XV Le contretemps

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Dès l'aurore, Richard emprunta l'un des chevaux de Secquegneau. Il aurait pu faire le trajet à pied mais il voulait faire vite pour profiter du fait que l'avocat était encore à portée de main et hors d'état de nuire.

- Et ramène-la moi vivante, gamin, lui dit Secquegneau, un sourire aux lèvres alors qu'il se tournait vers Gondry qui était dans les parages comme d'habitude. La journée s'annonçait bien pour ces deux-là. Richard partit rapidement avant que la situation ne dégénère, il n'avait vraiment pas le temps pour supporter leurs chamailleries usuelles.

Il pressa sa monture autant qu'il jugeait qu'elle pourrait le supporter. Il traversa Havré et puis le bois dont parlait la fugitive dans sa lettre. Il s'y promenait en plein jour mais il trouvait déjà que l'atmosphère était lourde. Le vieux chemin qui traversait la forêt était surmonté des branches des arbres qui le délimitaient si bien qu'il ressemblait plus à un tunnel obscur qu'à un sentier. Il imaginait bien l'angoisse qu'elle avait dû ressentir en pleine nuit, poursuivie par les deux affreux.

Il arriva bientôt en face des remparts de Mons. Il eut un horrible doute qui augmentait au fur et à mesure qu'il s'approchait de la ville. Le silence qui régnait dans les alentours n'augurait rien de bon. Il ne voyait aucune charrette de marchand mais par contre, il vit tout un régiment de soldats. Il fut repéré par deux cavaliers qui vinrent à sa rencontre. S'il pensa à fuir, il s'en abstint, sa monture n'était pas en état de le mener bien loin. Les deux militaires n'avaient d'ailleurs pas l'air si hostiles que cela.

- Bien le bonjour, soldats !

Il remarqua qu'ils restaient à une certaine distance de lui mais ne comprit pas pourquoi avant que l'un d'entre eux prenne la parole :

- Êtes-vous un habitant de Mons ?

- Non, mais...

- Y êtes-vous venu récemment ? demanda l'autre. Le ton inquiéta Richard.

- Non, pourquoi ? Que se passe-t-il ?

Ils se regardèrent tous les deux. Ils n'étaient pas censés répondre à cette question mais ils étaient là depuis une semaine. Les derniers habitants étaient rentrés en ville depuis trois jours. Ils ne risquaient donc plus rien en lui annonçant la raison de leur présence. Richard entendit l'un des mots les plus effroyables qu'il connaissait :

- La peste.

Il déglutit et parvint à peine à murmurer :

- Mon Dieu.

- Ils vont avoir besoin de Son aide. Nous avons ordre d'empêcher les habitants de quitter la ville. Si vous tenez vraiment à y aller, sachez que vous n'en ressortirez pas tant que l'épidémie ne sera pas enrayée.

- Vous comptez laisser mourir tous ces malheureux ?

- Nous n'avons pas le choix, la ville est mise en quarantaine jusqu'à nouvel ordre. Il est juste à espérer qu'aucun pestiféré ne soit parti avant que nous arrivions, sinon d'autres villes subiront le sort de Mons. Nous avons ordre de construire un village de cabane hors les murs pour recueillir les pestiférés et les éloigner du cœur de la ville mais cela demandera du temps.

Il osait à peine demander mais il devait savoir.

- Ce grand feu...

Il ne put achever sa phrase. Il connaissait la réponse.

- Ce sont les corps des hommes qui ont tenté une sortie la nuit dernière. Nous devons les brûler. Il faut éviter toute contamination.

- Je...

- Partez, monsieur, cela vaut mieux.

Il fit demi-tour après avoir regardé une dernière fois la ville. Tout le monde : femmes, enfants, vieillards étaient condamnés juste parce qu'ils s'étaient trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Il eut un pincement au cœur, il avait de nombreuses connaissances à l'intérieur des murs. Il repartit vers Strépy, dépité.

Les deux soldats retournèrent à leur besogne. Ils savaient maintenant que l'information allait circuler très vite. C'était toujours comme cela avec les mauvaises nouvelles.

Richard ne rentra pas directement à Strépy. Il se rendit à l'hôpital St-Jacques au Roeulx pour voir si l'avocat était remis. Il se rendit dans la chambre de l'avocat où à sa grande surprise, il ne trouva qu'un lit vide.

- Bonjour. Excusez-moi, ma sœur. Par hasard, savez-vous quand et où est parti l'homme qui occupait ce lit ?

- Il s'en est allé hier dans la matinée, mais il ne nous a pas donné sa destination, désolée. Il m'avait l'air pressé, lorsque je lui ai indiqué la date, il a failli exploser de rage. Je lui ai dit qu'étant donné ce qu'il venait de vivre il valait mieux rester calme mais il a appelé son ami et ils sont partis aussitôt.

- Merci.

- Oh, attendez, il a oublié une sacoche, ici.

- Vraiment ? Pourrais-je la voir ?

Elle la lui apporta. La sacoche ne contenait rien de très intéressant mis à part une carte grossière des environs et une lettre. Richard reconnut sans peine l'écriture d'Agnès. Ce n'était que la deuxième page d'un message qui devait au moins en contenir trois. Cette lettre avait dû être envoyée à un ami de longue date, elle parlait du bonheur qu'elle venait de redécouvrir à Strépy. Si elle ne donnait pas explicitement le nom du Maïeur, il était facile de le deviner. Il se demandait comment l'avocat avait bien pu mettre la main dessus. Il voulut emporter le tout mais la nonne l'en empêcha.

Après quelques minutes de négociations, il finit par arriver à un compromis avec l'acariâtre ecclésiastique. Il laissait la sacoche là mais elle le préviendrait si son propriétaire la réclamait. Il reprit son chemin vers Strépy et la maison des Soupart. En chemin, il repensa à Ernest, son ami enfermé à Mons. Ernest qui était peut-être déjà mort.

Pendant ce temps, le vieil archiviste se faufilait avec prudence dans l'enfer qu'étaient devenues les rues de sa ville. La peur l'entourait. Les gens se méfiaient de tout et de tout le monde. Des faux remèdes étaient vendus sous le manteau. La ligne qui séparait l'homme de l'animal se rétrécissait à chaque nouveau jour.

Ce fut dans ces conditions qu'Ernest vécut pendant des mois. Lui qui espérait que ces temps durs feraient rejaillir ce qu'il y avait de meilleur en l'Homme fut déçu de découvrir que ce furent ses plus bas instincts qui primèrent. Il était reconnaissant envers la providence qui avait permis à Richard de ne pas être victime ou même témoin de cette horreur.


Le Bûcher de la SorcièreWhere stories live. Discover now