Comment les choses ont commencé.

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Elle avait beau avoir les yeux grands ouverts, elle ne s'était jamais sentie aussi peu confiante envers sa vision du monde. Ses doigts se pliaient et dépliaient mécaniquement alors que ses lèvres restaient obstinément pincées. Quelque chose d'improbable venait de se produire, à tel point qu'elle doutait qu'il s'agisse de la réalité.
Elle était au beau milieu d'une forêt dont aucun arbre, elle en était sûre, ne faisait partie de ceux qu'elle connaissait. A vrai dire, aucun biologiste aussi informé soit-il ne devait connaitre les spécimens qui lui faisaient face. Un tronc blanc, translucide, laissant apparaitre des fluides vert pâle bougeant presque imperceptiblement. Un feuillage, semblable à des pompons parsemés au hasard, ondulait sous une brise qui semblait tiède sur sa peau.
Elle n'osait ni avancer pour confirmer la tangibilité de sa vision ni même parler, de peur de troubler ce qui restait de lucidité en elle. Pourtant, quand, à force de rester droite et rigide, ses membres la firent souffrir, elle dut se résoudre à bouger. Elle s'assit prudemment sur l'herbe qui semblait plus ou moins normale. Exceptée peut-être son allure un peu trop bleutée.

« ...a ...qu'un... »

Les mots étaient sortis de façon si ténue de sa gorge qu'elle n'avait même pas pu les comprendre elle-même. Expirant longuement, elle reprit une inspiration avant d'élever la voix.

« Est-ce qu'il y a quelqu'un ? »

Sa voix se dissipa sans écho. Elle ne savait pas ce qui la terrifiait le plus. Savoir qu'elle était effectivement seule dans une dimension parallèle ou voir apparaître une chose inconnue et potentiellement monstrueuse. Quelques buissons étaient éparpillés ici et là, des baies sphériques de couleur brune les habillant joliment. Elle détaillait du regard chacun d'entre eux quand celui qu'elle fixait s'agita. La gorge nouée, elle ne parvenait pas à déglutir. Son souffle se fit encore plus rare quand un chat gris marchant sur deux pattes contourna l'arbuste pour en cueillir les fruits. Elle poussa un hurlement d'effroi et le matou bondit de frayeur, la queue subitement plus hérissée que jamais. Elle recula sur le sol à l'aide de ses bras et ses jambes, sans parvenir à se relever tant ses mouvements étaient décousus.

« Quelle voix mon chaton ! Tu m'as fait une frayeur que je ne suis pas prêt d'oublier ! »

Son cerveau cessa de fonctionner pendant plusieurs secondes quand elle fit le lien entre la voix éraillée et le félin devant elle. L'adrénaline affluant brusquement dans ses veines, elle se releva en un instant avant de commencer à courir à travers les bois. Elle ne fit pas attention à la douleur des buissons qui fouettaient ses jambes, ni même aux nombreuses fois où elle se cogna contre l'écorce des arbres. Il fallait qu'elle se réveille rapidement avant que ce cauchemar ne vire encore plus à l'étrange. Elle s'arrêta à bout de souffle quelques centaines de mètres plus loin alors que la voix du chat résonnait à nouveau.

« Pourquoi tant de panique mon chaton ? Tu n'as jamais vu un Purrekos ? »

Il continuait de parler mais il ne s'agissait que d'un rêve, il fallait qu'elle se ressaisisse.

« Ne m'approche pas. Tu n'es pas réel.

- Je ne suis pas réel ? En voilà une idée saugrenue ! Toi mon chaton tu as gouté aux baies du bois, pas vrai ? »

Décontenancée par cette répartie, elle du réfléchir encore quelques secondes avant de répondre.

« Je n'y ai pas touché.

- Vraiment ? Alors que t'arrive-t-il chaton ?

- Arrêtez de m'appeler chaton. Je ne suis pas un chat ni un animal, je suis une humaine. »

Elle était cachée derrière un arbre et ne pouvait pas voir le félin mais elle fut surprise de ne pas l'entendre répliquer aussitôt. Si elle s'était penchée un peu, elle aurait pu voir l'étonnement absolu qui s'était peint sur le visage velu du Purrekos.

« Une humaine ? Ici ?

- Où est-ce qu'on est ici ?

- A Eldarya mon chaton. A Eldarya. »

Le nom de cet endroit ne lui disait fichtrement rien. Son subconscient venait-il de l'inventer ? Elle décida que c'en était trop et qu'il valait mieux ignorer l'apparition féline. Dès qu'il faisait mine d'approcher, elle le repoussait oralement avec si peu de courtoisie qu'il était maintenant évident que ça ne pouvait être un rêve. Dans la réalité, elle ne se serait jamais permis d'avoir un langage pareil mais à vrai dire c'était étonnement agréable.

« Mon chaton, il faut absolument que tu viennes avec moi. La nuit va tomber et il ne faut pas rester là au beau milieu des arbres. »

Une note inquiétante s'était glissée dans la voix du matou et elle commença à lui prêter un peu d'attention.

« Que va-t-il se passer à la nuit tombée ?

- Les arbres vont se nourrir. »

Elle haussa les sourcils face à cette drôle de déclaration.

« Ça me fait une belle jambe. Qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ?

- Ils se nourrissent des rêves et de l'esprit. Les animaux d'ici perdent la mémoire jour après jour et ne sont qu'errance. Si tu restes ici tu finiras par n'être que l'ombre de toi-même et devenir comme eux. »

Un rictus nerveux se glissa sur son visage. Elle ne pouvait pas croire un mot de cette histoire à dormir debout.

« Cause toujours. Comme si j'allais gober ça.

- Comment puis-je te convaincre que tout ceci n'a rien d'un rêve ?

- Je crois que ça va être compliqué vu que tout ce qu'il se passe ici est parfaitement impossible. »

S'agenouillant, elle ramena ses jambes contre son corps pour y poser sa tête, la lumière déclinait de plus en plus et une angoisse étrange montait en elle.

« Tu as dit que tu étais humaine, ce qui veut dire que tu es arrivée ici par un cercle de champignons. »

Elle releva la tête face à cette déclaration. Effectivement la dernière chose qu'elle avait vu avant de sombrer en plein délire c'était ce maudit cercle fongique.

« Belle tentative monsieur le subconscient mais je ne me ferais pas prendre.

- Laisse-moi t'approcher, je vais te convaincre que c'est bel et bien la réalité même si ce n'est pas celle que tu connais. Tu n'as rien à craindre si ce n'est qu'un rêve. »

Hésitante, elle finit par lui donner son accord. Il apparut dans la seconde, toutes griffes en avant, pour entailler cruellement le bras de la jeune fille. Gémissante, cette dernière agrippa la plaie qui commençait à suinter un liquide écarlate.

« Vous êtes fou !

- C'est toi la folle si tu restes dans cette forêt. Tu viens d'arriver donc je me sens responsable de toi. Mais, si tu continues ainsi, ça pourrait bien ne pas durer et tu te débrouilleras avec les arbres la nuit venue. »

Elle resta interdite alors que la brûlure des griffures la plongeait de plus en plus dans cette réalité étrange.

« Soit tu te décides à venir avec moi. Soit je te laisse ici. Tu choisis. »

Elle ne sut jamais vraiment ce qui la décida, si c'était un quelconque instinct primaire ou une intuition mais toujours est-il qu'elle accepta de suivre le chat jusqu'à sa roulotte pour quitter la forêt alors que les derniers rayons du soleil disparaissaient à l'horizon.

Quand les choses s'écorçent.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant