Chapitre 21 : Les indices de Supai

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Quand nous atteignîmes enfin le camp, je vis Nolan courir vers nous. Il enlaça son ami pendant de longues minutes, avant de se diriger vers moi et répéter l'opération. Enfin, tenter de m'étouffer semblait un terme plus exact, et j'étais un peu heureuse quand son étreinte s'arrêta, alors qu'elle avait été plus expéditive que celle réservée à Kai.

— Je suis soulagé, vraiment ! Toute cette anxiété m'avait même ouvert l'appétit ! Venez, on va manger, et on rassurera Derek ensuite !

Nolan et sa faim omniprésente... Peu importe les circonstances, il ne sautait jamais un repas. C'était du Nolan tout craché : des retrouvailles signifiant qu'il vous aimait bien, avant de penser à son estomac, qu'il devait encore plus chérir que nous. Nous le suivîmes sans parler. Je comprenais que Kai n'en avait pas envie. Nolan ne voulait sans doute pas dire un mot non plus, fait miraculeux pour ce bavard, car il connaissait Kai et savait ce qui le tourmentait. Et moi je préférais ne pas rompre le silence par une phrase déstabilisante pour Kai.

Katie nous avait mis des assiettes de côté. Et comme elle craignait que nous soyons vraiment affamés (je soupçonnais Nolan d'avoir témoigné de ses inquiétudes ce matin), la cuisinière et ses commis nous avaient servis une double ration de nourriture. Pourtant, il ne fallait pas s'en sentir obligée. Vraiment pas. Mais elle croyait sans doute dur comme fer que sa nourriture nous rendait le sourire (alors que c'étaient plus souvent des grimaces). Mais au fond, la vie au camp serait différente sans sa nourriture. C'était un élément indissociable. Ce serait difficile de faire pire, et étrange de faire mieux. En tout cas, ce serait juste moins drôle à l'heure des repas, quand on s'encourageait mutuellement du regard et qu'on se moquait des uns et des autres.

Après un repas silencieux, où Nolan avait englouti sa portion et finit celle de Kai, nous nous retrouvâmes au corral avec Derek, qui mettait un point d'honneur à nous transmettre le résumé de son dialogue avec Karin.

— D'après ce qu'elle m'a dit, rien ne s'arrange. Les condamnations affluent de plus en plus, pour des motifs ridicules. Déjà que ce n'était pas terrible avant... Enfin, d'après les rumeurs, l'éclatement d'une quatrième guerre mondiale se rapprocherait, l'échéance ne se compterait qu'en semaines qui tiendraient sur les doigts de la main. Je suis suspicieux sur ce dernier point. Même des États belliqueux d'Europe de l'Est, comme la Hongrie et l'Ukraine qui ont toujours combattu ardemment la Russie ne sont pas prêts militairement... Les anciennes grandes puissances militaires s'en tiennent à leurs accords de paix branlants pour protéger leur population. Tout devient critique pour nous. De plus, les prisonniers qui se révoltaient dans certains États ne reçoivent plus la nourriture parfois envoyée par hovercraft avec certains détenus. Les crétins. Cela deviendra une course à la survie dans les jours qui viennent. Les hommes se comportent déjà comme des bêtes pour vivre. Ce sera pire. Ils n'auront plus peur de tuer. Il faudrait éviter que cette instabilité gagne l'Arizona. J'espère que ce bougre d'Estéban va au moins bien faire son peu de travail.

Kai hocha la tête, analysant aussi bien que Nolan et moi la gravité de la situation. Le monde n'avait jamais été aussi tendu depuis les bombardements.

Je rejoignais Derek sur certains points. Il me semblait impensable qu'une nouvelle guerre mondiale prenne lieu, celles du vingtième siècle ayant quand même laissé de mauvais souvenirs. Certains affirmaient que les grands bombardements russes sur les États-Unis avaient été la troisième. Officiellement, il n'y en avait pas eu. Face à l'ampleur de l'attaque, la plupart des États avaient été pris de court face à la puissance destructrice du Nouvel Empire de Russie. Les États-Unis n'avaient pu se rebeller, car ils demeuraient rapidement détruits. Surtout qu'il avait fallu reconnaître que le Nouvel Empire de Russie avait une technique irréprochable sur son organisation de sa vengeance de la guerre froide. La plupart des pays autrefois liés militairement avec la puissante Amérique avaient viré de cap, signé en vitesse un traité de paix et de non-agression avec le Grand Territoire de Russie, juste pour se protéger. Quand l'ennemi était trop fort, il valait mieux se ranger de son côté que sauver son ami trop faible. Seuls quelques pays du globe s'étaient battus en refusant un accord de paix factice qui signifiait surtout une allégeance au Nouvel Empire, souvent opposés à cet ennemi en raison de vieilles rancœurs héritées du passé. Mais ils avaient été vite vaincus par la force armée russe en quelques années.

ArizonaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant