Car la paperasse n'épargne aucun monde.

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« Depuis combien de temps êtes-vous arrivée dans notre monde ? »

Un petit temps d'arrêt s'imposa avant qu'elle n'arrive à répondre d'une voix faible mais compréhensible.

« Trois mois environ. Peut-être trois et demi. Quelque chose comme ça. »

Attentif à ne pas la précipiter, l'Étincelant attendit quelques secondes avant de passer à la question suivante.

« Pouvez-vous me donner votre nom et votre âge ?

- Je m'appelle... »

Elle hésita. Cela faisait effectivement trois mois qu'elle était tombée dans ce monde et surtout trois mois qu'elle n'avait pas prononcé son nom, même pour Purroros. Le regard inquisiteur du lézard la mettait mal à l'aise, elle ne voulait pas donner son nom. Elle n'avait pas confiance, rien dans ce monde ne lui était connu à part ce qu'on avait bien voulu en dire. Même si ce genre de procédure semblait anodine, peut-être bien qu'elle ne l'était pas.

« Si vous le souhaitez, vous pouvez changer de nom d'usage. C'est simplement pour tenir un registre des faeliens arrivés à Eldarya dans la juridiction d'Eel. Il faut simplement que je sache à quelle lettre vous classer. »

Songeuse, elle trouva ce compromis plus acceptable. La jeune fille laissa apparaître un sourire amusé, se demandant si elle devait se donner un nom en rapport avec les arbres maintenant qu'elle s'apparentait à une super héroïne pleine d'écorce. Balayant cette idée d'une secousse de tête, la faelienne opta pour un nom passe partout dans son monde.

« Marie Martin. Je m'appelle Marie Martin. »

Elle le regarda consigner le nom en étouffant un fou rire naissant, il n'avait même pas semblé remarquer l'anonymat parfait du nom qu'elle venait de se donner. On aurait cru un nom tiré d'un vieux livre, il existait tellement de français affublés de ce nom de famille et de Marie dans le monde qu'elle était absolument sûre que personne ne pourrait faire le lien avec elle.

« Votre âge ? »

Voyant qu'elle hésitait à nouveau, il haussa ses paupières écailleuses.

« Il serait pertinent de nous donner votre âge réel. Sachez que ces informations sont collectées à but purement statistique, nous n'en ferons rien de diabolique. »

La méfiance de la jeune fille, nouvellement baptisée Marie, se voyait effectivement comme le nez au milieu de la figure. Elle finit cependant par répondre, de mauvaise grâce.

« Dix-sept ans. Enfin, j'imagine que je les ai, vu qu'il ne me restait plus qu'un mois avant de fêter mon anniversaire quand je suis arrivée ici. En toute logique, onze mois plus trois me fait passer au chiffre suivant. »

Encore une fois, le lézard arbora un air chagriné. Marie ne savait pas si elle devait trouver cela encourageant sur la nature humaine de son interlocuteur ou s'en vexer. Elle n'aimait pas trop être prise de pitié, comme la quasi majorité des gens.

« Et sinon, s'impatienta-t-elle, quelle est la question suivante ?

- Avez-vous des aptitudes spécifiques ?

- Comment ça ?

- Combat ? Alchimie ? Furtivité ? »

La jeune fille pensa au premier abord qu'il se fichait d'elle mais son visage était pourtant étonnement sérieux.

« Pas du tout. Enfin je... je n'ai même pas encore fini le lycée et sans vous mentir on y apprend rien de ce genre. J'ai bien fait un peu de chimie, les TP c'était sympa mais je ne me vois pas travailler dans un laboratoire.

- Vous avez donc pratiqué l'alchimie ?

- Pas d'alchimie non, juste de la chimie. Vous savez tester la quantité d'iode dans quelque chose grâce à un autre produit. Ce genre de choses basiques mais comme je vous l'ai dit je n'envisage pas du tout de faire carrière là-dedans.

- Je dois tout de même noter les informations que vous me donnez. Rien sur la furtivité ou le combat ? Ou n'importe quoi d'autre.

- J'imagine que vous n'avez pas d'ordinateur ? »

L'air perdu qu'elle observa lui arracha un soupir blasé.

« C'est bien ce qu'il me semblait. Je suis au regret de vous annoncer que je n'ai aucun don pour la discrétion. Encore moins depuis que mes jambes se sont recouvertes d'une carapace de bois. Pour ce qui est du combat, je ne me suis jamais battue ailleurs que dans la cour d'une école.

- On a identifié votre race de métissage comme étant celle des dryades, vous confirmez ?

- C'est ce que j'ai cru comprendre. »

La demoiselle se garda bien d'expliquer qu'elle l'avait déjà entendu de la bouche... enfin, de la voix des arbres.

« Avez-vous passé un pacte avec une forêt ? »

Elle identifia immédiatement de quoi il était question.

« Un pacte ? Quelle drôle d'idée, comment je pourrais faire ça ? »

Ayant un peu trop surjoué, elle redouta que le lézard ne s'interroge à son sujet mais il n'en fut rien.

« Eh bien, je ne suis pas expert en dryade mais comme vous n'êtes pas une hamadryade affiliée à vie à un arbre, il faut vous lier à une forêt pour puiser dans sa force et en échange vous lui apportez votre protection.

- Quel genre de protection ?

- Vous vous engagez à vérifier l'état de santé du bosquet, replanter s'il le faut, repousser d'éventuels braconniers ou bûcherons trop zélés. Toutes ces choses que les dryades font. Lorsqu'une dryade est dans sa forêt, il est coutume de dire qu'elle y est quasiment invulnérable.

- Une forêt ne serait-elle pas stupide de passer un contrat avec moi ?

- Pourquoi cela ?

- Je viens de vous l'expliquer, je ne sais ni me battre ni quoique ce soit d'autre. »

Haussant les épaules, le saurien répondit sur un ton d'évidence.

« La puissance donnée par la forêt est largement suffisante pour compenser ce détail. »

Elle haussa un sourcil perplexe.

« Si elle est si puissante alors pourquoi avoir besoin d'un gardien ? »

Commençant à montrer des signes d'agacement, le lézard lui répondit tout de même.

« Même s'ils stockent une quantité faramineuse de maana, que voulez-vous que les arbres en fassent ? »

Le maana. L'énergie magique qui avait enclenché sa transformation selon Purroros. Soudain, son teint devint livide et elle bégaya quelques mots.

« Vous pensez que... enfin, hypothétiquement, si je fais une chose pareille, je me recouvrirais intégralement d'écorce ? »

Il allait répondre avec légèreté lorsqu'il perçut le regard effrayé de la jeune fille. Un peu décontenancé par tant de crainte à l'idée de devenir une dryade accomplie, il répondit avec prudence.

« Vous avez manifestement beaucoup de sang humain en vous sinon vos cheveux n'auraient pas simplement une teinte verte, ils seraient devenus une rivière de feuilles. Même si je ne suis pas du tout expert, je crois pouvoir affirmer sans trop me tromper qu'une transformation intégrale est peu probable.

- Vous le pensez vraiment ? »

Elle ne s'était pas encore rendue compte que, peu à peu, elle s'habituait à cet interlocuteur à l'allure reptilienne. Peut-être était-ce là un moment de transition, le premier pas vers l'acceptation de sa nouvelle situation.

« Je sais que je me répète à nouveau mais je ne suis pas un expert, il vaut mieux consulter des spécialistes plus avisés que moi. »

Voyant l'air déconfit de la jeune dryade, il ne put se retenir de rajouter une dernière phrase.

« Mais, je pense vraiment qu'une transformation totale est improbable. »

Un sourire de gratitude vint accueillir cette remarque. A vrai dire, peu importait qu'elle se transforme ou pas. Ce qu'elle avait besoin d'entendre, c'était qu'il y ait une chance, si infime soit elle, que ça ne se produise pas. Pas tout de suite, car son esprit ne pourrait pas l'accepter.

« Est-ce qu'on vous a un peu détaillé le rôle des différentes gardes ?

- Le purrekos avec qui je voyageais m'en a un peu parlé mais je ne suis pas sûre d'avoir tout compris. »

Hochant la tête, le gardien se mit à lui détailler les fonctions de chacune des gardes d'Eel. La furtivité, le combat et l'alchimie prirent de nouveaux sens pour Marie, c'est ainsi qu'elle comprit à quoi servait cet entretien, et que la méfiance revint à grands pas.

« Vous allez réellement me forcer à intégrer un corps militaire ? Est-ce que ce n'est pas totalement illégal de forcer une jeune femme mineure à s'engager dans ce genre de choses ? Qu'est-ce que vous êtes ? Des esclavagistes ? »

Le lézard semblait tout à fait moins amical tandis que la jeune femme enflammée critiquait ouvertement le fonctionnement de son monde. Ouvrant ses cinq doigts écailleux devant le visage de la dryade, celle-ci stoppa enfin son débit de protestations.

