XII Le Bûcher de la Sorcière

17 1 0
                                    

L'exécution allait bientôt avoir lieu. Ursmer était retourné près de la berge où pour la première fois il l'avait connue. Elle était si parfaite. Était-ce un artifice ? Avait-il été abusé ? Drogué ? Tout lui avait semblé si réel qu'il se refusait à y croire. Mais peut-être était-ce encore l'effet de ce philtre dont l'inquisiteur lui avait parlé plus tôt. Il pleurait. Il n'imaginait pas sa vie sans elle, il n'avait même pas envie d'essayer. Dans quel but aurait-elle manigancé un sortilège qui l'aurait rendu fou amoureux d'elle alors qu'elle ne lui avait rien demandé par la suite ? Si c'était juste pour se trouver un partenaire, il y avait bien meilleur parti que lui. Cette dernière constatation le fit à nouveau douter. Pourquoi une dame si belle, si intelligente se serait intéressée à un homme simple comme lui ?

Il resta un moment allongé dans l'herbe. Il prit une décision difficile, il se rendit au bûcher pour l'adieu. Il ne voulait pas la voir souffrir mais il voulait qu'elle ait une vision amicale lorsqu'elle partirait. Elle était vêtue de son manteau noir, la capuche rabattue sur le visage. Les habitants lui crachaient dessus, l'insultaient et lui lançaient des objets de toutes sortes mais surtout les potions qu'elle leur avait préparées. Elle restait digne malgré la cruauté gratuite des gens qui, il y a seulement un jour, lui adressaient un grand sourire quand ils la croisaient dans la rue.

Le prévôt la regardait s'approcher. Il n'y avait pas une ombre de pitié dans ses yeux. Ni de remords, d'ailleurs. Cet homme avait déjà assisté de nombreuses fois à ce spectacle et n'en était plus affecté. Ce n'était plus un être humain pour lui, cette âme noire à délivrer ne représentait rien de plus qu'un animal qu'on menait à l'abattoir. Il n'avait pas sourcillé quand Richard lui avait demandé d'attendre que la supposée victime d'Agnès revienne à lui pour un complément d'enquête. Il était resté impassible et sûr de son jugement.

Il avait graissé la patte du bourreau, plutôt qu'un bois vert qui brûle mal et qui aurait tué la condamnée par asphyxie avant même que le feu ne la touche, il lui avait demandé d'utiliser un bois sec qui flamberait rapidement. Ainsi, la sorcière subirait la souffrance maximale, avec les compliments de son époux.

Le bourreau ne fit pas de manière, il avait pour ordre de l'étrangler avant de l'incinérer, il ne comprenait pas bien la différence que cela faisait de choisir un type de bois plutôt qu'un autre.

Agnès fut accrochée à l'estaque que l'on avait fiché en terre près d'un grand marronnier à quelques centaines de coudées du sentier qu'elle avait coutume d'emprunter avec Ursmer. Le bois serait bientôt disposée autour d'elle jusqu'à sa taille mais avant cela, le prévôt vint une nouvelle fois lui parler.

- N'aie crainte ma belle, ta situation ne peut plus empirer, dit-il avec ce qui devait être le seizième sourire de sa vie. Ton ami, le châtelain est parti, il ne voulait pas voir cela, c'est dommage parce que nous avions encore une autre petite question : Y-a-t-il quelqu'un d'autre qui pourrait être décrite comme sorcière dans ce village ?

- Vil serpent, qu'espériez-vous donc ? Pourquoi vous donnerais-je le nom d'une innocente ? Pourquoi vous aiderais-je à avoir une promotion ou une réputation ? Qu'aurais-je à y gagner ?

- La strangulation, ma chère. Et crois-moi, mon petit cœur, c'est une alternative nettement plus douce que le brasier qui se prépare.

- Mais le seigneur de Croÿ a dit que...

- Il n'est plus là, sorcière. Regarde ces gens qui viennent de te jeter tout ce qui leur passait par la main à la figure, tu crois qu'un seul va s'indigner si tu es brûlée vive ? Souviens-toi de l'estrapade et sache que nulle souffrance que tu as endurée alors ne saurait être comparée à celle que tu subiras maintenant. Un nom, juste un nom et tout cela te sera évité.

Les gens du village criaient que l'on mette à mort la sorcière. Elle les regardait un à un mais ne reçut aucun réconfort, aucun appui, uniquement de la haine, du mépris et du dégoût. Ces personnes ne méritaient-elles pas le sort qu'elles lui réservaient ?

- J'écoute.

Elle ne put se résigner, on se souviendrait d'elle comme de la sorcière de Strépy mais elle mourrait la conscience tranquille et l'âme pure. Elle se doutait du mal abominable qui allait parcourir on corps mais c'était comme cela qu'elle partirait. Digne jusque dans la mort, ainsi disparaîtrait Agnès Melin. Elle releva la tête vers l'homme qui lui avait causé tant de tourments et lui dit :

- Adieu, être abominable ! Puisse le Seigneur avoir pitié d'une âme aussi noire que la vôtre.

- Adieu, sorcière.

L'heure du bûcher approchait. Les fagots s'empilaient. Une fois que le brasier fut lancé, on put deviner les visages haineux de toute la population qui insultait et maudissait la Sorcière. Soupart regarda son visage superbe au-dessus de l'enceinte que formaient les villageois autour du feu. Quelque chose dans son regard lui donnait un air mélancolique, sentiment qu'il partageait, il aurait cent fois préféré rester avec elle que de rejoindre la foule mais il y était obligé. Il voulut lui demander pourquoi lui. Une sorte de communication avait dû se faire car elle haussa les épaules comme pour dire qu'elle n'en avait pas la moindre idée. Ce n'était pas la réponse qu'il espérait mais il sut qu'elle était sincère. Une grande clameur retentit comme le feu prit de l'importance. Elle hurla son nom, ils ne se reverraient plus jamais.

Le spectacle du supplice devint insoutenable à cause de sa cruauté. Le silence se fit ensuite pendant que les gens observaient la Sorcière mourir. Il regarda une dernière fois dans sa direction mais elle avait les yeux fermés. Elle était ailleurs. Il n'oublierait jamais cet instant ni celle qui l'avait rendu si triste.

Il ne se rendit compte de toute l'horreur de l'exécution à laquelle il avait assisté que beaucoup plus tard cette nuit-là. Il prit alors la résolution ferme et cette fois-ci définitive de ne plus jamais arrêter de boire : l'alcool lui avait toujours permis d'oublier ses problèmes et il en avait besoin. Cette nuit quelque chose en lui était mort et une sensation nouvelle était apparue.

Le Bûcher de la SorcièreWhere stories live. Discover now