Epilogue.

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« L'Amérique du Sud. Ça nous faisait tous rêver. 

Aujourd'hui, j'admire toujours cet endroit. Mais sans toi, le constat est plus amer.

Je suis en sécurité, du moins, je le crois. Mais je suis tellement différente.

Je suis devenue la jeune fille qui regarde la société s'effondrer derrière les parois de sa bulle protectrice. Je comprends, à contrecœur, que je ne pourrai jamais changer le monde. Que la pauvreté et la peur vont gangrener encore longtemps cette planète, sans que je ne puisse tout métamorphoser. Pire : elles me sont lointaines, désormais, cela me rassure et m'ennuie en même temps, quand j'étais habituée à la survie permanente.

Je deviens peu à peu comme les habitants d'ici. Étrangère au monde qui m'entoure.

Marcello nous a envoyé dans les profondeurs du Brésil, dans un village du début du siècle. Loin de la modernité de Brasilia, mais cela n'a pas d'importance. On est rapidement dans la mégapole économique, en moins d'une demi-heure, grâce à un train suspendu. Tu verrais ça, tu n'en reviendrais pas d'une telle invention.

Je vis avec Kai dans une des petites maisons colorées, les unes près des autres comme un petit village, qui me rappellent un peu le Canada. Il y a de l'espace et de la nature, des prés pour nos chevaux, et on est entre nous, comme dans notre camp. C'est le plus important.

Quelques mois ont suffi après la délibération de justice pour qu'un nouveau mode de vie s'imprègne totalement en nous. Marcello nous a trouvé du travail. Nous sommes pour la plupart des cultivateurs dans les champs ou exploitations agricoles à proximité, un métier peu pris d'assaut par les sud-américains, mais qui me convient, ainsi qu'à nos amis. Certes, c'est physique, mais l'on est tous ensemble, à rigoler et à travailler avec bonne humeur. Ça occupe nos journées, nous sommes payés, c'est gratifiant.

Comme tu t'en doutes, ça a été un peu dur de s'y habituer, surtout pour Kai. Il a eu du mal à comprendre l'intérêt de l'argent, pour quelqu'un ayant vécu toute sa vie en ne connaissant que le don ou le troc. De même, l'absence de certaines libertés peut être déconcertant. Ce n'est pas énorme, et davantage dû à une manière différente de vivre.

Mais étrangement, si Kai avait eu du mal à s'adapter, il s'en sort bien. Les services de l'armée ont continué à interroger Karin. Elle leur a appris que les résultats au remède du XI-06 recherché par les Russes est effectif après des années d'incubation, une dizaine. Kai y a survécu, il y a des années. Désormais, il est activement recherché par son pays d'origine, d'où l'envoi de Karin. Mais je me demande : n'y a-t-il pas d'autres Kai, ailleurs ? Bientôt, est que le Nouvel Empire Russe aura son remède et cessera sa paix avec l'UNASUR ?

Marcello nous a pourtant dit que désormais, on ne risquait plus rien, spécifiquement Kai. On essaye d'y croire, mais je n'oublie pas ce que Marcello nous avait une fois révélé. La sécurité ici n'est qu'éphémère. Un jour, les Russes fabriqueront leur remède. Et personne ne sait ce qu'il adviendra du monde.

C'est pour cela que notre vie est étrange : on est venus ici pour se construire un avenir, et malgré tout, ce dernier demeure infiniment instable.

Kai semble faire abstraction de tout cela et s'adapte de plus en plus avec le temps. Il ne travaille pas avec nous, mais avec les services de l'armée sud-américaine. Il part rejoindre Marcello à Brasilia tous les jours. Marcello s'est vite rendu compte de son potentiel quand il lui avait avoué maîtriser parfaitement le russe. Désormais, il traduit les écoutes téléphoniques ou les informations que les espions sud-américains déployés dans le monde réussissent à obtenir. Kai en a parfois marre d'être dans un bureau, alors Marcello le libère plus tôt pour qu'il rentre ici et retrouve Yavapai. Je crois qu'il sait que ça ne sert à rien de le forcer. Kai sera toujours libre et unique maître de lui-même.

Je pense que tu seras ravi d'apprendre que Nolan est heureux aussi. C'est notre voisin, qui pourtant passe plus de temps chez nous que chez lui, une petite maison aux murs orange, la nôtre étant bleu ciel. Elles sont seulement séparées par trois grands palmiers, donc rien ne pouvant stopper notre ami pour venir séjourner dans notre cuisine. S'il n'est pas chez nous, il reste chez Amaury, qui désespère peut-être de lui faire des avances sans que Nolan ne comprenne. C'est Nolan.

D'ailleurs, on a appelé le quartier où nous vivions tous le « camp ». Ça rappelle l'Arizona.

Aujourd'hui, nous n'avons plus cet endroit, et cela nous manque. Et nous ne savons pas si un jour, l'avenir nous permettra d'y remettre les pieds. On ne le dit pas à haute voix, mais on le laisse deviner : on aimerait bien retourner là-bas, un jour, où le monde sera en paix. Ça n'arrivera peut-être jamais.

Je crois que si l'on aime tant cette terre, c'est qu'il y a une intime raison. Kai l'a toujours compris et a essayé de nous l'enseigner.

On est libres en Arizona.

En tout cas, j'espère avoir rapidement de tes nouvelles en réponse à cette lettre. Nous pensons souvent à toi. J'espère que tu te plais dans le programme de réinsertion et les différents ateliers proposés. Marcello vient souvent nous voir et face à Dwayne qui le harcèle de questions, il finit toujours par avouer quelques informations sur ton implication dans le centre de réadaptation.

Il me tarde que tu reviennes parmi nous. Tu nous manques, Derek.

On t'embrasse tous.

Léane ».

ArizonaWhere stories live. Discover now