« Nous ne sommes pas des esclavagistes. »

Il avait fortement appuyé sur la négation pour être sûr qu'elle enregistre l'information et ne l'aborde plus sous cet angle.

« Je suis déjà au courant de ce principe de majorité terrienne mais toujours est-il que nous sommes à Eldarya et qu'ici toute pitance se mérite. Nous n'allons évidemment pas vous envoyer au front si vous n'avez aucune prédisposition au combat. Néanmoins, il faut tout de même vous intégrer à notre société et la garde d'Eel est la meilleure façon d'y parvenir.

- Et de se servir de moi par la même occasion. »

Elle voyait bien qu'elle mettait les nerfs du lézard à rude épreuve mais elle trouvait cette procédure fortement injuste. Elle avait cru pouvoir échapper à cette intégration forcée au moins jusqu'à ses dix-huit ans, le temps de trouver comment rentrer chez elle.

« Je pense que la discussion est en train de partir sur de mauvaises bases. Je vous invite à rencontrer d'autres terriens pour en parler directement avec eux une fois...

Son cœur s'emballa à l'évocation de ses semblables.

« Y'en a-t-il beaucoup ? Ils sont ici ? Est-ce qu...

- Du calme, l'interrompit-il. Sur le QG ils sont au nombre de huit, neuf vous incluse. Et chacun d'entre eux a intégré une garde et semble s'y plaire suffisamment pour ne pas en partir. Enfin, le doyen était trop âgé à son arrivée et a été pris en charge sous un régime proche de votre retraite.

- Ils adhérent à ce programme ?

- Absolument, même si la majorité d'entre eux ne sont plus mineurs, certains l'étaient à leur arrivée. »

Elle se tut, le temps d'intégrer l'information.

« Est-ce que je peux les voir avant de me décider ?

- Malheureusement, il va falloir vous décider pour l'une des trois gardes avant de sortir de cette pièce. Vous êtes ici depuis plusieurs jours et nous ne pouvons pas nous permettre de continuer à vous nourrir gracieusement sans engagement de votre part. »

Elle détestait qu'on lui force la main et c'était exactement ce qu'il était en train de se passer. La dryade dévisagea le saurien, l'air mauvais.

« Mais, continua-t-il, si vous souhaitez quitter Eel, personne ne vous en empêchera. Même si c'est à vos risques et périls. Je vous conseille de choisir une garde pour voir si elle vous convient, parler avec d'autres terriens puis vous décider sur la bonne décision à prendre. Ce serait plus raisonnable, vous ne pensez pas ? »

Émettant un grognement à moitié convaincu, Marie dut réfléchir sérieusement à quelle garde intégrer. Elle n'avait aucune envie de rejoindre les alchimistes, ça c'était certain. Elle aurait sans doute adoré devenir une apprentie ninja mais ça c'était avant de se retrouver avec des poids morts à la place des jambes et de trébucher tous les trois pas dès qu'elle tentait d'accélérer un peu. Au final, l'idée d'être formée au combat restait la plus plausible. Ça pourrait toujours servir au self défense dans son monde.

« C'est quoi déjà le nom de la garde des combattants ?

- L'Obsidienne mais n'avez-vous pas dit que vous ne vouliez pas combattre ? Les Obsidiens sont des guerriers, vous finirez forcément par partir en mission si vous démontrez avoir des aptitudes.

- Je ne suis pas en capacité de faire autre chose de toute manière. C'est vous qui me forcez la main en m'obligeant à me décider si précipitamment. »

Levant les yeux au ciel, le lézard se demanda ce qu'il avait fait au grand Cristal pour passer une telle après-midi. Il n'avait pas hâte de recevoir le prochain faelien, contrairement à son impatience initiale d'en rencontrer un nouveau.

« Vous me confirmez pour l'Obsidienne.

- Je confirme.

- Bien, l'entretien est donc terminé. »

Il aligna sa pille de feuilles proprement avant de se lever de sa chaise. Marie fit de même avant de se rappeler un détail important.

« Pouvez-vous m'accompagner jusqu'aux autres ?

- Les terriens ?

