Chapitre 6 : L'Arizona

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Les gardes nous firent sortir de l'hovercraft quand nous arrivâmes au Centre, à peine dix minutes plus tard. Je devinais que Jake et moi allions subir une condamnation en public. C'était pour dissuader d'autres citoyens de braver eux aussi les règles du système. J'avais la nausée, la gorge sèche et le cœur qui heurtait ma poitrine et résonnait jusqu'au bout des orteils. Clairement, je n'allais pas bien. 

Jake caressait doucement mon épaule, mais il savait bien qu'il n'y pouvait rien. J'avais l'impression d'avoir la faucheuse à côté de moi. Tout mon courage des années passées semblait se dissoudre subitement. Puis je pensais à ma famille. Aurais-je dû, hier soir, les serrer plus longtemps dans mes bras ? J'aurais aimé leur répéter que je les aimais infiniment. Je ne les verrais plus... Eux non plus. Sauf Will pendant quelques ultimes minutes, celles de mon jugement. Il allait me voir pour la dernière fois, et je savais que ça allait être très douloureux, pour nous deux. Et lui, allait-il s'en sortir, ensuite ?

Le garde nous amena dans une petite pièce de l'hôtel de ville, afin de patienter avant notre jugement. La pièce était presque vide, sans décoration extravagante, à l'exception des trois fauteuils de cuir bordeaux qui la meublaient en son centre. Ils demeuraient disposés en cercle autour d'une petite table basse en bois foncé. Le sol était un vieux plancher, et le papier rouge sang des murs s'enlevait. Il y avait une seule fenêtre, avec de grands rideaux blancs, qui laissait entrer une lumière fantomatique. C'était beau malgré tout, pour une pièce où on laissait attendre des futurs condamnés.

Je séchais une fois de plus les larmes qui naissaient automatiquement au coin de mes yeux. Je m'approchais de la fenêtre pour trouver une brève occupation, posant la main sur la vitre sale. Dehors, des gardes préparaient l'estrade pour notre jugement. Dans quelques minutes, ma vie serait bouleversée à jamais. Je voyais la foule attirer son attention vers eux, surprise qu'il y ait une autre condamnation en ce jour.

Soudain, je sentis Jake à côté de moi. Il me regarda doucement dans le gouffre de ses pupilles bleues comme la nuit. Son regard était complètement hagard. Lui aussi, semblait comprendre l'ampleur de la situation. Ses doigts attrapèrent les biens tout délicatement, mais il les serra ensuite avec force.

— J'ai peur, je lui avouai faiblement.

— Moi aussi. J'ai l'impression que je vais crever dans quelques secondes. De toute façon, ça sera le cas.

Un garde fit irruption dans la pièce alors que nous ne nous lâchions pas.

— Allez, les amoureux, trêve de niaiserie, vous allez être jugés.

Il ricana, indifférent face à nos deux petits destins d'adolescents qu'il condamnait. Jake masqua toute peur et le regarda d'un air lourd. Mais il ne tenta rien. Il se laissa traîner par le militaire, et je faisais de même. Se débattre ne servait à rien. Il y avait des dizaines de gardes qui nous surveillaient. Nos destins étaient déjà scellés.

Quand nous fûmes sur l'estrade, les gardes nous lâchèrent enfin. Je regardai curieusement la foule, en me demandant si toutes les personnes face à moi ressentaient la même compassion que j'éprouvais à chaque condamnation. Je n'osais pas bouger, apeurée, mais cherchais continuellement mon frère du regard. Impossible de l'apercevoir, mais je savais que lui, me voyait. Il était là, j'en étais sûre. Un instinct protecteur, presque maternel qui me liait à lui. Obnubilée par mon analyse de la foule, je n'en écoutais même plus les paroles du juge à côté de moi. Elles-mêmes me parvenaient comme un écho lointain.

Puis enfin, je le vis. 

Will. 

Il me regardait avec ses grands yeux bleus. Il était assez près de l'estrade pour que je puisse voir des larmes couler sur ses joues... Mon pauvre petit frère... J'avais cette impression effroyable de l'abandonner.

ArizonaWhere stories live. Discover now