Chapitre 25 : Tout se sait

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J'étais rentrée au camp en plein milieu de la nuit, éreintée mais les nerfs apaisés. Si Kai n'avait pas été bloqué dans son lit, il aurait probablement passé le reste de la nuit à me crier dessus et m'expliquer de nouveau les dangers de l'Arizona qu'il semblait connaître par cœur. À pas de loup, je montais les étages jusqu'à ma chambre, et fermais délicatement la porte. Avec la lumière blanche de la lune qui traversait les carreaux brisés de la fenêtre, je devinais une masse assise sur mon lit. C'était raté pour la discrétion.

— ­Tu es enfin là, maugréa la voix grave. Nolan voulait partir te chercher. Je lui ai dit de rester. Je ne voulais pas qu'il subisse ta mauvaise humeur et finisse comme Karin.

Penaude, je baissai la tête, en me mordant la lèvre inférieure. Derek allait faire ressortir ce sentiment immense de culpabilité, que j'avais tenté d'oublier des heures durant.

— ­Excuse-moi, Derek...

— Ce n'est pas moi qui ai besoin d'excuses. C'est elle.

Je relevai subitement la tête. Je ne voyais pas clairement le visage de Derek. Je ne savais pas si lui arrivait à voir la colère qui s'était subitement figée sur le mien. M'excuser, auprès de Karin ? Mais c'était elle qui m'avait provoquée ! Certes, j'avais réagi sous l'influence stupide de l'énervement et de la rancœur, mais quand même !

— Hors de question, ripostai-je. Tu ne sais pas ce qu'elle m'a dit. Ce serait à elle de s'excuser.

— Non je ne sais pas ce qu'elle a dit. Je ne pense pas qu'elle t'ait fait un discours de compliments non plus, sinon tu aurais eu une drôle de manière de la remercier. Mais sache que la violence ne résout pas tout. La violence, c'est ce que le Nouvel Empire Russe a utilisé en bombardant les États-Unis. La violence, c'est ce que Jake a utilisé contre toi et Kai. À chaque fois, il y a des victimes. Des blessures, extérieures et intérieures. La violence, c'est aussi ce qui fera qu'on sera obligés de partir d'ici, au prix d'un long combat. La violence laisse des séquelles. Je ne veux pas que tu deviennes un danger. Car je sais que tu t'efforces de faire le bien. Mais c'est difficile de le faire tous les jours. Tu es encore jeune, tu apprendras tout ceci en grandissant. Tu fais des erreurs, mais le plus important, c'est de savoir les réparer.

Derek se leva et s'approcha de moi, et il posa sa large main dans mes cheveux. Je répétais son discours intérieurement, et je devais l'admettre, que cela me plaise ou non : il avait raison. La violence avait trop détruit de vies pour que je commence à m'allier avec elle.

— ­Que ce soit toi, Kai ou Nolan, vous faites tous des erreurs. Vous ne savez pas toujours comment les réparer. Je dois vous aider. C'est ce que ferait tout père, non ?

Il savait qu'il avait raison. D'un côté, je détestais ça ; de l'autre, je lui en étais reconnaissante. Il était la sagesse qu'avaient forgé les années. Il avait toujours été là pour nous apprendre la vie après tout. Son apparence bourrue marquait le respect, mais je crois que c'était plutôt son grand cœur qui le rendait respectable. Il se sentait investi de ce devoir paternel avec les plus jeunes d'entre nous. On ne connaissait rien à la vie. Lui, si. Il nous protégeait, il nous apprenait à être meilleurs. Derek était essentiel.

— ­ J'irai m'excuser demain, à l'aube. Ainsi qu'auprès de Nolan, il a dû se faire du souci, conclus-je.

— N'oublie pas Kai, je l'ai mis au courant de ton acte. Je crois qu'il en était choqué. Et surtout inquiet. Dors bien, Léane, et ne recommence jamais, soupira l'homme. La violence, c'est le pire de tous les maux.

Je vis Derek sortir doucement de ma chambre, sans faire de bruit, englobé par la noirceur du couloir. Il me laissa seule, sous le firmament de lune qui éclairait vaguement la pièce. Il était émouvant. Il avait perdu son unique fille. Et maintenant, il considérait Kai, Nolan et moi comme les siens. La violence des autres l'avait blessé, il avait réparé ses blessures auprès de nous. C'était un grand homme.

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