- Oui. J'aimerais vraiment les voir. »

Poussant un profond soupir, le reptile accepta d'y conduire la faelienne après un instant de réflexion.
Le quartier général était d'une taille assez impressionnante. Toute une aile était dédiée aux baraquements, ceux-là même où elle avait passé ses dernières nuits. Elle était loin de se douter qu'elle dormait juste à côté de personnes provenant de son monde. Toquant à une porte surmontée d'une dague dorée, son guide attendit quelques instants avant qu'une voix l'invite à entrer. Une certaine tension habitait la jeune dryade. L'idée de voir quelqu'un de chez elle, qui serait devenu un monstre. Il n'en fut rien. Il s'agissait d'un homme d'une quarantaine d'année, d'allure parfaitement normale, mis à part son accoutrement typiquement eldaryen. Elle ne savait pas quoi dire. L'homme lézard prit sur lui de l'introduire afin de faciliter les échanges oraux.

« Huang, je te présente Marie. C'est une faelienne terrienne tout juste arrivée à Eel. »

L'homme avait de courts cheveux noirs et des yeux de couleur pierre. Son teint semblait clair et sa peau lisse. Ses oreilles étaient arrondies et aucune protubérance étrange ne dépassait de nulle part. Son nez écrasé et ses yeux bridés démontraient une ascendance asiatique typiquement terrestre.

« J'en ai entendu parler. Eweleïn l'a auscultée l'autre jour, petite veinarde ! »

Sortant de sa torpeur alors que l'homme lui broyait joyeusement la main, elle grimaça en la retirant.

« Alors, depuis combien de temps tu es ici, petite ? Moi je suis là depuis pas moins de dix ans ! Pas mal, hein ?

- D-dix ans ? Vous n'êtes pas rentré chez vous ? »

Arborant une mine résignée, il haussa les épaules.

« S'il y a bien une chose que je peux te dire, c'est qu'il y a peu de chances que l'un d'entre nous rentre un jour. Quand bien même on rentrerait, on serait des étrangers là-bas après avoir passé autant de temps ici. J'ai fini par m'habituer à l'idée. »

Hors de toutes ces considérations terriennes, le saurien décida qu'il était temps pour lui de laisser les faeliens discuter entre eux.

« Je vais vous laisser si v... »

Cherchant le regard de l'homme lézard avec désespoir alors qu'elle l'entendait annoncer son départ, Marie ne voulait aucunement rester seule en compagnie de cet homme qu'elle ne considérait pas autrement que les eldaryens. Il ne voulait plus rentrer, il avait abandonné. Il ne fallait pas qu'elle l'écoute ni même qu'elle reste une minute de plus dans cette pièce. La jeune fille attrapa son guide par le bras avant de sortir précipitamment. Elle sentit ses jambes enchaîner les mouvements de nombreuses fois avant que ses pieds s'emmêlent et qu'elle s'étale de tout son long sur le sol.

« Est-ce que ça va ? »

Un bras musclé la souleva du sol pour la remettre sur ses pieds, l'homme lézard avait l'air inquiet. Elle ne savait plus quoi faire. Rien n'allait. Elle pensait pouvoir trouver des alliés et au lieu de ça, il se pouvait plutôt qu'elle trouve uniquement des humains ramollis par le temps et refusant de retourner chez eux.

« Vous l'avez convaincu de me dire ça. »

Elle ne croyait elle-même pas en cette affirmation mais elle avait besoin d'entendre une réponse. Une main écailleuse glissa sur son épaule alors que d'une voix douce le saurien lui répondait.

« Je n'imagine même pas à quel point tout ça doit être compliqué pour vous. »

Il n'ajouta rien d'autre et elle ne répondit rien. Il avait parfaitement résumé la situation. Quelque chose de compliqué, de très compliqué.

« Est-ce que vous voulez voir un autre terrien ?

- Non. Plus tard, peut-être. »

La dryade était fatiguée et décida de retourner vers sa chambre. Le reptile bienveillant l'escorta jusqu'au pas de sa porte avant de réaliser qu'il avait oublié de lui annoncer la marche à suivre à propos de sa future garde.

« Allez-y. Au point où j'en suis, un peu plus ou un peu moins.

- Je peux revenir demain si besoin.

- Non ça ira, soupira-t-elle, allez-y maintenant. »

Toussotant timidement dans sa main, il entama ses quelques explications. Il était question d'une période d'essai d'un mois pour jauger si oui ou non la garde avait été bien choisie. Ladite période d'essai commençait le lendemain même de l'entretien du faelien, ce qui signifiait qu'elle serait assignée à un gardien dès le jour suivant. Après s'être assuré qu'elle avait bien compris et qu'elle n'avait pas de questions, il prit congé avant de se raviser quelques secondes plus tard.

« Vous devriez peut-être éviter de rester enfermée ce soir si vous vous sentez déprimée.

- Où est-ce que je suis censée aller exactement ? Vous croyez que je connais du monde ici ? Ou que j'ai envie de faire la fête alors que même les gens qui viennent de chez moi sont convaincus qu'il est impossible de rentrer ? »

Mal à l'aise, le lézard se dandina sur ses pieds.

« Justement, c'est pour éviter de penser à ce genre de choses qu'il est mieux de sortir un peu pour s'aérer. Et, si vous n'avez rien de mieux à faire, vous pourriez éventuellement venir avec moi et quelques-uns de mes camarades, à la taverne, ce soir. »

Elle le dévisagea d'un air morne avant de répondre sur un ton tout aussi plat.

« Les sorties avec des vieux, très peu pour moi. »

S'il avait pu devenir blanc, le lézard verdâtre serait plutôt devenu transparent.

« Qu... Mais je... J'ai bien quelques années de plus que vous mais de là à me traiter de vieux, je pense qu'il y a méprise.

- Que quelques années ? C'est une blague ? »

Cela dit, il était difficile de donner un âge à un reptile vert et recouvert d'écailles, quand bien même son faciès paraissait assez humain de configuration. Elle le dévisagea avec attention cette fois. Tout d'abord il était chauve, son crâne recouvert d'une fine couche d'écailles plus foncées sur le sommet et agrémenté d'une collerette dressée à la manière d'un iroquois. Son visage, malgré sa couleur verte, comportait deux yeux aux pupilles verticales, un nez droit et une bouche de taille assez normale bien que comportant des dents à l'allure assez effilées et... tranchantes. D'un point de vue corporel, il semblait fait plus ou moins comme tout le monde, la seule différence était cette peau qu'elle imaginait rugueuse au toucher.

« J'ai vingt-trois ans. »

Il n'avait pas fière allure en annonçant son âge.

« Je suis encore mineure.

- Et alors ?

- Dans mon monde, c'est un crime de détourner les jeunes du droit chemin en les poussant à faire la fête. Sur ce, je crois que je préfère rester seule. »

Ne lui laissant pas le temps de rétorquer quoique ce soit, elle claqua la porte derrière elle avant de s'affaler sur son lit. Sa journée avait été suffisamment éprouvante pour qu'elle ne s'inflige pas en supplément la compagnie d'une créature hideuse toute la soirée. Elle ricana en s'imaginant entourée de lézards dans un bar où on servirait des mouches sur des cure-dents. L'écho de son rire disparut peu à peu alors qu'elle songeait à cet homme à qui elle avait parlé, au faelien. Elle pensait réellement qu'il aurait pu être un allié mais elle devait se rendre à l'évidence. Cet homme ne devait rien posséder d'important dans l'autre monde, sinon, il aurait sans aucun doute cherché à rentrer par tous les moyens. Marie avait quelque chose d'important à retrouver, elle. Tout un tas de choses à vrai dire. Ses parents qui devaient mourir d'inquiétude, quoiqu'elle ne fût pas sûre que sa belle-mère soit effondrée depuis sa disparition. Sa meilleure amie avec qui elle avait prévu quelques mois plus tôt de réviser son bac blanc de français coûte que coûte pour ne pas le rater. Son chat, Lucifer, d'un noir absolu et de la douceur d'une guimauve tant dans son caractère que dans son poil. Pour ce qui était des autres, ils allaient sans doute aussi lui manquer mais c'était surtout vers les personnes les plus importantes de sa vie que son esprit vagabondait.

Elle se redressa, le souffle court et la main plaquée sur sa poitrine. Son cœur lui faisait mal et elle ne savait pas quoi faire pour apaiser cette douleur. Observant sa porte d'un regard vague, elle se redressa dans un vain espoir. Peut-être que le faelien ne lui avait pas dit la vérité par ce que le lézard était là et aurait pu répéter ce qu'il avait entendu.

Il fallait qu'elle aille le voir, seule à seul.

Quand les choses s'écorçent.Where stories live. Discover now