Chapitre 29 : Premier jour de fuite

4.6K 525 44
                                    

Le lendemain, un silence perturbant et inhabituel régnait dans le camp. Tout le monde se préparait, sans oser un moindre bruit. Le silence permettait de profiter de tout une dernière fois avec une intensité particulière : une dernière baignade à Havasu Falls, un dernier petit déjeuner de Katie sur les chaises bancales, une dernière quelconque agitation au milieu de trois bâtiments en ruines et d'abris fragiles.

Mais au milieu de la matinée, quand tout le monde était rassemblé au centre du camp, portant des provisions et des gourdes, et certains d'entre nous assis sur les chevaux, les paroles de Kai furent obligées de résonner comme le glas de fin de notre vie ici.

— Mes amis, comme vous le savez, il est temps pour nous de partir. Je vous remercie de m'avoir fait confiance pendant des années, et encore pour aujourd'hui. Ensemble, nous avons survécu, et aujourd'hui, nous allons pouvoir partir d'ici, pour l'Amérique du Sud. Le chemin sera long, mais je sais qu'ensemble, nous y arriverons. Nous avons tellement franchi d'obstacles que celui-ci ne sera qu'un détail dans nos vies. Je voudrais souhaiter bonne chance à ceux qui resteront. Je sais que vous êtes capable du meilleur, c'est ce que mon aventure avec vous m'a appris. Pour les autres... En route !

S'en suivirent quelques applaudissements et notre groupe commença à se diviser, donnant de dernières accolades entre amis, avant de se préparer à fuir, alors qu'une partie de nos existences s'était construit ici.

Kai était en tête, nous guidant. Je me tenais à proximité et surveillait Derek à ma droite, qui visiblement n'était pas très à l'aise sur un cheval. Il suivait d'une manière exagérée le mouvement de balancier de la démarche de sa monture et se cramponnait à sa selle. Au vu de comment il semblait parti, je lançais des paris dans ma tête relatifs au moment de sa première chute : entre le premier ou le deuxième jour de fuite.

— ­Tout doux, Phoenix, tout doux, murmurait continuellement ce dernier, tout en me jetant des regards noirs quand il voyait que je me moquais de lui.

— On va mettre combien de temps pour faire ces sept cents kilomètres ? demandai-je pour lui changer les idées.

— Avec ce groupe, il nous faudra bien cinq semaines, maugréa Derek. J'espère ne pas arriver à six. De toute façon on n'a pas le droit à plus. Le risque de se recevoir de jolies bombes sur la tête est imminent.

— Il y a un truc que je ne comprends pas quand même, si l'UNASUR était si proche de nous, pourquoi ne pas nous avoir aidé plus tôt ?

— C'est un risque. Pour garantir la paix, elle préférait sans doute garder un certain degré de neutralité. C'est injuste peut-être, mais ça sauve la vie de d'un milliard de personnes sur son sol. Je ne sais pas si elle nous accueillera facilement, mais je l'espère. C'est ça ou on se fait exploser la gueule ; alors j'espère qu'ils feront vite le choix de nous amener ailleurs, soupira Derek en se rattrapant à la crinière de Phoenix.

De ce voyage finalement, je ne connaissais que des chiffres. Sept cents kilomètres pour aller à Nogales, Phoenix se trouvait à mi-chemin, à trois cent cinquante kilomètres, on avait cinq semaines maximum pour faire tout ça, une moyenne de plus de vingt kilomètres par jour était nécessaire et à l'arrivée, il restait une chance sur deux pour qu'on nous laisse partir. Les chiffres m'effrayaient d'autant plus que le voyage finalement. Ou c'était sans doute l'arrivée incertaine qui me faisait peur.

On avait marché toute la journée. Je ne connaissais pas l'endroit où l'on était. J'étais déjà allée plus loin, ou déjà passée par là, mais sans y accorder une réelle importance. La plupart des prisonniers râlaient. La journée avait vraiment été pénible et épuisante. Marcher pendant plusieurs heures, sous un soleil de plomb n'était guère enviable, surtout avec une température se rapprochant facilement des trente degrés Celsius. Les autres hommes du camp ne s'étaient jamais aventurés au-delà, et j'avais cru comprendre que le premier aperçu ne leur plaisait pas plus que cela. On avait fait une ronde pour les chevaux, pour les personnes les plus fatiguées et qui acceptaient de prendre leur courage à deux mains pour s'aventurer sur le dos d'un cheval. On avait pu le faire avec toutes les montures, sauf Hopi qui demeurait trop fougueux. Il aurait plus facilement brisé la jambe de quelqu'un dans une ruade qu'autre chose...

ArizonaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant