Chapitre 10 : Le chef de camp

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Yavapai nous guida un bon moment dans le désert, grâce à une étonnante capacité de Kai à se repérer ici, alors que pour moi, tout était identique : du sable poussiéreux, de la terre ocre à longueur de vue, des buissons cramoisis et quelques arbres rabougris, et quelques fois, des bâtiments en ruines que l'on apercevait au loin. Ma gorge se serrait à leur vue, pour une raison que j'aurais aimé oublier. C'étaient les séquelles des bombardements que l'on avait fui avec mon père. Une détestable sensation de peur et de dégoût prenait possession de mon corps.

Nous nous aventurâmes à dos de cheval une bonne trentaine de minutes, avant d'atteindre ce qui ressemblait au campement que Kai avait évoqué. Je découvrais l'endroit, sans voix, face à cette vie qui renaissait aux États-Unis.

Toute cette zone d'habitation était protégée par des remparts, faits de branchages, de murets de pierres et de débris, se dressant sur quasiment un mètre et demi. Quelques hommes montaient la garde en marchant le long des clôtures ou en s'abritant sous un abri de bois surélevé qui longeait un portail d'entrée vers le camp.

Derrière cette barrière, trois petits immeubles de béton et de pierre écorchée s'y dressaient. Quelques marques des bombardements étaient visibles sur des façades renforcées par diverses mixtures de couleur différentes ou de planches maladroitement entreposées. Plusieurs fenêtres semblaient brisées, d'autres manquaient par endroit. Je ne savais pas si ces pauvres bâtiments étaient sûrs, et suffisamment consolidés au vu de ce qui s'était passé ici. J'espérais. Au travers du passage d'entrée ouvert, je vis quelques abris fabriqués avec des planches, restes de taules, anciens bâtiments ou de tissu, de façon à former un genre de tipi ou de yourte.

Et puis, les premiers bruits se firent entendre. La vie. Des battements d'ailes, des caquètements de poules, un bêlement de chèvre. Des pas allants et venants, le bruit des outils qu'on entrechoquait, des paroles lointaines, des rires francs.

Kai nous approcha d'un homme attendant près du portail. Il avait le profil typique d'un garde : fort et redoutablement autoritaire. Une bonne cinquantaine d'années visibles aux traits de son visage lui donnaient un air sévère, sa corpulence grande et baraquée avait de quoi en impressionner plus d'un, sa légère barbe non entretenue le rendait encore plus dur et ses vêtements kaki renforçaient son physique imposant et militaire. Vue son allure, j'en déduisais que c'était un type qu'il ne fallait pas trop embêter. A part si on voulait recevoir son gros poing dans le visage. Préférant ne pas finir défigurée à vie, et n'ayant rien de pertinent à dire, je me taisais et attendais que Kai prenne la parole.

— Alors, Kai, je vois que tu n'as pas trouvé de nourriture aujourd'hui, fit le garde en me scrutant de la tête aux pieds comme si j'étais une espèce inconnue sur Terre.

Sans surprise, sa voix était rauque, avec un léger accent du Sud. Un sourire se dessinait néanmoins sur son visage, ce qui sur un individu normal donnait un petit air sympathique, mais pour lui, semblait faire croire qu'il préparait un plan de torture.

— Bien vu, Derek ! Tu vois que ta vision n'est pas trop catastrophique avec la vieillesse qui se peaufine ! Bref, Je te présente Léane, elle va vivre ici maintenant.

— D'accord. Enfin après tout c'est toi le chef ici, tu peux prendre les recrues que tu veux, bougonna ensuite l'homme, ne faisant plus trop de cas de ma présence.

Au fait, il avait bien dit chef ? Kai était en réalité le chef ? Pourquoi il ne me l'avait pas dit ? C'était important ça, non ? Et comment il avait obtenu ce poste ? En faisant le plus beau plongeon depuis la cascade ?

Kai continua tranquillement à faire avancer Yavapai à l'intérieur du camp, alors que l'on traversait un chemin de poussière, entourés de quelques champs où poussaient des plantes -je reconnus des poivrons, des pommes de terre et même du maïs- et des enclos d'animaux de basse-cour, essentiellement des poules et des dindes, ainsi qu'une dizaine de chèvres. Ces dernières se couchaient avec le soir tombant sous des citronniers, ainsi que ce qui semblait ressembler à des amandiers, et d'autres arbres qui m'étaient inconnus. On arriva devant un dernier enclos, où quelques chevaux grattaient le sol à la recherche de brins d'herbe ou de foin éparpillé. Kai mit pied à terre et je fis de même, alors que mon esprit cogitait entre l'admiration de ce lieu nouveau et le fait que Kai m'ait caché son rôle ici. Je me retournai vers Kai, qui souriait en regardant sa jument.

ArizonaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant