plus que les autres et il savait à peine respirer. Ils se relevèrent sur leur séant et virent Catherine au-dessus d'eux. Stéphane sortit le premier de sa léthargie.

- Catherine, justement, nous...

Le violent coup de coude qu'il reçut dans les côtes l'arrêta net. Richard voulut se lever mais parvint juste à demander :

- Auriez- vous l'extrême obligeance et l'amabilité de me donner le seau, Catherine ? J'en ai grand besoin.

- Voici.

- Je vous remercie, dit-il, le plus dignement possible.

- Ne me dites pas que vous allez... Oh ! dit-elle avec dégoût.

Richard se vidait du contenu de son estomac de manière si violente que Catherine faillit l'imiter. Michel le regardait en rigolant, il n'avait pas encore totalement dessaoulé. Richard continuait en se rappelant de la dernière bouteille qu'il n'aurait pas dû ouvrir, c'était toujours la dernière bouteille. À ce moment, Catherine l'observait en se demandant ce qu'elle pouvait bien lui trouver.

- Pourquoi êtes-vous venue ?

- Je voulais vous parler.

Il se repencha vers le seau et s'y remit. Catherine ajouta :

- Cela attendra.

- Non, allez-y.

- Eh, bien..., commença-t-elle en continuant à le regarder rendre à ses pieds. Elle ajouta : non, vraiment, cela attendra.

- Je suis tout ouïe.

- Je vous assure que cela peut assurément attendre que vous soyez en de meilleures dispositions, Richard. Faites-moi confiance sur ce point.

Les trois autres se levèrent et rentrèrent chez eux. Catherine alluma un feu et prépara une bonne tisane, elle avait apporté de quoi en faire avec elle au cas où... Elle savait que cela ne pourrait pas lui faire de mal. Il fut cependant incapable d'en avaler la moindre goutte, l'odeur était déjà trop forte, il ne lui fallait que de l'eau et du pain sec, rien d'autre. Elle sirota la sienne en regardant devant elle le résultat d'une soirée trop arrosée. Elle esquissa un petit sourire, il faisait vraiment peine à voir le plus grand et le plus intrépide enquêteur de Strépy.

- Vous allez mieux, mon lapin ? demanda-t-elle avec un petit sourire.

- Je vous ai déjà expliqué que...

- Venez. Marcher vous fera le plus grand bien, je crois.

Elle en était même sûre. Tout plutôt que de stagner dans la puanteur de sa maison. Une épaisse couche nuageuse couvrait le ciel mais le tapis de neige rendait une grande clarté. Quelques flocons tombaient paresseusement de temps à autre. Ils ne le savaient pas mais ils reprenaient l'itinéraire que les deux amants maudits avaient emprunté avant que Letisserand ne fasse basculer leurs vies.

- Mon père adorait cet endroit, il m'y emmenait toujours lorsque j'étais encore une enfant. Il trouvait la vue incomparable.

- Je ne peux le contredire, répondit-il même si ce n'était pas le paysage qu'il regardait, elle ne s'en rendit pas compte.

- Je me sens un peu déprimée, Richard.

- Je comprends.

Dans son état, c'était tout à fait vrai. Il avait un terrible mal de crâne et ses intestins avaient déjà été dans de bien plus glorieux états. Catherine se sentait prête à avoir la discussion qu'elle avait préparée avec sa mère la veille. Elle se lança :

- Toute cette histoire me fait comprendre à quel point notre existence est éphémère. La vie d'un papillon nous semble si courte mais la nôtre l'est tout autant pour un chêne et lui-même sera un tas de poussière alors que le rocher à son côté n'aura pas bougé d'un pouce. Finalement, le temps qui nous est imparti passe tellement rapidement...

Il n'était pas vraiment dans le ton pour ce genre de discussion philosophique mais il essaya de le cacher, il ne voulait pas l'interrompre. Et puis, il devait prendre le temps de se remettre les idées en place. Elle sentait qu'il fallait qu'elle accélère un peu les choses. Elle décida de tenter le tout pour le tout :

- Écoutez, Richard, ce que j'essaie de vous dire, c'est que... Qu'y a-t-il ?

- J'ai marché dans un trou, je me suis enfoncé et de la neige a pénétré dans ma botte, c'est extrêmement désagréable... Oh! À propos de bottes, cela me rappelle la révélation qu'Éric a eue, hier, aux Embuscades.

Elle était un peu dépitée, mais elle eut la force de se reconcentrer sur l'enquête et de prêter attention à des propos d'ivrognes. Elle finirait bien par lui parler à un autre moment. Elle se contenta de demander :

- Qu'a-t-il dit ?

- Et si le meurtre de votre père servait à couvrir le meurtre du cordonnier plutôt que l'inverse comme nous le pensions ?

Ce n'était pas si mal pour un poivrot, pensa-t-elle. Il fallait reconnaître que cela permettait de voir l'enquête sous un jour nouveau. Elle ne voulait pas non plus paraître trop intéressée par la théorie d'Éric qui avait mis Richard dans un tel état. Elle se contenta de répondre, d'une manière aussi distraite que possible :

- Ce n'est pas idiot.

- Oui, je trouve aussi que c'est un point de vue assez intéressant pour mériter que nous nous y attardions. Voilà ce que je pense : l'assassin choisit votre père au hasard pour que l'enquête progresse vers l'une de ces connaissances ou vers l'un de ses ennemis. Ensuite, il tue le cordonnier sa vraie cible et on cherche une connexion alors qu'il n'y en a aucune.

- Peut-être que son désir premier était que Joseph soit enfermé pour le meurtre qu'il avait lui-même commis mais il s'est rendu compte d'une chose essentielle : pendant qu'il assassinait mon père, le cordonnier se trouvait peut-être avec d'autres personnes, il ne pouvait pas le savoir puisqu'il ne pouvait pas le surveiller alors il l'a tué en maquillant le meurtre en suicide causé par la mauvaise conscience due au meurtre que nous lui aurions imputé.

- Dans ce cas, il y a encore des personnes en danger.

- Oui, toutes celles qui étaient présentes aux côtés de ce malheureux Joseph pendant le meurtre de mon père !

Ils coururent aussi vite que Richard le pouvait en direction du hameau où se trouvaient les personnes les plus susceptibles d'avoir eu un contact avec Joseph à ce moment-là. En quittant le bois, ils arrivèrent sur la route qui menait au Roeulx. Ils n'étaient qu'à quelques pas de la scène du crime, ils comprirent alors que c'était très certainement par ici qu'était passé Ursmer avant de se faire attaquer.

Toute l'affairecommençait à s'éclaircir, la chronologie des faits s'emboîtait, se dessinait,il ne restait plus qu'à comprendre le motif du meurtre du cordonnier et l'assassinserait démasqué. Ils devaient se dépêcher, une autre personne pourrait mourirs'ils n'agissaient pas plus rapidement que le meurtrier.

Le Bûcher de la SorcièreWhere stories live. Discover now