XXXIII L'enquêteur

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Le temps se faisait de plus en plus clément à mesure qu'ils arrivaient à destination. Ils ne furent cependant pas moins soulagés quand Dolliet leur offrit une soupe bien chaude. Ils réchauffaient leurs doigts contre la tasse et sentaient le liquide chaud couler à travers leur gorge avec un plaisir infini.

- Que me vaut cette visite par un temps aussi glacial, Bodson ?

- Nous venons pour l'enquête.

- Nous n'allons pas remettre cela...

- Il y a eu un nouveau meurtre.

- Vous êtes sérieux ?

Richard récapitula toute l'histoire sans omettre les parties où il avait désobéi à Dolliet et avait investigué de son côté. Pendant ce temps, l'inspecteur écoutait attentivement, il était plus curieux que rancunier.

- Un cordonnier étranglé par des lacets ? Vous avez fait tout ce chemin pour vous payer ma tête, Bodson ?

- Nous en sommes quasiment certains.

- Il est vrai que tout indique qu'il s'agit du même tueur. Notre principal suspect pour l'instant est un certain Delplanche. J'avais prévu de l'amener ici ce matin pour avoir des éclaircissements mais le ciel ne m'y a pas autorisé. J'aurais bravé les éléments si j'avais craint une fuite mais il ne se sent pas menacé, je l'ai vu lors de notre précédente confrontation, j'ai donc préféré attendre un embellissement.

Catherine s'était adossée à sa chaise, les yeux dans le vide.

- Delplanche, je ne peux y croire, c'était un conseiller fidèle de mon père depuis des années. Jamais il n'aurait...

- C'est ce qu'il nous a été rapporté. Mais c'est le seul à avoir un mobile. Et, si j'ai bien suivi votre histoire, c'est ce que vous recherchez, non ?

- Et quel est-il ?

- À ce que j'ai ouï dire, votre père était plutôt porté sur la boisson. Cela laissait à son fidèle assistant une grande marge de manœuvre, il pouvait faire tout ce qu'il lui plaisait quand il le voulait. Mais il n'avait pas le titre ni la paie de Maïeur. Monsieur Delplanche en aurait eu assez et l'aurait tué pour faire le boulot qu'il faisait déjà pratiquement mais cette fois, sans supérieur, il aurait facilement acquis la position de Maïeur, il est le plus compétent.

- Je vous le dis, je ne peux y croire. Il a toujours été là pour nous. De plus, Strépy est tellement petit, il me paraît fou qu'une lutte de pouvoir puisse sembler assez importante que pour mener à un meurtre.

- Catherine, réfléchissez à notre conversation tout à l'heure. Notre problème est que nous sommes partiaux devant ces gens que nous connaissons depuis toujours.

- Mais...Delplanche ? Pourquoi en arriver là ?

Elle avait les larmes aux yeux.

- Lorsque mon père a eu besoin de quelqu'un pour envoyer cette sorcière au Roeulx, c'est à lui qu'il a fait appel, il avait toute sa confiance. Cette catin, aussi, elle lui avait remis une lettre à ne donner à mon père que si les circonstances l'y contraignaient.

- La lettre. C'est cela !

- Qu'y a-t-il ? Que voulez-vous dire ? demanda Dolliet à Richard. Son sursaut avait réveillé la curiosité de l'enquêteur.

- S'il a lu la lettre, il savait pour les documents. Il se doutait que Letisserand était riche. Peut-être l'a-t-il croisé en déposant la sorcière ou quelque chose dans ce goût-là. Alors il envisageait peut-être de lui revendre les documents contre une forte somme d'argent. Ils doivent avoir une certaine valeur étant donné le nombre de morts qui entoure cette affaire. La seule autre personne au courant était ce malheureux Ursmer. Il a dû tenter de négocier avec lui. Mais après trois ans de refus, Delplanche a craqué et a dû le supprimer pour profiter des actes de propriétés.

- Oui. Connaissant mon père, il n'aurait pas laissé monnayer ces documents à l'avocat. J'en suis sûre.

- Cependant, d'après ce que j'ai cru comprendre, vous avez trouvé les documents et la trace de Delplanche s'est arrêtée au cagibi, commença Dolliet.

- Alors c'est qu'il a dû tomber sur les deux autres quand il s'est introduit chez la sorcière, interrompit Catherine.

- Certainement, il s'est caché dans le cagibi en attendant. Quand ils sont partis à cause de l'agitation il a voulu en faire de même mais s'est rendu compte qu'il serait découvert s'il sortait avec ses bottes recouvertes de sang.

- Alors il les a laissées là.

- Pourquoi n'est-il pas retourné les reprendre sachant qu'elles pourraient nous mener à lui ? demanda Dolliet.

- Parce que Madame Bocquée avait prévenu Richard de l'effraction. Elle en a peut-être également parlé à Delplanche qui s'est résolu à attendre le bon moment pour ne pas être vu mais comme Madame Bocquée habite juste en face et regarde en permanence ce qui se passe sur le chemin, ce n'était pas évident.

- La seule occasion qu'il ait eue était à l'enterrement d'Ursmer mais il se devait d'y rester pour sauver les apparences.

- Il vous a sans doute entendu parler de la piste ou bien suivi quand vous êtes allés déneiger les empreintes. Quand il a compris que vous aviez trouvé les bottes et que vous pourriez l'identifier en interrogeant le cordonnier, il l'a assassiné également.

Richard et Catherine se regardèrent, Dolliet venait de confirmer l'horrible conclusion à laquelle ils étaient arrivés chez la victime.

- Ne faites pas cette tête, vous essayiez de le coincer, si ce type est un fou, vous n'y êtes pour rien. Ne vous reprochez pas l'assassinat du cordonnier. Delplanche est le seul responsable de ces meurtres atroces.

- Je pense qu'il est temps de l'arrêter. Pouvez-vous le faire ? Je ne suis pas en position pour procéder moi-même à l'arrestation.

- Comme prévu, j'irai demain matin à la première heure, il fait presque nuit et la tempête empire. Il est bien trop dangereux de voyager par ce temps. Je n'ai jamais vu une telle force de toute ma vie.

- Mais s'il tue encore ?

-Il n'a plus aucune raison de le faire. Où avez-vous mis les bottes ?

- Nous les avons laissées là mais s'il essaie d'aller les prendre, il tombera sur l'une de nos connaissances et je ne parierais pas sur lui en cas de confrontation. Si vous ne venez pas, je l'arrêterai moi-même, je ne veux pas lui laisser la moindre chance.

- C'est une pure folie. Vous n'arriverez pas à Strépy par ce temps.

- Je ne peux me résoudre à attendre sagement ici.

- Comme vous voulez. Mais je vous préviens, si jamais il devait tuer à nouveau, je pense que vous seriez les prochaines victimes sur sa liste alors soyez sur vos gardes. Il a clairement démontré qu'il ne plaisantait pas.

- Nous serons sur nos gardes.

- Bonne chance !

Le Bûcher de la SorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant