XVIII Le Rapport

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Richard ne fut libéré qu'un peu moins de deux ans plus tard, le premier février mille six cents dix-huit. Il mourait d'envie de rentrer à Strépy pour revoir Catherine à qui il n'avait cessé de penser mais il se dit que, quitte à être à Mons autant faire ce pour quoi il était venu. Il se faufila dans les venelles. Il ne voulait pas rencontrer certaines personnes. Il trouva Ernest dans le bâtiment des archives.

- Salut, Bodson !

Encore une fois, il ne s'attendait pas à le voir. Il avait maigri, s'était musclé et portait une généreuse barbe mais avait gardé le sourire malgré tout.

- Salut, Goulin!

- Mon Dieu, vous avez une mine affreuse ! Je vous offre un verre pour votre libération. Je pense que vous le savourerez comme jamais vous ne savourâtes un verre.

- Vous n'avez pas idée ! Mais j'espérais d'abord jeter un œil sur ces fameux documents qui pourraient incriminer le mari d'Agnès Melin.

- Je ne peux croire que ce soit la première chose à laquelle vous songiez. Vous savez ce que l'on dit, dans ce genre de situation : moins vous en faites, mieux vous vous portez.

- Que voulez-vous dire ?

- Simple constat : quoi que vous fassiez, cela ne la ramènera pas d'entre les morts, n'est-ce pas? Alors ne fouillez pas trop, tout ce que vous risquez, c'est d'avoir, à nouveau, des ennuis avec un gros bonnet. Et pourquoi ?

- Je ne sais pas, je pensais à un truc bête comme la vérité, par exemple ?

Mais il vit à l'expression que prenait Ernest qu'il était loin d'avoir touché une corde sensible chez l'archiviste montois.

- C'est bien ce que je disais, cela ne sert à rien. Elle est morte depuis un bout de temps maintenant. De plus, j'ai une très désagréable nouvelle pour vous : Albert Julot, le meurtrier d'Hugo Melin que vous aviez contribué à arrêter à Wavre, s'est évadé de sa prison la semaine dernière.

- Comment ? Bon sang, je sors à temps, il faut remettre la main sur cette crapule. Mais je dois d'abord repasser par Strépy pour... pour...

- Ah oui, votre « bonne amie »... N'avez-vous pas peur que, depuis tout ce temps, elle ne se soit mariée, mon vieux ? Si je me fie à votre description, elle avait de quoi recevoir de nombreuses propositions. J'ai quelques difficultés à croire que l'affaire soit restée en suspens autant de temps.

- Sa situation était compliquée, son père n'accepte pas n'importe qui mais les bons partis ont peur de lier leur sang à une famille dont la réputation a été complètement ruinée par ses petits écarts de conduite. Si Ursmer a gardé sa logique tordue, il se peut qu'elle soit encore libre. Croisons les doigts. Cette fois, rien ne pourra m'empêcher de tenter ma chance.

- Voilà ce que nous allons faire, je vous donne les clés, vous retournez chez moi vous laver et vous raser et nous nous rejoignons à notre taverne habituelle à six heures. J'amènerai les documents. J'avoue ne jamais avoir osé fouiner mais je sais où je pourrai les dénicher. Tenez, mon ami.

- Merci, Goulin.

Il n'avait pas trouvé d'autres mots pour exprimer sa gratitude. Il n'avait plus l'habitude de recevoir une quelconque faveur depuis longtemps.

Deux heures plus tard, ils buvaient une bière dans une chope d'étain dans une auberge aux environs de la place. Richard sentit avec bonheur le goût de son breuvage préféré. Pour beaucoup il s'agissait d'une boisson comme une autre. Mais pour lui qui n'avait goûté que des plats insipides pendant sa captivité, le liquide doré lui apporta un plaisir ahurissant. C'était l'élixir de Dieu. Il s'interrompit dans sa dégustation en voyant le regard lubrique de son ami. Ernest lorgnait une fille dont le corset et le décolleté mettaient merveilleusement en valeur ce que la nature lui avait offert. Il repartit prendre un pichet et resservit les chopes sans qu'Ernest s'en rende vraiment compte. Il le sortit de sa transe lorsqu'il voulut trinquer :

Le Bûcher de la SorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant