XXIII La Promenade

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Malgré l'obscurité, les chevaux de Secquegneau s'en tiraient mieux que ce que Richard avait espéré. La petite charrette avait manqué de glisser à plusieurs reprises vers le bas-côté mais il avait réussi à maintenir le cap. Ils traversaient le bois d'Havré en silence. Tous les deux réfléchissaient à un moyen pour obtenir une audience auprès du marquis de Croÿ et demander son aide dans cette affaire si sombre. Richard se remémorait sa première visite, des années auparavant, et surtout sa rencontre avec l'énigmatique comtesse Dorothée d'Arenberg.

Quand ils arrivèrent devant la grille du château, ils furent surpris de constater qu'un autre véhicule noir se tenait déjà dans la cour.

- Il s'agit peut-être d'une simple coïncidence, avança Catherine.

- Il serait quand même plus prudent de nous en assurer avant de tenter de prendre contact avec le seigneur de Croÿ, répondit Richard.

Ils attachèrent la carriole à un arbre. Richard aida Catherine à escalader le mur. Une fois de l'autre côté, ils s'avancèrent le plus discrètement possible. La tension était telle qu'ils avaient l'impression que le grincement de la neige qu'ils écrasaient à chaque pas allait avertir toute la demeure de leur présence. Ils arrivèrent près d'un coin et s'arrêtèrent, ils entendaient d'autres pas dans la neige. Ils retinrent leur souffle, tendirent l'oreille mais le bruit diminua progressivement. Richard se risqua à jeter un coup d'œil de l'autre côté de l'angle, personne ne s'y trouvait. Il se faufila près d'une fenêtre d'où émanait de la lumière, Catherine était sur ses talons. Une vague de désespoir les envahit, ils arrivaient après Letisserand et ne seraient sans doute pas aussi convaincants. Ils n'entendaient que des bruits étouffés, ils ne pouvaient rien déceler de la conversation. Catherine se retourna vers Richard et murmura :

- Que faisons-nous ?

- Nous décampons en vitesse.

- Quoi ?

- Ecoutez, notre seule force réside dans le fait qu'il n'a aucune idée de qui nous sommes ni de ce que nous faisons ou, du moins, tentons de faire. Il ne faut absolument pas qu'il nous repère. Nous devons partir au plus vite.

Ils refirent le chemin inverse, dépités. Après avoir dépassé le même coin qu'un peu plus tôt, ils entendirent à nouveau des pas qui, cette fois, se rapprochaient. Ils se ruèrent vers le mur extérieur mais à mi-chemin Catherine attira Richard à elle derrière un grand pommier et lui enjoignit le silence. Ils virent l'ombre de l'arbre se dessiner sur le mur, quelqu'un patrouillait avec une lanterne. L'ombre disparut, les pas s'éloignèrent. Les deux intrus coururent vers le mur. Catherine déchira sa robe dans l'ascension mais était trop à cran pour y attacher une quelconque importance.

Richard pressa Éclésine et sa compagne. Il voulait être le plus loin possible de l'avocat. Il n'avait pas vu l'acolyte baraqué du magistrat mais peut-être l'avait-il amené et dans ce cas, il pourrait être en mesure de le reconnaître. Il ne tenait pas vraiment à se confronter à ce gaillard. Il n'avait pas l'air de faire dans la dentelle et il devait avoir une sacrée dent contre lui après toutes ses années passées en prison. Une fois qu'ils eurent laissé le château derrière eux, Catherine reprit la parole :

- Il a même réussi à avoir les nobles de son côté, c'est incroyable, c'est écœurant, dit-elle, de plus en plus amère.

- Il n'est pas dit qu'ils sont sous sa coupe, il marchande peut-être leur silence.

- Où est la différence ?

- Et bien, dans ce cas-là, il n'aurait pas de moyens de pressions contre eux, ce serait déjà un avantage de taille.

- Oui, mais ce n'est qu'une supposition. Qui nous dit que ce n'est pas grâce à leur collaboration que Letisserand a retrouvé feue son épouse ?

- Je n'y avais pas pensé. Ils connaissaient assez bien sa famille, en effet. Peut-être l'ont-ils amené chez la couturière. Je n'aime pas cela du tout. Le marquis de Croÿ est puissant, cela pourrait nous poser de sérieux problèmes.

- Je doute que nous trouvions beaucoup d'alliés dans cette affaire. La nuit est tombée, il vaut mieux rentrer, je pense.

Richard remit le véhicule en branle, les deux bêtes de Secquegneau semblaient plus abattues que jamais. Il pestait contre leur lenteur quand ils entendirent un bruit derrière eux. Ils se retournèrent et virent le carrosse du magistrat qui les rattrapait à vive allure.

- Qu'allons-nous faire, Richard ?

Il n'en savait rien, il tenta de pousser les bêtes à leur allure maximale. Il se souvenait de l'acolyte de l'avocat et priait pour qu'il ne soit pas du voyage. Et ces chevaux qui ne pouvaient pas aller plus vite le rendaient fou. Il entendait la charrette craquer de tous côtés. Il ne pouvait plus qu'espérer qu'elle tienne le coup. Le carrosse se rapprochait toujours, il était maintenant assez proche pour qu'ils entendent les bruits du souffle des chevaux et avait l'allure d'un char infernal lancé à leur poursuite. Il faillit faire une embardée sur une plaque de verglas ce qui lui fit perdre encore un peu plus de terrain. Le cocher à l'arrière donna un grand coup de fouet. Ils étaient de plus en plus proches. Ils comprirent alors qu'ils n'étaient pas poursuivis. Le carrosse ne faisait que les dépasser. Richard réduisit un peu l'allure. Quand il arriva à leur hauteur, Letisserand les regarda dans les yeux. Quelques secondes plus tard, il passa sa tête hors du véhicule alors que celui-ci avait doublé Richard et Catherine. Son air semblait dire qu'il était intrigué ou bien qu'il voulait se rappeler les visages des deux personnes qui venaient de s'enfuir à sa vue. Préférant éviter toute confrontation, Richard tourna à droite et laissa partir Letisserand. Il arrêta le chariot une fois qu'ils furent hors de vue.

- Il nous a reconnus, dit-il sur un ton qui se voulait plus amer qu'effrayé.

- Je sais, il a sans doute dû trouver étrange de nous retrouver à nouveau sur sa route et de nous voir décamper comme des lapins. Mais ce n'est probablement que nos vêtements. Dans l'obscurité, je doute fort qu'il ait pu voir nos visages.

Richard fut frappé par une idée qu'il n'avait jamais envisagée auparavant.

- Je me demande si les gens savent qu'elle est morte. Peut-être ignorent-ils qu'elle a été exécutée par sa faute.

- Cette femme est morte parce que c'était une sale petite sorcière. Pour ma part, je trouve qu'elle n'a eu que ce qu'elle méritait.

Il voulut lui répondre quelque chose mais se mettait à sa place. Pour elle, c'était la sorcière qui avait envoûté son père et avait été indirectement le déclencheur de son assassinat. Mais comment pouvait-elle oublier les circonstances si tragiques qui avaient mené ses pas vers Strépy ? Après avoir cru être poursuivi par cet homme, il pouvait avoir un vague aperçu de l'angoisse qui avait dû la ronger et du courage dont elle avait fait preuve en se confrontant à lui ce fameux soir, au Roeulx.

Ils reprirent la route, aux aguets. Quand ils arrivèrent à l'auberge, la nuit tombait, tout comme la neige qui tapissait maintenant le sol. Ils prirent un bon repas et allèrent dormir. Ils savaient, tous les deux, que le lendemain serait chargé.

Le Bûcher de la SorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant