XXXVII L'interrogatoire

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Au Roeulx, Dolliet patinait. Chacun avait plusieurs personnes qui étaient en mesure de prouver qu'ils se trouvaient ailleurs que sur la scène du crime pour l'un ou l'autre meurtre. Il envoyait ses hommes vérifier à Strépy les allégations de ses suspects. Les choses n'allaient pas aussi vite qu'il l'aurait souhaité mais il ne se résolvait pas à déménager dans le bourg voisin pour les besoins de l'enquête. Il ne voulait pas que les deux gêneurs trouvent encore des éléments avant lui. Il ne s'était pas investi autant qu'il l'aurait voulu, certes. Mais il devait bien admettre que ses deux « adversaires » avaient été meilleurs que lui et il ne pouvait le tolérer, le digérer, l'admettre. Les questions étaient toujours pareilles et il en était de même pour les réponses qu'il obtenait. Il avait toujours été bon pour soutirer des informations mais là il n'avait rien. Personne ne semblait mentir. De plus, il n'apprenait rien de nouveau qui pourrait éclairer cette affaire.

Il écoutait négligemment le rapport qui lui annonçait, encore une fois, que l'un des suspects était disculpé lorsqu'il eût un déclic. Aucun des suspects n'avait d'initiales aussi grandes sur ses bottes que celles sur les bottes du tueur. Il avait la solution de l'énigme. L'assassin était le cordonnier. JH, ses initiales étaient écrites de manière aussi grande car il s'agissait de ses propres bottes. Il s'était ensuite suicidé, il n'avait, de toute façon, jamais cru à l'hypothèse du meurtre que Bodson avait avancé. Il décida qu'un voyage à Strépy s'imposait. Il aurait préféré attendre le lendemain mais il avait trop peur de voir Richard et Catherine réussir à nouveau à faire progresser l'enquête sans son concours.

Il sella son cheval et se mit en route sans donner d'explications à qui que ce soit. S'il se trompait, personne n'en saurait rien. Il ordonna à ses assistants de poursuivre le travail déjà en cours.

Arrivé au hameau de Bracquegnies, il s'arrêta chez le cordonnier. Il piocha dans ses bottes et se remit en route, aussitôt. Il avait hâte de voir la tête des deux investigateurs en herbe lorsqu'il leur ferait part de ses découvertes. Il vérifia d'abord les bottes que portait le défunt et plus aucun doute ne fut permis.

Dolliet convoqua les habitants du village y compris les suspects qui avaient entre-temps tous été blanchis et libérés par ses hommes. Il sentait que son heure de gloire était arrivée.

- Mesdames et Messieurs, je peux enfin vous rassurer : j'ai réussi à découvrir qui était l'auteur du meurtre de votre ancien Maïeur !

Il faisait monter la pression. Il savourait sa victoire. Gondry tentait de démontrer à Secquegneau que tout ceci n'avait été possible que grâce à son intervention. Ils commençaient déjà à se disputer sur le pourquoi et le comment à tel point qu'ils en oublièrent qu'ils ne savaient toujours pas qui était le meurtrier. Tous les yeux se tournèrent vers eux et ils furent séparés. La population voulait connaître la réponse et ne se sentait pas encore prête à supporter les disputes des deux vieux.

- Bien, je disais donc que je connaissais l'identité du criminel dans l'affaire Ursmer Soupart : notre cher cordonnier !

- Impossible, Richard a vu des traces de lacets sur sa gorge, il a été assassiné pour couvrir le meurtre du Maïeur. S'il l'a commis, pourquoi est-il mort ?

- Aucun doute n'est possible, mes amis. Voyez vous-mêmes : seules les bottes de ce malheureux Joseph portaient des initiales aussi grandes, j'ai remarqué que sur celles des suspects elles étaient beaucoup plus petites et maintenant que je vous ai devant moi, je peux en dire autant des vôtres. Ma théorie est la suivante : Monsieur Soupart s'est attaqué à Joseph à l'aide de lacets. La raison, selon moi, serait la suivante : il soupçonnait le cordonnier d'avoir une aventure avec la sorcière ou bien d'avoir contribué à sa perte de quelque façon que ce soit. Il ne parvint pas à le tuer. Au contraire, Joseph put se libérer de son emprise se retourna et lui asséna plusieurs coups d'un bâton qu'il trouva le long du chemin. Pris de panique, il se sauva et se cacha chez la sorcière où il laissa ses bottes. Rongé de remords, il se suicida pendant la tempête alors qu'il était encore marqué par les stigmates de son agression. Voici la bien tragique histoire du meurtre d'Ursmer.

Richard, Catherine, Julie et la sœur du cordonnier voulurent protester contre l'absurdité de la théorie de Dolliet mais le fait était qu'effectivement les chaussures appartenaient au cordonnier. Il avait fait froid depuis l'assassinat et personne n'avait vu Joseph sans manteau et ne pouvait affirmer qu'il portait ou qu'il ne portait pas les marques des lacets.

- Richard,...

Il se détourna et regarda Catherine. Il lut de l'angoisse dans ses yeux. Elle ne croyait pas du tout à cette théorie et avait peur que l'affaire soit jugée close et que jamais la vérité ne soit connue. Elle n'avait pas l'air de pouvoir le supporter.

- Ne vous inquiétez pas, je ne lâcherai pas le morceau.

Il traversa la foule pour parler à Dolliet. Celui-ci serrait des mains. Tout le monde le félicitait pour en avoir enfin terminé avec cette sombre affaire.

- Vous ne croyez pas sérieusement en ce que vous venez de dire, j'espère ?

- Bien sûr que si.

- C'est bien commode : des deux victimes, l'un se trouve être le meurtrier et se suicide. Vous laissez tomber alors que nous avons encore plein de pistes à explorer.

- Écoutez, je n'ai pas de temps à perdre avec vous. Si cela vous chante de continuer une enquête déjà résolue, je vous en prie, je vous souhaite bien du plaisir, d'ailleurs, mais ne me harcelez plus avec vos idées abracadabrantes !

Le ton commençait à monter entre les deux hommes quand Catherine s'interposa. Ils partirent dans des directions opposées.

- Je ne supporte pas cet homme, c'est incroyable d'être aussi...

- Vous n'avez pas entendu ce qu'il vous a dit ?

- Quoi ?

- Vous avez le droit de reprendre l'enquête.

- Ah, il a laissé tomber parce qu'il se savait incapable de résoudre ce mystère et il a joué toute cette farce parce qu'il était trop fier pour l'admettre !

Catherine se posa des questions sur la taille de l'ego masculin et se demanda si Richard se rendait compte de l'étendue du sien. Quoi qu'il en fût, elle coupa court à ses simagrées et entreprit de le remettre en selle.

- Et si nous nous y remettions ?

- Vous avez une idée ?

- Je pensais que nous avions encore plein de pistes à explorer. Vous n'avez qu'à en choisir une et nous sommes repartis.

- À propos de cela...

- Je sais, vous n'avez rien.

- Non, en effet.

- Voulez-vous que nous reprenions cela demain ?

- Oui, je pense que dormir dessus nous fera du bien.

- D'accord, à demain.

Catherine tourna les talons et retourna chez elle avec sa mère.

- Ben, mon pote, c'est trop évident.

- Quoi ?

- C'est elle qui porte la culotte.

Ses meilleurs amis à qui il n'avait plus parlé depuis longtemps n'avaient pas encore eu l'occasion de réagir à l'anecdote de la maison du cordonnier. Eric, Stéphane et Michel le regardaient en souriant.

- De un, nous ne sommes pas ensemble, de deux, il ferait beau voir que ce soit elle qui porte la culotte et de trois, que devenez-vous les gars ?

- Bien, il faut admettre que toute cette histoire nous secoue un peu comme tout le monde. Mais je suppose que tu as envie de faire autre chose que d'en parler. Tu as tout le temps le nez dedans, après tout.

- Tu as raison.

- Que faisons-nous alors ?

La même question qued'habitude. Il leur fallait toujours trois heures pour se décider à faire lamoindre chose. Il y en avait toujours un qui n'était pas d'accord ou bien quiavait une autre idée. Richard ne voulait pas de cela mais comme il n'était pasle seul à choisir, cela prit le délai habituel. Un consensus finit par être trouvé.Ce serait un petit tour aux Embuscadeset une ou deux bières. Rien de nouveau. Cela dit, il savait que cela lui feraitdu bien de se changer les idées autour d'un verre.

Le Bûcher de la SorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant