Chapitre 3 : La fête nationale

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Les sonneries centrales retentirent à l'aube ce jour-là, comme pour s'assurer que personne ne raterait les cérémonies par un sommeil un peu trop lourd. Je rouspétais un peu en me frottant les yeux, étirant ensuite mes bras endoloris par un repos sur un matelas bien trop usé. Nous devions fêter la victoire du Nouvel Empire Russe sur le monde, et plus particulièrement celle du 10 juillet 2041, jour où ils avaient réussi à complètement détruire les États-Unis en pulvérisant le dernier haut lieu du pouvoir américain : la Maison Blanche. On devait donc célébrer des millions de morts et le début d'une nouvelle ère, une de chaos.

Je me levais doucement et filais vers notre petite salle de bain, ou la pièce qui avec des toilettes cassées et un vieux bac de douche rouillé, pouvait en faire office. Je me lavais rapidement, sous un jet d'eau glacé. A part en été, c'était toujours ainsi ; et l'hiver, nous n'avions tout simplement pas d'eau, cette dernière gelant avant d'arriver à la réserve du camp. J'attrapais les vêtements qui tombaient sous ma main : un short kaki usé et débardeur noir, propres. Même s'il était vivement conseillé de ressortir des beaux vêtements l'occasion de la fête nationale, peu d'entre nous le faisions. Le peu d'argent que n'importe qui amassait ici servait davantage à se remplir l'estomac plutôt qu'à acheter de ridicules morceaux de tissus, utilisés une fois par an. La seule extravagance pouvant être aperçue était de jeunes filles avec de jolies tresses ou des chignons, garnis de fleurs sauvages, que leurs mères ou leurs sœurs prenaient le temps de leur faire dans la matinée. Je n'avais aucune de ces personnes, et mon frère n'avait ni la patience ni la dextérité pour me tresser les cheveux. Alors, je gardais mes longs cheveux roux détachés, mais soigneusement démêlés. Souvent, petite, j'avais rêvé que quelqu'un me fasse de jolies tresses, et puis j'avais compris que c'était inutile. J'avais arrêté d'espérer des choses futiles. J'enfilais mes baskets quand mon frère entra dans ma chambre.

— On doit aller au Centre, ça va être l'heure.

Will demeurait un peu froid, je comprenais qu'il m'en voulait encore pour mes reproches de la veille. C'étaient dans ces moments-là que je comprenais que l'on était deux générations différentes. Au moins, je me disais qu'avec la fête nationale, il n'allait pas travailler aujourd'hui pour des gardes russes.

Le Centre se situait à trois kilomètres du refuge n°259. Son vrai nom était Centre n°250 et était une zone administration qui desservait les zones de réfugiés n°250 à 299. Par chance, nous n'en étions pas trop éloignés, mais d'autres devaient marcher plus longtemps ou emprunter de vieux bus pour s'y rendre. Car nous y allions assez souvent. Le Centre se définissait comme une sorte de petite ville centrale érigée par le Nouvel Empire Russe, d'où son nom ; avec des bâtiments en béton et assez modernes face à nos taudis de maisons. Mais personne ne vivait ici, sauf de rares privilégiés qui géraient des administrations et des commerces importants. C'était une zone industrielle, de commerce et de services. Comme le cœur pour les refuges alentours. Les gens ne venaient ici que pour travailler contre un petit salaire. Ceux qui y étaient employés gardaient un léger niveau de vie supérieur aux autres. Néanmoins, les Centres se différenciaient des villes classiques du Canada qui avaient été conservées. Celles-ci n'étaient pas accessibles aux réfugiés comme nous. Nous devions nous contenter des Centres.

Je marchais dans l'allée centrale, plus large que les autres, bordée par plusieurs grands bureaux dans des bâtisses identiques les uns aux autres, des boutiques de nourriture alléchantes, ainsi que de vêtements criards et de meubles. Cependant les prix plutôt chers par rapport aux moyens des habitants des refuges alentours faisaient que ce n'était pas non plus une grande zone économique et seuls quelques réfugiés gérant ces commerces ou ayant acquis un titre de séjour ou avec un métier qualifié y avaient accès. L'injustice dans toute sa splendeur. On passa également devant nos établissements scolaires présents ici, car nous n'allions pas étudier au même endroit que les autres canadiens. L'Empire Russe qui avait la tutelle de ce pays contrôlait précautionneusement ceci.

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