— Elle a raison, j'aurais du rentrer et vous prévenir.

— Oui en effet, mais ça ne fait pas de toi quelqu'un d'égoïste. Tu n'as pas réfléchi et tu y penseras si ça doit se reproduire. Ne nous laisse pas sans nouvelle, tu es importante et nous nous faisons du souci pour toi.

— Je suis désolée.

— Je le sais. Mange, ils ne vont pas arriver tout de suite et tu as besoin de force.

Jane s'exécuta et avala plusieurs cuillérées de son repas.

— Qui s'occupe de Tom et Amel ? demanda-t-elle en s'apercevant qu'aucun enfant n'était présent.

— Tous les enfants sont dans la salle de lecture, avec Libby et Maggie. On a apporté des matelas pour qu'ils puissent se reposer, ils ont même mangé là bas. C'est la fête pour eux.

La jeune femme sourit en pensant au bonheur des enfants de pouvoir manger et passer la soirée tous ensemble dans cette salle qu'ils aimaient tant. Elle termina son repas difficilement, la gorge serrée par l'angoisse de la journée et les réflexions que lui avait faites Isabel. Hanet resta avec elle, lui parlant comme une mère l'aurait certainement fait et la rassurant de ses douces paroles.

Le temps passa, les minutes s'écoulaient, Jane n'en pouvait plus. Elle voyait Isabel s'asseoir, se relever, faire les cents pas, s'asseoir à nouveau. Elle voulu plusieurs fois aller lui parler, s'excuser de nouveau, renouer avec elle, mais elle n'osa pas. La colère de la jeune femme étant encore trop fraîche dans son esprit.

Elle resta donc volontairement à l'écart, mais en compagnie de sa belle mère, honteuse d'avoir inquiété ses amis alors que tous étaient déjà anxieux pour les deux frères qui tardaient à rentrer.

Lorsqu'un bruit de moteur se fit entendre, il faisait nuit depuis un moment et les rires des enfants au bout du couloir s'étaient tus depuis déjà quelques temps. Toute la communauté était réunie dans la salle commune et s'occupait comme elle pouvait.

Isabel fut la première à courir à l'extérieur, Jane se leva péniblement pour la rejoindre, suivie d'Hanet. Une fois dehors elles virent les deux voitures avancer dans la rue. La première, celle de Randall et Allister, passa devant elles et se gara quelques mètres plus haut. La deuxième s'arrêta juste devant l'entrée du bâtiment. Orry était au volant.

Lorsqu'il descendit du véhicule Jane eut un léger mouvement de recul, et écarquilla les yeux. Leurs regards se rencontrèrent et elle comprit qu'elle ne devait pas avancer pour le moment. Il contourna la voiture et ouvrit la portière côté passager. Randall vint l'aider et à deux ils aidèrent Rob à sortir de voiture. Celui-ci avait apparemment du mal à marcher. Isabel se précipita vers eux prenant la place d'Orry après lui avoir murmuré quelques mots. Hanet les rejoignit et embrassa ses fils avant de rentrer à l'intérieur du bâtiment, suivie d'Isabel et Randy, soutenant son aîné.

Orry s'approcha de Jane puis l'enlaça, ne lui laissant pas le temps de dire quoi que ce soit. Elle ne chercha pas à savoir, ne voulu pas savoir. Elle se contenta de se blottir contre lui et de profiter de sa présence. Elle entoura sa taille de ses bras et le serra un peu plus contre elle. La main du jeune homme descendit doucement sur son ventre et il chuchota :

— Comment vas-tu ?

— Je vais bien, répondit-elle dans un murmure.

— Et notre bébé ?

— Il va bien aussi.

Leurs lèvres se retrouvèrent et il se délectèrent l'un de l'autre pendant quelques instants, puis après s'être séparés Jane inspecta le visage de son compagnon. Elle caressa les lèvres abîmées, toucha du bout des doigts la pommette fendue, et passa la pulpe de son pouce avec une infinie douceur sur le bleu qui entourait l'œil droit.

— Tu as mal ?

— Un peu.

— Et Rob ?

— Ca va aller, son genou est fragile.

Jane secoua la tête et appuya son front contre le torse de son compagnon qui lui caressait doucement le dos.

— La bonne nouvelle, reprit le jeune homme, c'est qu'on a réussi à tout troquer et qu'on rapporte pas mal de choses.

— D'accord.

Il prit une inspiration mais la jeune femme se redressa et posa son index sur ses lèvres.

— Il y a urgence ? demanda-t-elle d'une voix mal assurée.

— Je ne pense pas.

— Alors le reste attendra. Je vais te soigner, tu vas manger quelque chose et nous allons voir comment va ton frère. Puis nous rentrerons chez nous. Tu as besoin de sommeil et j'ai besoin de toi, de te sentir contre moi. J'ai eu peur et... tout le monde a eu peur.

Orry l'embrassa à nouveau, comme pour s'excuser d'avoir été la cause de tant d'émotions.

— J'ai besoin de te sentir contre moi aussi, souffla-t-il tout bas.

Jane lui embrassa sa joue maltraitée puis lui prit la main et l'emmena dans le bâtiment. Elle voulait plus que tout repousser le moment où il raconterait ce qu'il s'était passé. Elle voulait continuer de vivre dans cette douce utopie qui s'était installée ici, dans leur communauté. Elle ne voulait pas entendre la laideur du monde, la violence des humains.

Pourtant tout n'était qu'un cycle et il faudrait bien qu'elle accepte que leur bonheur s'efface pour laisser la place à autre chose.

Pas ce soir. Pour l'instant, elle voulait prendre soin de son compagnon, s'abandonner dans ses bras, l'aimer, tout simplement.

Demain, elle ouvrirait les yeux sur un autre monde et serait prête à l'affronter. Comme elle l'avait toujours fait.

***

Le chant des oiseauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant