Chapitre 35 : La mort est partout

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Le lendemain soir, le paysage urbain se dressait de nouveau devant nos yeux. Ou plutôt les ruines d'une autre ville détruite. Tandis que notre petit feu de bois crépitait, je regardais avec appréhension cette ville presque fantôme qui était prête à nous accueillir.

— Ne t'inquiète pas, murmura Kai à mon oreille. On traversera Tucson demain, tous ensemble. Même si c'est une ville, il est hors de question que l'on se sépare à nouveau.

Il essayait de se montrer rassurant, je lui en étais reconnaissante, même si mon angoisse demeurait toujours. Mon aventure à Phoenix faisait que je craignais de mettre un pied au milieu des ruelles bordées d'immeubles démolis et défraîchis. Je ne voulais pas sentir l'odeur suffocante de la poussière de béton et répugnante des égouts. Je préférais l'air sec mais pur de notre désert arizonien. De même, je craignais n'importe quelle nouvelle rencontre. Je voulais rester avec mes repères, et mes compagnons. J'appréhendais clairement cette partie de notre périple.

Au petit matin, je m'étirais après une nuit agitée. Je déjeunais sans grand appétit ma bouillie, un mélange de pois chiches et de maïs, seule Katie pourrait vous certifier la liste des aliments phare de sa bouillasse. Nolan fut content quand je lui donnais le reste de mon assiette. Pourtant, il aurait fallu que je mange pour gagner quelques forces, mais cela me semblait impossible. Derek essaya de nous rassurer en affirmant que Tucson était la dernière ville que l'on traversait, au sud de l'État. Un peu de soulagement se dessina sur nos visages unanimement fatigués.

Notre groupe ne fut pas discret dans la banlieue de Tucson, sans être divisé en petits groupes. On nous repérait forcément à des kilomètres alentours. Notre attroupement de presque une cinquantaine d'individus suivait les traces de Kai, qui demeurait sans doute le plus méfiant. Pourtant, il n'y avait pas âme qui vive. C'était le plus étrange. Et ce qui accroissait sans doute son inquiétude.

J'avais toujours pensé que les hommes se seraient rapprochés des villes, où erraient moins d'animaux sauvages et avec plus de cachettes et d'objets permettant la survie. Mais finalement, à l'image de Phoenix, sans doute qu'une trop grande présence d'hommes ici aurait également voué la ville à n'être qu'un amas d'hommes abandonnés à leur sort, de crasse purulente, les confits permanents, et ne semblant inévitablement mener qu'à la mort.

Phoenix courrait à sa perte, pour être un des plus grands rassemblements de populations. Pourtant, il était aussi vrai que la population de condamnés n'était pas non plus extraordinaire, si on comptait ceux encore vivants, car la mort avait déjà emporté trop d'individus. Peu à peu, voyant la ville déserte, il était vrai que la pression retombait. La possibilité d'un danger semblait déteindre rapidement, et une troublante sérénité semblait prendre le relais.

Naturellement, quand on s'approchait en fin d'après-midi du bout de la ville fantôme, on avait baissé notre garde.

Ce qu'on n'aurait pas dû.

Un cri rauque nous ramena à une réalité atroce. Tout le monde se retourna, et découvrit avec horreur un homme, dont le nom m'échappait sur le coup, avec la gorge en sang et s'étouffant avec le liquide rouge qui lui sortait abondamment de la bouche. Cet homme m'était familier, il avait vécu au camp. L'individu à sa gauche, en revanche, ne me disait rien. Le long couteau qu'il tenait dans sa main et taché de sang firent monter un élan de panique dans mon cerveau. Des cris retentirent de part et d'autre de notre groupe. Comment ça ? Qui était cet inconnu qui venait de tuer un de nos compagnons, atrocement et sans motif ?

Et je comprenais enfin que la ville n'avait jamais été pas désertée, et cette constatation fut validée quand je vis approcher une vingtaine d'hommes étrangers à notre groupe, un air menaçant sur le visage. Ils me donnèrent froid dans le dos, peut-être même jusqu'au même niveau que H. Car je découvrais qu'ils avaient une habitude commune : l'absence totale d'humanité.

ArizonaWhere stories live. Discover now