XIX Le Meurtre

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Le lendemain, quand il fut enfin levé et capable de tenir sur un cheval, Richard repartit pour Strépy. Le seul moyen de locomotion qu'il trouva était un âne fatigué. Sa monture n'allait pas vite mais dans son état, cela lui convenait parfaitement. Il piqua quelquefois du nez durant le retour mais resta en selle tout le trajet. Il considéra cela comme un exploit, étant donné les circonstances.

Il fit le crochet par Le Roeulx car il devait être réintégré. Il avait appris par Ernest que Dolliet était maintenant en charge de tout le secteur. Dès son arrivée, on lui annonça la nouvelle : il y avait eu un meurtre à Strépy. Dolliet et sa bande marchaient déjà vers le village. Richard éperonna sa piteuse monture. L'effet ne fut pas détonnant.

- Peut-on savoir où vous vous rendez, Dolliet ?

- Cela ne se voit pas ? Je pars m'occuper de l'enquête, vous n'avez pas donné signe de vie depuis longtemps, j'ai repris la charge de votre boulot en plus du mien.

- Si le corps est sur le territoire de Strépy, vous n'avez rien à y faire. Alors ne vous déplacez pas inutilement.

- À ce que l'on dit, il est sur celui du Roeulx. Pas de chance, Bodson ! Et puis, encore une fois, ce n'est plus de votre ressort.

Richard poussa sa monture à pleine vitesse. L'allure n'était pas vive mais il parvint à distancer la clique du Roeulx. Il faillit rendre à cause des soubresauts causés par la course de l'animal. Il devait avoir l'air parfaitement grotesque mais peu lui importait. Quand il arriva sur place, la moitié du village était déjà présente. La première personne qu'il vit fut Secquegneau. Le vieux fermier n'avait pas changé d'un poil pendant sa captivité, ce qui lui faisait dégager une aura d'intemporalité. Si deux ou trois personnes le reconnurent, elles étaient dans un état de choc trop important que pour manifester leur joie.

- Qui est-ce ? demanda Richard.

- Le Maïeur.

- Oh, non ! C'est impossible...

Et pourtant, c'était possible. Ursmer Soupart gisait dans une mare faite de son propre sang. Des traces indiquaient que l'hémorragie avait commencé plus bas dans la pente. Le spectacle était difficilement soutenable, l'agresseur avait visiblement fait preuve d'une violence inouïe. Étant donné son état, Richard ne fut pas étonné de sentir son estomac se révolter. Il se détourna et rendit son repas un peu plus loin. C'est là qu'il aperçut des empreintes de bottes qui partaient hors du chemin menant vers Strépy. Elles allaient cependant dans la direction du hameau adjacent. C'était une piste qu'il allait devoir suivre même s'il pensait déjà connaître l'auteur du meurtre. Une petite visite au Roeulx s'imposait. Il était sûr que la sacoche de l'avocat avait disparu. L'évasion de l'acolyte de Letisserand et le meurtre d'Ursmer ne pouvaient tenir de la coïncidence. Mais avant toute chose il devait se remettre un peu de ses émotions.

- C'est la sorcière, dit une personne dans la foule, la sorcière qui lui a jeté un mauvais sort avant d'être brûlée.

- Du calme, la sorcière est morte, il y a des années. Elle n'a rien à voir là-dedans, répondit Richard, l'assassin est une personne encore bien vivante.

- Qu'en sais-tu ? Nous l'avons tous entendu crier le nom du Maïeur avant d'y passer, c'était peut-être un maléfice.

Il n'était plus revenu à Strépy depuis un sacré bout de temps, le souvenir de la sorcière avait dû être altéré et son nom utilisé pour justifier les misères qui avaient frappé les strépytois. L'enquêteur du Roeulx arriva au moment où Richard allait répondre. Il était encadré de deux autres hommes à l'air peu commode. La foule de badauds se scinda pour les laisser passer.

- Faites place.

- Du calme, Dolliet, le crime s'est passé sur mon territoire.

- Peut-être, mais le corps est sur le mien.

Il avait raison, Richard le savait bien mais il avait pensé que le lieu du crime prévalait. Il ne voulait pas que Dolliet puisse s'occuper de ce meurtre. Il avait la quarantaine, un bouc grisonnant et l'impression d'avoir, en toute circonstance, raison. Cela horripilait Richard qui contre-attaqua :

- Le corps a pu être traîné après le meurtre sur votre territoire, il n'en reste pas moins que le Maïeur a été attaqué à Strépy.

- Il y a trois gouttes de sang chez vous, on dirait juste qu'un type qui saignait du nez se tenait là. Le cadavre est chez nous, c'est notre enquête.

- Peut-être pourrions-nous mener l'enquête conjointement, si vous préférez ?

Il n'en avait aucune envie mais il préférait toujours cela au fait d'être tenu à l'écart des investigations. Toutes les personnes présentes observaient la conversation, maintenant. Richard se sentait très mal à l'aise. Il commençait à comprendre que non seulement il n'obtiendrait rien mais qu'en plus, tout le monde pensait que sa seule préoccupation était de pouvoir s'occuper de l'enquête. De plus, il revenait d'une absence tellement longue que cela pourrait le rendre suspect. Dolliet mit fin à ses rêveries.

- Non, je vous laisse juste le soin d'aller l'annoncer à sa famille, elle vous connaît, ce sera plus simple. Pour le reste, c'est mon enquête. Vous pourrez faire votre travail quand je l'aurai décidé.

Il aurait voulu le démolir sur place mais cela n'aurait servi à rien. Il partit le cœur lourd. Il se sentait coupable : peut-être les choses auraient-elles été différentes s'il était rentré la veille plutôt que de passer la soirée à Mons. Il descendit la Moronie vers le village comme il l'avait fait des milliers de fois dans sa vie. Celle-ci resterait à jamais gravée dans sa mémoire. Comment annoncer la nouvelle la plus difficile à entendre ? Comment trouver des paroles rassurantes quand on sait que cette conversation va changer la vie de cette famille ? Il n'avait plus parlé à Catherine depuis la soirée qu'ils avaient passée ensemble avant qu'il ne parte vers Wavre. Il ne lui avait même pas dit au revoir. Il s'arrêta un moment avec l'envie soudaine de prendre ses jambes à son cou et de laisser à quelqu'un d'autre le soin d'avertir les Soupart. Il ne voyait malheureusement pas qui aurait pu faire l'affaire. Il décida de reprendre sa route et s'en voulut ensuite d'avoir été aussi poltron. En remontant la colline Sainte-Anne, il croisa deux ou trois habitants du hameau, certains n'avaient pas l'air au courant mais il savait que ce n'était qu'une question de minutes : les nouvelles allaient toujours très vite, ici.

Il était en face de la porte, dernière hésitation. Il osa enfin donner trois coups. Il attendit un peu. Il entendait des rires dans la maison, il ferma les yeux et inspira profondément.

- Bonjour, Richard.

Catherine ! Il ne l'avait plus vue depuis tant de temps. Elle souriait, comme à son habitude. Son visage irradiait de bonheur. Il avait toujours été timide près d'elle et n'avait jamais su affronter le regard de celle qu'il aimait tant. C'était très certainement le dernier sourire qu'elle aurait avant longtemps et il enrageait de devoir lui ôter.

- Bonjour, Catherine.

En entendant son ton,le sourire disparut, elle comprit que quelque chose n'allait pas. Elle le fitentrer sans poser de questions.

Le Bûcher de la SorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant