Et dont les yeux ne montraient rien.

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Marie finissait par croire qu'il était coutume de devenir ridiculement taciturne et secret lorsqu'on séjournait trop longtemps à Eel. Lorsqu'elle avait demandé des précisions à propos de cette fameuse faelienne qui n'était pas là mais n'était, ni en mission, ni en voyage, elle avait eu pour seule réponse un doigt apposé sur ses lèvres, lui intimant le silence. Ayant les grands jardins de la cité en vue et se sachant non loin du quartier général, elle ne prit pas de gants pour envoyer paître le gardien de l'ombre.

« Tu es sûre ? s'amusa-t-il.

- Oui, je suis assez grande pour rentrer toute seule. Non, je ne veux pas voir de sourire. Va-t'en ! s'agaça-t-elle. »

Un immense sourire sur les lèvres, l'asiatique excentrique ne put s'empêcher de lui glisser une dernière pique.

« Si seulement tu réfléchissais un peu plus, ta vie serait tellement plus facile, gamine sénile, la railla-t-il. »

Sentant la fureur de la dryade enfler, il prit la poudre d'escampette pour retourner vers ses compagnons de beuverie. Cela dit, l'adjectif sénile la questionnait, avait-elle oublié quelque chose d'important ? C'était bien possible, elle avait tellement d'informations à retenir depuis son arrivée qu'elle s'y sentait noyée.

Haussant les épaules, Marie se dit qu'il serait toujours temps d'y penser le lendemain. L'écorce de ses pieds traînait laborieusement contre la terre alors que le sommeil alourdissait ses paupières. Sa journée avait été éprouvante. De fait, elle se demanda si son ouïe lui jouait des tours quand de grands fracas métalliques parvinrent à ses oreilles, accompagnés de grognements de douleur qu'elle attribuait à un membre de la famille sylvestre.

Plissant les yeux, elle se dirigea vers l'endroit d'où provenaient les bruits.

Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle vit le jeune faelien aux yeux de charbon détruire un arbre à coup de lames. La fureur imprimée dans ses gestes, son air déterminé alors que l'écorce volait en tout sens, tout cela lui conférait une allure bestiale. Les gémissements de l'arbre semblaient parfaitement justifiés et, même si elle ne comptait pas se faire porte étendard de la forêt libérée, la dryade se sentit obligée d'intervenir.

Ancrant fermement ses pieds au sol, Marie croisa les bras avant de prendre une longue inspiration. Mais que devait-elle dire ? Cesse donc de brutaliser cet arbre car il souffre ? Bon sang non, c'était le summum du ridicule. Expirant bruyamment, la jeune fille eut à peine le temps de voir la longue queue de cheval blanche du garçon disparaître dans son dos alors qu'il se retournait, armes pointées sur elle.

« Bonsoir, euh, bafouilla-t-elle sans se rappeler son nom. »

Ils s'étaient quittés en assez mauvais termes lors de la réunion des faeliens. Le jeune homme avait clairement verbalisé qu'il ne souhaitait pas lui parler. Difficile de démarrer une conversation sereinement après ça lorsqu'on vous pointait des armes blanches au visage. Et même s'il mesurait quelques centimètres de moins qu'elle, une impression effrayante le nimbait.

« C'est toi, déclara-t-il placidement en baissant ses épées. »

Après s'être raclé la gorge, la dryade se fit la réflexion que fuir l'affrontement ne lui ressemblait pas.

« Est-ce que tu pourrais cesser de trancher cet arbre ?

- Pour quelle raison ? demanda-t-il froidement.

- Ça risque de te paraître ridicule, mais il semblerait qu'il souffre vu le boucan que j'ai entendu en passant près d'ici. Il pleurniche et c'est assez agaçant si tu veux tout savoir. J'aimerais autant être sûre de ne pas l'entendre toute la nuit. »

Quand les choses s'écorçent.Onde histórias criam vida. Descubra agora