Chapitre 2 : Gardiens et gardés

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Je dus surveiller que mon frère ne finisse pas le saladier entier de framboises et m'en laisse quelques-unes, du moins pour pouvoir préparer le clafoutis aux fruits, et non me retrouver avec une pâte vidée de tout accompagnement.

— J'ai vu un nouveau garde, informai-je Will alors qu'il s'était installé sur un petit tabouret de bois dans la pièce qui servait de cuisine et pièce à vivre, et ne me quittait pas des yeux le temps que je préparais le repas. Un toutou de plus au service de la Russie.

— Mmh, cool.

— C'est tout ce que ça te fait ? m'étonnai-je.

— Léane, soupira mon frère.

— Quoi ?

Will fronça ses épais sourcils blonds. Ça arrivait de plus en plus souvent que l'on soit en désaccord, au fond. Je mettais ça sur une crise d'adolescence de mon frère cadet. C'était l'âge après tout.

— C'est un type pas plus différent que nous, qui a besoin d'argent. Tu vas voler dans les entrepôts pour nous apporter de quoi manger. Mais imagine que tu te fasses prendre... Je serai peut-être obligé de me mettre dans les rangs moi aussi. Ce que rapporte papa ne suffit pas pour nous faire vivre...

— Je te défends de faire ça !

Will faillit en tomber de son tabouret, tant je m'étais approchée de lui avec brutalité, attrapant au passage son t-shirt froissé et troué, faisant voler de la poussière de bois par mon geste. Et il ne me quitta pas des yeux.

— Je cautionne déjà le fait que tu acceptes certaines tâches privées que te proposent les gardes contre quelques Roubles. Alors que c'est terriblement mal vu.

— Au moins, ça paye. Ça permet de survivre. Tu sais, ta rancœur vit depuis plus de dix ans, ça ne nous apporte rien de plus. Alors pardonne-moi, grande sœur, mais sache que je sais ce qu'il me restera à faire de mon avenir pour survivre.

— Tu ne peux pas comprendre, Will. Tu n'as pas vécu tout ça ! Tu n'as que treize ans.

— Et alors ? Tu en as dix-sept, et tu ne comprends pas plus !

— Will !

Il se trompait. Il ne se souvenait pas du passé. Moi oui. Je voyais encore mon père faire des bagages dans la précipitation après l'ordre de quitter le pays, ses essais incessants pour joindre ma mère et ses jurons auprès de l'écran d'appel de son bracelet. Je me rappelais avoir pleuré car je ne pouvais pas amener tous mes jouets, ni notre anirobot. Si je savais qu'il y avait bien pire qu'abandonner un chien électronique... Abandonner toute son histoire. Mon père fut un instant rassuré quand ma mère lui envoya un message animé lui disant qu'elle le rejoindrait directement dans un « point de sécurité » au nord du pays, en lui rappelant de ne pas oublier de prendre quelques couches pour Will. J'entendais encore la dernière phrase qu'a prononcé mon père dans cet appartement :

— Léane, ma puce, on y va. Maman nous rejoindra plus tard. Si jamais quelqu'un te demande où on va, tu réponds quoi ?

— On part en vacances au Canada, maman nous rejoindra après le travail et on ira se baigner dans un lac tous ensemble, dis-je, fière de moi et en souriant de toutes mes dents, parce que j'avais dû apprendre la réponse par cœur suite à l'injonction par mon père.

— Ok, très bien, me pressa mon père. Allez, on va à la gare.

— Papa, j'ai envie de prendre l'anirobot en vacances ! On le prend d'habitude ! Et d'autres jouets, et...

— Non, les vêtements que je t'ai mis dans le sac suffiront. On fera d'autres activités là-bas.

— On n'a même pas pris mon maillot de bain...

ArizonaWhere stories live. Discover now