II Le Bal

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Il ne leur prit qu'une vingtaine de minutes pour arriver au château à l'intérieur duquel la fête semblait encore très mouvementée. Richard montra un sauf-conduit dont l'avait pourvu la comtesse au cas où ce genre de situation se présenterait. Il ne s'attendait cependant pas à ce qu'on lui frottât le visage, les mains et prêtât un costume plus approprié au lieu. Il se sentait ridicule, accoutré de la sorte, une veste rouge écarlate et un chapeau noir assorti de trois plumes tandis qu'il devait tenir un loup en permanence sur le nez. Il eut un trac indéfinissable au moment d'entrer dans la salle où avait lieu le bal.

Une centaine de paires d'yeux se tournèrent vers lui comme il entrait. Le majordome ne l'ayant pas annoncé, les convives vaquèrent à nouveau à leurs occupations, sauf une. Elle se contenta de l'observer de ses grands yeux noirs à travers son masque. Il sut que c'était elle sans l'avoir jamais rencontrée. Il en fut cependant surpris : Dorothée Jeanne d'Arenberg avait dans les quatorze ans. Elle semblait déjà vraiment très belle surtout lorsqu'elle esquissa un sourire alors qu'il se présentait en hésitant sur les mots à employer.

- Monsieur Bodson ?

- Mademoiselle la comtesse, c'est pour moi un infini honneur que de...

- Laissons cela, je vous en prie, coupa-t-elle. Vous devinez aisément que je ne puis me languir plus longtemps d'être au courant de votre résultat.

- J'ai récupéré votre bien, Mademoiselle.

- Excellent, vous comprenez pourquoi pour éviter le scandale, je n'ai pas rendu cette affaire publique. Vous m'obligeriez en gardant ces malencontreux faits pour vous.

- Sur mon honneur, Mademoiselle, il en sera fait ainsi.

- Bien, vous semblez être un représentant de l'ordre estimable, je vous prédis et souhaite un grand dessein. Puissiez-vous avoir le discernement nécessaire pour choisir justement vos alliés et vos ennemis et rien ne vous empêchera de grimper les échelons de la réussite.

- Les mots me manquent pour vous remercier, Mademoiselle.

- Allez, maintenant, il se peut que vos services soient, un jour, requis à nouveau.

Il s'en alla donc, laissant le grand tralala du bal derrière lui. Il lui fallut du temps pour réaliser qu'il avait remercié la comtesse quand cela aurait dû être l'inverse. Il se rendit compte de la manipulation aisée dont il venait de faire les frais. Il en était tout retourné quand il rejoignit Ernest dehors. Son camarade le ressentit et lui fit une proposition :

- Affaire rondement menée. Cela mériterait bien une petite bière. Qu'en pensez-vous, mon cher ?

- Tout à fait d'accord, mais je ne connais qu'une taverne encore ouverte à cette heure. Espérons que l'on veuille encore bien nous servir malgré l'incident de la fois dernière !

- Mon vieux, connaissez-vous quelqu'un qui n'ait jamais commis d'impair après une bonne beuverie ? Je suis sûr que la tenancière sera magnanime à cet égard.

- Nous verrons bien.

La nuit fut pour le moins bien arrosée, la comtesse les avait récompensés rubis sur l'ongle pour la restitution de ses bijoux et ils décidèrent d'utiliser une bonne partie de leur solde à leur estaminet préféré.

Ils se réveillèrent le lendemain chez Ernest sans aucun souvenir de la manière dont ils étaient revenus. Ils ne se remirent totalement de leurs frasques que tard dans l'après-midi. C'est à ce moment que les deux enquêteurs apprirent que des mesures disciplinaires avaient été prises contre eux. Monsieur Quinta avait manifestement le bras plus long qu'ils ne l'avaient imaginé. Même s'il ne pouvait évidemment pas porter plainte sans avouer le vol des bijoux de la comtesse d'Arenberg qu'il avait lui-même commis, ses relations lui avaient permis de se débarrasser des deux gêneurs. Ernest fut affecté aux archives et Richard fut banni. Ernest semblait déprimé, il avait adoré son métier et se retrouvait maintenant à faire du classement, tâche qu'il détestait au plus haut point. Richard tenta de lui remonter le moral :

- Ne faites pas cette tête, Goulin. Vous pouvez rester à Mons, après tout. Votre travail sera certes moins passionnant mais c'est toujours mieux que rien. Et puis, tout ceci n'est peut-être que provisoire.

- Vous avez sans nul doute raison, mon ami. Mais je crois savoir que vous ne devriez pas non plus vous plaindre.

- Pardon ?

- Si je me rappelle bien, il y a une fille à laquelle vous tenez énormément à Strépy, n'est-ce pas, mon ami ?

- Qui peut vous avoir dit une chose aussi stupide ?

- Mais vous-même, mon cher! La bière a sur vous un effet non négligeable.

- Bon, dans ce cas, je dois bien admettre que cela rendra mon retour au village bien plus agréable, en effet.

- Vous me raconterez tout cela quand nos chemins se croiseront à nouveau, mon ami. J'espère que cela sera rapide.

- Au plaisir de vousrevoir, Goulin.

Le Bûcher de la SorcièreWhere stories live. Discover now